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SPIRITUALITÉ ET BIEN-ÊTRE CHEZ DES PERSONES ÂGÉES: LE CAS DES RÉSIDENTS DANS UNE INSTITUTION EN SUISSE
SPIRITUALITY AND WELL-BEING AMONG INSTITUTIONALIZED ELDERLY IN SWITZERLAND
Interações, vol. 11, n° 20, pp. 9-30, 2016
Pontifícia Universidade Católica de Minas Gerais

DOSSIÊ



Reçu: 07 Juillet 2016

Accepté: 08 Août 2016

Résumé: Cet article présente les premiers résultats d’une étude exploratoire sur la spiritualité et le bien-être chez les personnes âgées résidant dans un établissement médico- social de Suisse romande. De nombreuses difficultés liées à l’adaptation à un nouveau cadre de vie, à la perte d’autonomie et de liberté, à l’isolement et à la solitude ont été rapportées par les sujets interrogés. Si pour certains résidents la religion ne présente pas d’intérêt, pour beaucoup d’autres la foi religieuse représente une importante source de réconfort et de force pour faire face aux problèmes de santé et aux autres adversités de la vie. Les mécanismes psychologiques du lien potentiel entre d’une part bien-être et santé et d’autre part spiritualité et foi religieuse sont discutés à l’aide d’une modélisation des systèmes religieux.

Mots clés: Vieillesse, Bien-être, Santé, Spiritualité, Institution pour Personnes Âgées, Suisse.

Abstract: This article presents the first results of an exploratory study on spirituality and well-being among the elderly residing in care institution in the French-speaking part of Switzerland Various kinds of difficulties and troubles in adapting to the institutional life like the loss of autonomy and sense of freedom, social isolation and loneliness were reported by subjects. If for some residents religion and spirituality do not matter, many others claimed that religious faith is an important source of comfort and strength while coping with health problems and other adversities of life. The psychological mechanisms of a potential link between on one side well- being and health, and on the other side spirituality and religious faith are discussed through a model of religious systems.

Keywords: Aging, Well-being, Health, Spirituality, Institution for the Elderly, Switzerland.

1 INTRODUCTION

Vivre longtemps était l’un des désirs de l’humanité. Ce désir commence à devenir une réalité pour une proportion croissante de la population, tout particulièrement dans les sociétés occidentales développées. En Suisse, par exemple, l’amélioration des conditions de vie et les progrès remarquables dans le domaine de la santé ont fait que l’augmentation de l’espérance de vie représente la tendance démographique majeure au cours du 20ème siècle. Depuis 1900, l’espérance de vie est passée de 46,2 à 81,0 ans pour les hommes et de 48,8 à 85,2 ans pour les femmes et reste l’une des plus hautes dans le monde (OFS, 2014, p.12).

Mais comment est la vie de ceux qui atteignent le grand âge? Les données statistiques et les publications scientifiques suggèrent que la réalité du grand âge peut être bien douloureuse pour l’individu : au-delà des maladies somatiques graves ou chroniques, elle se caractérise par la perte continuelle d’autonomie, par des incapacités fonctionnelles, par une solitude vécue ou ressentie comme présente, avec toutes les souffrances physiques et morales qui en découlent. «L’épreuve du grand âge», «le défi du grand âge» sont des expressions qui révèlent que cette étape de vie demande des ressources considérables de la part de l’individu.

La spiritualité et la religion sont souvent considérées comme des ressources importantes pour faire face aux aléas de l’avancée en âge. Ces dernières décennies ont vu se multiplier les études sur le rapport qui existe entre l’implication spirituelle/religieuse et les bienfaits pour la santé mentale chez les personnes âgées. Entre autres ces études ont montré que la foi religieuse et une spiritualité élevées sont associées à une capacité accrue de faire face au stress, à l’anxiété et à l’adversité (par exemple, Glicksman, 2009; Koenig, 2006; Levin & Chatters, 2008; Moberg, 2005). La plupart de ces études proviennent des Etats-Unis, où une grande partie de la population se dit croyante ou religieuse, à la différence de la Suisse où l’espace accordé à la religion se réduit continuellement. Jusqu’à présent, peu d’études se sont intéressées à l’impact de la religiosité et de la spiritualité sur la santé et le bien- être chez les personnes âgées. Parmi les travaux les plus récents sur ce sujet, on peut citer ceux de Monod et de ses collègues sur le problème de la détresse spirituelle et l’intégration de la dimension spirituelle dans la prise en charge des patients âgés (Monod et al., 2009; Monod-Zorzi, 2012), ainsi que deux recherches quantitatives rapportant l’effet de la religiosité sur l’espérance de vie en Suisse (Lerch et al., 2010; Spini et al., 2001).

Compte tenu de ce qui précède une étude exploratoire sur la relation entre a religiosité, plus largement la spiritualité[2], et le bien-être[3] chez les personnes âgées a été lancée pour mieux comprendre le vécu de cette population suisse. En quoi le religieux ou le spirituel sont-ils importants dans la vie des seniors? Quels sont leurs rôles durant la vie et pour faire face au vieillissement? Quels sont les lieux et les moyens de leur expression? Quel est le potentiel thérapeutique de ces dimensions et quels en sont les mécanismes psychologiques sous-jacents? Pour répondre entre autres à ces questions, une approche mixte, intégrant à la fois des outils qualitatifs et quantitatifs, a été adoptée sur le plan méthodologique. En plus des personnes âgées, les proches et le personnel de l’EMS ont été inclus dans l’échantillon pour obtenir une vision plus large et approfondie de la problématique.

Le présent article propose les premiers résultats de la partie qualitative de l’étude qui se base sur une analyse préalable d’entretiens semi-directifs recueillis auprès de personnes âgées vivant en milieu institutionnel. A travers leurs discours nous allons essayer de voir la place de la spiritualité et de la foi religieuse dans la vie de cette population, essayer de comprendre les processus à travers lesquels ces dimensions peuvent influencer la santé et le bien-être des personnes croyantes âgées.

2 DESCRIPTION DE L’ÉCHANTILLON

L’enquête, encore en cours, est menée dans un établissement médico-social (EMS) situé en zone urbaine dans une ville de Suisse romande. Cette institution accueille des personnes âgées principalement pour des longs séjours (capacité d’accueil de 100 lits). On y trouve aussi un service de courts séjours. Les chambres sont en majorité individuelles, quelques-unes sont à 2 lits. Récemment, 47 appartements protégés ont été construits à proximité de cet EMS. Fondée il y a plus de 100 ans par des diaconesses issues du mouvement méthodiste allemand, l’institution reste aujourd’hui attachée à des valeurs chrétiennes et intègre le domaine spirituel dans son modèle de soins ; trois aumôniers (équivalent de deux postes à plein temps) font partie du personnel de l’institution.

Nous analysons ici les entretiens semi-directifs ainsi que les réponses au questionnaire FACIT-sp[4] récoltés auprès de 21 résidents de cette institution, soit 14 femmes et 7 hommes, âgés de 78 à 95 ans. La plupart sont des résidents de long séjour (14 personnes); 3 personnes sont en court séjour, 4 personnes sont des locataires des appartements protégés de la même institution qui se situe en Suisse romande. Le temps de séjour pour les résidents en longs séjours dans l’établissement varie de 4 mois à 32 ans et demi.

VIEILLIR, VIEILLIR EN SUISSE, VIEILLIR EN INSTITUTION

Avec le rallongement important de l’espérance de vie, le nombre de personnes dépendantes en Suisse est en hausse. La perte de l’autonomie et l’entrée en dépendance obligent de nombreuses personnes âgées à aller vivre dans des établissements spécialisés. Ainsi, environ 24% des personnes âgées entre 85 et 89 ans vivent dans des EMS; pour les personnes entre 90 et 94 ans, la proportion est de 40 %; pour les plus âgés (de 95 ans et plus) le taux s’élève à 58% (Höpflinger & Hugentobler, 2006). Plusieurs facteurs influent sur le recours à la décision, très souvent, non souhaitée a priori, de la vie en institution. Tout d’abord il s’agit de gens qui vivent seuls et qui, suite à une forte dégradation de leur état de santé, ont besoin d’aide. Selon les données statistiques, près de 42% des hommes et 87% des femmes âgés de plus de 80 ans vivent seuls en Suisse suite à un veuvage ou encore en raison de l’absence de descendant (Monod & Sautebin, 2009). Alors même qu’il y a des proches, l’institutionnalisation devient la seule solution quand l’état de santé des seniors se dégrade fortement ou, encore, quand les proches ne sont plus capables d’offrir des soins. Au grand âge le recours à l’institution devient presque inévitable.

Cette institutionnalisation oblige un remaniement total du cours de vie de l’individu. Si pour certains cette étape de vie a été mûrement réfléchie, le fait que le changement de vie ait été pensé, réfléchi ou choisi n’empêche pas que le passage en EMS représente un changement important qui nécessite une adaptation face à des événements qui n’avaient pas pu être anticipés. Pour certains l’entrée dans l’EMS, surtout si elle s’est faite brusquement suite à des chutes, des malaises répétés ou à une maladie, est un véritable choc suivi d’un déboussolement qui nécessite une lente et pénible adaptation à un nouveau genre de vie. Et même pour ceux qui y vivent depuis quelques années, ce genre de vie reste difficile:

«Je me suis habituée. Il y a des semaines où tout va bien et puis il y a des semaines où je broie du noir (…). Pour assimiler tout ça c’est difficile (…). Y a des semaines où je me dis mais qu’est-ce que tu fais ici? (…). J’essaie de ne pas trop réfléchir, pas trop penser. Parce que si on se met à réfléchir et à se poser des questions, ça va encore plus mal». (ID_091, F, 87 ans).

Les difficultés liées au grand âge et à l’entrée en institution, rapportées par nos sujets, sont diverses et varient d’un individu à l’autre. Au-delà des nombreux soucis liés à la santé physique et à la limitation de la mobilité, la perte de l’intimité, de liberté et d’autonomie, la solitude et le deuil lié à la perte du ou de la conjoint(e) sont les difficultés les plus souvent évoquées par nos sujets âgés. A ces modifications sociales s’ajoutent des aspects psychiques comme la tristesse ou une baisse d’humeur qui peuvent être constantes ou fluctuantes et parfois même s’orienter sur un versant dépressif, la personne disant alors que tout lui est égal ou cherchant à annihiler ses propres pensées pour diminuer sa souffrance. La difficulté à se projeter dans l’avenir à court terme est aussi présente pour certains alors que d’autres investissent des projets personnels vers lesquels ils se sont réorientés. Dans ce dernier cas, le temps de la vieillesse est alors perçu comme une ouverture vers un espace de réflexion intellectuelle ou de création malgré parfois des entraves physiques importantes comme le cancer ou la maladie de Parkinson.

Dans la partie qui suit nous parlerons plus en détail des difficultés les plus saillantes liées à la vie en institution, telles qu’elles émergent dans le discours des résidents.

PERTE DE LIBERTÉ ET D’AUTONOMIE

Si le deuil lié à la perte d’un logement propre et à l’abandon de sa vie d’avant semble les principales difficultés lors de l’admission en institution, pour les personnes institutionnalisées depuis un certain temps la perte d’intimité, liée aux soins et aux interventions constantes du personnel soignant, se faisant en fonction d’un horaire bien établi et non de la disponibilité du résident, apparaît souvent comme étant très problématique:

«J’étais en train de vous dire, que on est dans un lieu où on se sent protégé et soigné, c’est vrai… mais, ici, je vis sur la place publique… Du matin au soir. On a de la peine à s’en rendre compte. Mais c’est extrêmement difficile pour un vieux bonhomme, pour une vieille bonne femme aussi, qui a l’habitude de ses petites aises, de ses priorités de vivre comme ça. Du matin au soir, on est à disposition, on doit être à disposition. On tape à votre porte pour un oui, pour un non… C’est terrible, alors, on est comme sur une place de village. On ne s’appartient plus». (ID_008, H, 88 ans).

Cette perte d’intimité est intrinsèquement liée avec la perte de liberté due à une vie organisée en fonction d’un cadre communautaire: «Ce qui me manque le plus c’est mon appartement. La liberté que j’avais de faire mes petites envies, si j’avais envie de manger quelque chose par moi-même. Toutes ces choses-là, ça me manque» (ID_091, F, 87 ans).

ISOLEMENT ET SOLITUDE

.La vieillesse égal solitude, ça il faut le savoir aussi» (ID_120, F, 89 ans), nous a dit une résidente, célibataire qui est actuellement en court séjour. Si un tel sentiment est compréhensible pour les personnes sans famille proche, la solitude et l’isolement social frappent finalement presque toute personne vieillissante et, comme pour cette personne, parfois dès le passage à la retraite. Les récits des résidents montrent que le sentiment de solitude perdure ou même s’accentue pour certains lors de l’entrée en institution.

Nous avons constaté que les raisons de l’isolement et de la solitude sont nombreuses. Selon une infirmière interviewée, l’isolement volontaire, le repli sur soi sont souvent liés à l’épuisement rapide de la personne âgée, au manque de force pour entrer et maintenir le contact, à une communication décrite comme n’allant que dans un sens (exigence d’attention mais pas d’attention à accorder à autrui). Si ce propos peut être en partie explicatif il convient de le modérer, car lors des entretiens nous avons constaté que la plupart des résidents interviewés sont contents de nous parler, de raconter leurs histoires de vie ainsi que de partager leur expérience de vie en institution et que ce partage n’est pas à sens unique, en effet, parfois, leur intérêt pour nos expérience et l’instauration d’un dialogue étaient aussi présents.

Quelques raisons de l’isolement, du retrait de la vie de l’institution ont été évoquées par les résidents interviewés. Parfois la solitude peut être choisie comme façon de préserver une forme de liberté à l’intérieur d’un cadre dont le fonctionnement est dicté par des besoins communautaires:

«Mais je reste du matin au soir dans ma chambre, je ne sors jamais, je n’aime pas. C’est-à- dire que j’ai de la difficulté pour marcher, j’ai un tintebin et puis je n’aime pas aller à la cafétéria, je suis pas, voyez, je suis plutôt pour rester dans ma chambre. J’aime bien rester ici toute seule. Je lis, je regarde la télé, je fais ce que je veux...» (ID_091, F, 87 ans).

Il y a des résidents qui expriment une difficulté à nouer un contact avec les autres résidents ou encore de trouver des sujets de conversation communs:

«Je dis «bonjour» à tout le monde, si on parle cinq minutes, on parle cinq minutes avant d’aller souper. Des fois je suis un peu plus tôt, je parle à une dame, y a une, une nouvelle dame qui est là, qui vient d’arriver, qui m’a dit qu’elle trouvait que les gens disaient pas grand-chose. J’ai dit: «Vous savez, moi ça fait quatre ans que je suis ici j’ai, j’ai l’occasion de vous le dire, les gens se parlent pas, chacun reste chez soi». Et puis voyez, si c’est pour aller parler de maladie et tout ça, moi ça m’intéresse pas. Parce que les gens qui sont là-bas (à la cafétéria), sont comme nous: ils sont ici, il y a, en a qui sont malades, ils savent que parler de maladie, parler que tout va mal, alors moi ça m’intéresse pas». (ID_091, F, 87 ans).

Enfin les capacités amoindries des autres résidents, que ces dernières soient physiques ou psychiques, son le plus souvent mentionnées par les résidents:

«C’est pas facile. Et de rencontrer tous les jours des personnes très atteintes dans leur santé mentale et physique» (ID_079, F, 78 ans); «Oh, c’est difficile, alors parce que vous savez pas avec qui vous pouvez parler. Sur l’étage, il y en a très peu qu’ont des, qui sont, qui ont l’esprit solide. C’est tous, des personnes qui oublient… Alors c’est très difficile de pouvoir discuter avec des personnes» (ID_038, F, 95 ans); «… et puis vous avez des gens qui sont bien malades, c’est malheureux à dire mais si vous êtes un peu bien portant vous, vous supportez pas ça. Moi, je supporte plus…» (ID_091, F, 87 ans).

On peut supposer que cette solitude volontaire est due parfois à l’évitement des contacts avec d’autres résidents pour se protéger, pour ne pas voir ces images tristes de vieillesse avec parfois des lourdes pertes et la dégradation mentale, et qui enfin sont susceptibles de leur évoquer un avenir possible et menaçant. Il s’agit donc de la stratégie mise en place pour préserver une image de soi et garder une certaine valeur de soi-même, une certaine image positive de sa personne. Une façon pour l’individu de se convaincre qu’il n’est pas encore comme les autres, ceux qui «n’ont plus leur tête».

Cette solitude, lorsqu’elle est exprimée, se heurte parfois à l’incompréhension des proches en raison de leur méconnaissance du milieu institutionnel ou du désir de ne pas y être confronté:

«Je dis aux enfants quand ils viennent me voir. Ils viennent en principe tous les quinze jours le dimanche, on mange ensemble et je leur dis : «Vous savez pas ce que c’est» parce qu’il me dit «mais tu es bien ici». Je dis : «Oui, mais tu sais pas ce que c’est que d’être toute seule dans une chambre». (ID_091, F, 87 ans).

L’IMPORTANCE DE LA FOI

L’enquête que nous avons menée auprès des résidents montre que l’importance de la religion varie d’un sujet à l’autre. Sans intérêt pour certains, elle est pour d’autres une pratique aux formes variées liée à une socialisation, à une réflexion et à un ressenti et une source de stabilité intérieure et de joie. Cinq grands profils d’inscription de la religion dans la vie émergent des entretiens effectués: la personne ayant une croyance personnelle intime mais ne pratiquant pas ou peu, la personne ayant une pratique intime mais n’ayant pas de pratiques plus sociales (prière mais pas de fréquentation d’église), la personne mêlant pratiques intimes et une forme plus conventionnelle faite de rites inclus dans une sphère sociale, la personne pratiquant une religion d’un type «culturel et social» reposant sur des actes et le suivi d’une pratique sans chercher par ailleurs à développer une pratique plus personnelle et enfin la personne pour qui la religion ne présente pas d’intérêt. Pour les trois premiers types l’importance de la religion peut varier au sein même d’une même catégorie.

Les données issues du questionnaire (FACIT-Sp) indiquent que la foi est perçue comme une importante (soit les réponses «énormément» et «beaucoup») source de réconfort par 11 participants sur 21 et de force par 10 répondants sur 21. Quelques brefs exemples vont illustrer la place centrale de la foi:

«Ben, je suis chrétien. Pratiquant. J’ai, j’ai des relations spirituelles avec Dieu et c’est, c’est là que je tire mes forces. Je ne sais pas comment font les gens qui n’ont aucune foi et je ne sais pas si je serais encore là sans la foi». (ID_105, H, 84 ans); «De toute façon, on peut pas vivre sans la religion, sans, sans croire à quelque chose» (ID_044, F, 82 ans); «Si on croyait pas en quelque chose, ce serait malheureux, hein. Y a longtemps que je serais plus là» (ID_078, F, 88 ans).

A l’opposé, il y a 6 résidents pour qui la foi religieuse ne représente pas une source de réconfort ni de force ; le reste des résidents (4 et 5 respectivement) se répartissent entre opinions «assez», «moyennement» et «un peu».

LA SPIRITUALITÉ ET LA FOI RELIGIEUSE AU MOMENT DE VIEILLIR

Dans la partie qui suit nous allons nous appuyer sur les témoignages des personnes croyantes pour mieux illustrer le rôle de la spiritualité et de la foi religieuse pour la santé et le bien-être. Nous allons tenter, par la suite, de mettre en lumière quelques mécanismes qui peuvent expliquer le potentiel de ce lien.

LA FOI POUR FAIRE FACE AUX MALADIES

Le grand âge s’accompagne souvent de maladies graves, incurables, fortement handicapantes qui perturbent tout le vécu des personnes atteintes et qui influent sur la décision difficile d’entrer dans une institution de soins médicalisés. Pourtant, ces soins ne sont pas toujours aptes à résoudre les problèmes de santé de la personne vieillissante ; parfois ils se contentent d’y palier. Selon plusieurs de nos sujets, c’est la foi religieuse qui les aide à affronter les maladies, qui les aide à soulager les douleurs et à atténuer les conséquences graves d’une vie avec des handicaps. On en trouve une illustration dans les propos d’une résidente, en institution depuis 32 ans:

«Ça, je sais pas parce qu’il peut y avoir des instants où on est plus croyant que d’autres moments. Oui, c’était au début quand j’étais pas, quand j’étais tombée handicapée. Ben, si j’avais pas eu un peu la foi, je sais pas comment je m’en serais sortie. Eh bien, qu’on me donne la force. De pouvoir vivre et puis continuer quand même. Parce que c’est pas rig-, c’est pas drôle tout d’un coup de se trouver sans pouvoir bouger». (ID_038, F, 95 ans).

Se sentir protégé est un besoin fondamental des êtres vivants. La foi religieuse, les croyances en un Dieu qui protège peuvent apporter aux croyants du réconfort et les aider à réduire l’angoisse, à mieux gérer leurs émotions négatives. Le récit d’une autre résidente, atteinte de problèmes cardiaques et respiratoires, montre comment cette stratégie peut être efficace dans les moments inquiétants:

«… j’avais tellement de soucis de santé, j’étais vraiment faible et tout. Et puis les soirs, des fois, j’avais des angoisses de peur de m’endormir. Parce que vous savez quand le cœur fait le fou et puis que vous manquez d’air. J’avais encore pas l’oxygène 24 heures sur 24. J’ai entendu M. (le pasteur de l’EMS) dire que Jésus, il me prenait dans ses bras et puis il me berçait et il me réconfortait et puis que j’allais m’endormir tranquille. Et puis, voilà. C’était rassurant. Oui, oui. C’est enfantin, si vous voulez». (ID_079, F, 78 ans).

La maladie d’Alzheimer est l’un de ces diagnostics graves, un terrible défi pour le malade et ses proches et une raison fréquente d’entrée dans une institution de soins. Voici le témoignage d’une résidente atteinte de maladie d’Alzheimer:

«Et, et je remercie le Grand échiquier que je suis comme je suis. Parce que je sais pas comment… Parce que vous vous rendez pas compte. Vous avez de votre im-, vous avez peur de, d’une, de votre ombre...».

Pour cette résidente c’est la foi religieuse qui est le soutien principal pour les personnes âgées qui vivent dans une institution:

«Et puis pourtant c’est ce qui maintient la personne comme il faut dans l’EMS. C’est son seul soutien. La spiritualité c’est important et puis ce qui m’en a convaincue pour ma part mais c’est que j’ai une amie qui est en EMS, et qui est une femme brillante et est très affectée, et elle est très religieuse et heureusement qu’elle l’est. Parce que je sais pas ce qu’elle ferait, parce que c’est pénible si vous êtes pas capable de sortir tout seul, vous savez jamais où est votre porte-monnaie, vous savez pas où vous avez mis ça, vous êtes pas capable de vous occuper de votre chambre. Vous, vous, vous savez plus si vous avez mangé ça ou vous l’avez pas mangé. Il faut avoir du courage et du caractère et puis croire en quelque chose. C’est essentiel. Parce que si vous allez vous promener dans un EMS, vous verrez que les femmes qui ont une certaine religion, une certaine pratique sont beaucoup plus heureuses et souriantes que celles qui n’ont absolument rien » (ID_044, F, 82 ans).

LA FOI POUR S’ADAPTER À LA NOUVELLE VIE INSTITUTIONNALISÈ

Comme vu plus haut, les difficultés liées à l’adaptation à la vie en institution ont nombreuses. L’acceptation de ces difficultés peut prendre appui sur plusieurs processus: pour certains il s’agit de leur force de caractère, pour d’autres il s’agit de s’appuyer sur la présence soutenante d’une figure spirituelle: «Ben, ça se passe bien parce que j’ai le Seigneur avec moi. Qui me soutient tous les jours» (ID_050, F, 94 ans). Enfin, pour d’autres encore, l’établissement d’une relation significative avec un membre du personnel comme l’aumônier peut être une aide pour passer ce cap difficile.

LA FOI POUR DONNER SENS À LA VIE

Au cours de l’entretien, un résident dit que, dans les contacts avec les résidents, le personnel manque d’affabilité. Quand on lui demande ce qui pourrait remédier à cela, il dit: «C’est le Christ. Mais, c’est ridicule de dire ça parce qu’y a trop simple. Mais y a que cet exemple-là qui puisse nous orienter vers les bons comportements» (ID_008, H, 88 ans). Il veut dire que le Christ est l’exemple de la personne qui traite l’autre avec affabilité, avec amour, et donc qu’il est un exemple pour le personnel. Dans cet échange, comme plus loin lors de ce même entretien, ce résident ne cherche pas seulement ce qui pourrait l’aider personnellement. Il cherche à inscrire sa propre existence dans une vision du monde qui englobe tous ceux qui l’entourent et même toute l’humanité. Il sera même très préoccupé, dans les derniers mois qui précèdent sa mort, par la rédaction de textes qu’il veut laisser à son entourage et dans lesquels il expose ce que la vie lui a appris sur le sens de la vie, sur le bien et le mal.

LA FOI POUR ACCEPTER LA VIE (NE PASS SE SUICIDER), LA FOI POUR ACCEPTER LA MORT

En Suisse, les personnes âgées de plus de 65 ans forment le groupe à risque le plus élevé de suicide parmi les différents groupes d’âge. Selon les données statistiques de l’OFS le taux de suicide parmi les personnes âgées de 65-84 ans est de 32,2 cas pour 100 000 habitants et 83,9 cas pour 100 000 habitants pour les seniors de plus de 85 ans. En guise de comparaison, le taux de suicide chez les jeunes et jeunes adultes (15-44 ans) représente 14 cas pour 100 000 habitants (OFS, 2016). En même temps le nombre de décès par suicide assisté parmi les personnes âgées souffrant de maladies non terminales est en constante augmentation en particulier chez les personnes très âgées (Monod et al., 2013). Il existe de nombreux facteurs qui peuvent amener une personne vieillissante vers la prise de décision de mettre fin à sa vie: les troubles mentaux, des maladies neuro-dégénératives et chroniques, le déclin physique et la perte d’autonomie ainsi que plusieurs facteurs d’ordre psycho-social comme la solitude et l’isolement, la mort du conjoint, l’entrée en institution, etc.. Dans tous les cas, le suicide apparaît comme une échappatoire, une solution au mal de la vie inhérent à la vieillesse.

Les malades d’Alzheimer font partie du groupe à risque de suicide: les sentiments d’impuissance et de désespoir provoqués par cette maladie combinés avec les autres facteurs augmentent la vulnérabilité du patient. Une résidente de notre échantillon, atteinte de maladie d’Alzheimer, avoue que sa foi l’aide à avancer, à avoir le courage de continuer à vivre avec cette maladie grave irréversible:

«… Puis pas se suicider aussi, pas penser à… parce que c’est facile: vous pouvez disparaître. Si vous êtes intelligent, vous trouvez tout ce que vous voulez pour… vous en aller paisiblement. Puis pas, pas faire l’effort. Mais je me suis dit que, c’est là où on, ce qu’on m’a montré (elle fait la référence à son éducation religieuse) m’a servi que si on me mettait comme ça et bien je devais avoir la force de passer à travers. Mais c’est pas tout rose …» (ID_044, F, 82 ans).

Cet extrait atteste du rôle protecteur de la religion pour la prévention des pensées et conduites suicidaire.

En effet, plusieurs études ont constaté ce lien. A titre d’exemple, une étude de grande envergure portant sur 15 pays européens et plus 28 000 personnes a montré que la tolérance au suicide et la force des croyances religieuses sont liées négativement (Neeleman et al., 1997).

En même temps, la question de la fin de vie et son acceptation prennent une importance capitale chez les personnes âgées. Bien que la majorité des seniors en long séjour soient conscients qu’avec l’entrée en institution, ils entrent dans leur dernière étape de vie, ce thème reste très délicat et pas toutes les personnes âgées en parlent ouvertement. La spiritualité et la foi religieuse peuvent aider à accepter la finitude sans une anxiété trop importante. L’une des résidentes interrogées a, par exemple, évoqué que le fait de savoir que Dieu va l’accueillir lors de son décès et qu’Il a tout préparé pour sa venue auprès de Lui, lui permet d’envisager sa mort avec sérénité. Une autre résidente nous a confié comment sa foi l’aide à non seulement vivre avec sa maladie mais aussi à accepter la mort bien que ce ne soit pas facile:

«Ben, oui, disons que j’ai des problèmes de cœur, c’est pour ça que je suis ici. Mais j’ai appris aussi par des livres que, si je me plains tout le temps, si je vois tout en noir, ben, ça risque beaucoup plus d’arriver ou de tourner en mal, tandis que si je sais que je suis pas toute seule qu’il y a quelqu’un qui veille sur moi, ben, ça me réconforte et je vais mieux. Je vais pas dire que je serais, que je suis totalement guérie, c’est pas vrai. J’ai dû apprendre une autre attitude pas de victime mais de, de proposition en pensant que Dieu m’a pas oubliée, qu’il sait, il voit la situation. Il, il tirera du bien même si je dois partir quoi... Mais bon, c’est, c’est pas toujours facile» (ID_122, F, 78 ans).

MÉCANISMES EXPLICATIFS DES RESSOURCES RELIGIEUSES ET DE LEUR LIEN AVEC LE BIEN-ÊTRE ET LA SANTÉ

Quels sont les mécanismes explicatifs de l’effet positif des croyances religieuses et spirituelles pour la santé? L’un d’entre nous a proposé de modéliser les systèmes religieux selon cinq aspects: la communauté, l’intimité d’une relation avec une figure spirituelle, des règles notamment éthiques, la construction identitaire, une vision du monde (Brandt et al., 2012; Brandt, 2013). L’intérêt de ce modèle est de permettre de distinguer diverses stratégies de coping religieux selon l’aspect qu’elles mobilisent principalement. Les analyses des entretiens menés avec des résidents en EMS coïncident avec cette modélisation. Parmi les ressources religieuses qui favorisent le bien-être en EMS, certains résidents mobilisent principalement l’aspect communautaire. Ils s’appuient sur le soutien que leur apporte l’affiliation à une communauté religieuse. D’autres comptent plus sur l’intimité d’une relation avec une figure spirituelle (théorie de l’attachement religieux). D’autres encore s’appuient sur le rôle protecteur de principes éthiques pour lutter avec des idées suicidaires. D’autres encore s’appuient sur le maintien d’un contact quotidien avec des repères familiers. Parmi ces repères, certains résultent d’une éducation religieuse. Ainsi, le sentiment de continuité identitaire («je reste bien moi-même, malgré les changements») est soutenu par des objets, des pratiques de prière quotidienne, etc. Quant à la référence explicite à une vision du monde qui donne sens à la vie aujourd’hui, elle paraît moins présente dans les propos des résidents âgés. C’est que, pour beaucoup d’entre eux, l’entrée en EMS résultait d’une impossibilité à continuer de vivre à la maison. Pour une bonne partie des résidents, l’espérance de vie se compte en mois, éventuellement en années, mais sur les doigts d’une main. Pour eux, le grand âge invite à vivre au jour le jour, avec pour conséquence une centration sur la résolution de problèmes pratiques, en lien avec le concret de la vie quotidienne, plus qu’un déploiement d’énergie pour affronter des questions philosophiques. Certains, pourtant, qui sont habités (peut-être depuis longtemps) par une quête existentielle, puisent là les ressources pour garder une qualité de vie malgré les ennuis de santé grandissants.

SOUTIEN SOCIAL DE LA COMMUNAUTÉ RELIGIEUSE

L’appartenance à une communauté et l’affiliation à cette dernière sont nécessaires pour la bonne santé mentale et le bien-être chez l’être humain qui depuis sa naissance tisse des liens affectifs avec son environnement social. Les résultats de plusieurs études ont montré que le soutien d’une communauté religieuse peut être bénéfique pour ses membres surtout dans les périodes difficiles pour eux. Quelques personnes parmi nos sujets interviewés ont mentionné leur attachement à leurs paroisses, à une communauté religieuse à laquelle ils appartenaient auparavant et le soutien qu’ils en avaient reçu. Une résidente, qui a perdu son père à l’âge de 11 ans, se souvient: «Et puis je dois dire que cette église nous a beaucoup entourée: ma mère et moi, on étaient jamais un dimanche toutes seules. C’était vraiment magnifique ce soutien, cette fraternité et tout ça» (ID_123, F, 83 ans). Certains de nos sujets regrettent de ne plus avoir la possibilité d’aller aux cultes de leur communauté. Une résidente, encore assez autonome, évoque la chance de pouvoir rester, après l’entrée à l’EMS, dans son quartier et dans sa paroisse et ainsi de pouvoir aller aux cultes le dimanche.

LE BESOIN DE PROXIMITÉ AVEC UNE FIGURE SÉCURISANTE

La théorie de l’attachement est l’une des plus influentes dans la psychologie actuelle et l’unes de celles qui a reçu une application remarquable pour comprendre l’attrait du religieux chez les humains et son rôle pour leur bien-être. Certains de nos sujets ont mis l’accent sur la relation très personnelle avec Dieu:

«Parce que le Seigneur est toujours là. On peut toujours s’adresser à lui… Oui. Je lis la Bible, je fais la prière. Sans le Seigneur, on peut pas vivre. C’est pas la question de la religion. C’est le Seigneur qui est le principal. Parce que toutes les religions sont bonnes. Mais ce qui compte le plus, c’est le Seigneur. La religion c’est donc il y a les hommes qui en font partie tandis ce que la religion, c’est le contact avec Dieu tous les jours par la prière, par la lecture de la Bible» (ID_050, F, 94 ans).

Selon Kirkpatrick (2006), Dieu serait une figure d’attachement idéale car il est considéré comme une présence infaillible offrant un amour inconditionnel aux yeux d’un croyant, comme une base sécurisante face aux adversités de la vie. Les propos de quelques-uns de nos sujets âgés sont à cet égard significatifs:

«Ben, j’aime l’idée de Dieu. Et sans cette idée, je me sens perdu. Alors dans ce sens-là, oui, j’ai besoin d’autrui» (ID_008, H, 88 ans); «J’ai des relations spirituelles avec Dieu et c’est, c’est là que je tire mes forces... de la foi, les promesses. La Bible est plein(e) de promesses. Heu… je serai avec vous tous les jours, jusqu’au dernier jour’’…» (ID_105, H, 84 ans).

Ces propos illustrent bien à quel point la sensation de la présence de l’autre, offrant son amour et sa présence bienveillante, peut avoir de l’importance pour une personne âgée, souvent isolée, seule, délaissée par la société ou ses proches, et contribuer ainsi à son bien-être.

DES NORMES PROTECTRICES

Nous l’avons vu, la religion, avec ses principes éthiques et l’affirmation de la valeur de chaque vie humaine véhicule des normes qui préviennent les pensées et conduites suicidaires. Ces aspects apparaissent, par exemple, dans le cas cité plus haut où les normes acquises lors de l’enfance dans le cadre d’une éducation religieuse peuvent servir de référence lors de l’apparition d’idées suicidaires. Dans ce cas, par exemple, la résidente interviewée évoque le fait de croire que si Dieu a permis qu’elle soit atteinte d’une maladie grave, il lui fournira également les forces pour y faire face afin qu’elle puisse honorer le respect de la vie qu’il demande. Il en va de même pour les difficultés rencontrées durant la vie en général par l’un des résidents cité précédemment qui dit qu’il ignore s’il serait encore là sans la foi.

LES PRATIQUES RELIGIEUSES ET LA RÉDUCTION DES ÉMOTIONS NÉGATIVES

Le potentiel adaptatif des rituels religieux a été l’objet de nombreuses études. Les résultats ont montré que les pratiques religieuses peuvent être efficaces pour réduire et apaiser l’anxiété en situation d’incertitude et de stress. Selon Norton & Gino (2014), l’efficacité des rituels s’explique par leur potentiel à répondre au manque de contrôle ou au sentiment d’impuissance, renforçant le contrôle perçu et ainsi réduisant l’inquiétude et l’angoisse.

Avec le grand âge, les individus subissent la perte croissante du contrôle de presque chacun des aspects vitaux de leur vie: la perte graduelle du contrôle du corps, de l’autonomie fonctionnelle, la perte du contrôle de son environnement social et physique. Dès lors, il est possible que pour certaines personnes âgées la prière contribue à avoir une sensation d’avoir un certain contrôle sur leur vie et ainsi de réduire le sentiment d’impuissance. Plusieurs personnes de notre échantillon ont rapporté qu’elles prient, certaines souvent et beaucoup, et surtout dans les périodes difficiles de leur vie:

«J’ai été opérée de trois cancers alors pour m’en sortir, j’ai beaucoup prié» (ID_078, F, 88 ans); «J’aurais jamais cru que je pourrais supporter les douleurs comme j’en ai eues à l’hôpital. Alors là, la prière est une, est un soutien. Même, même ma prière à moi toute seule ça me, ça m’aide» (ID_109, F, 88 ans), .… quand je prie, je sens vraiment l’énergie qui me remplit» (ID_123, F, 83 ans); «Et pour supporter ces douleurs … on prie, il arrive que ces prières soient suivies d’un apaisement, il arrive que ce soit pas le cas». (ID_008, H, 88 ans).

La question du sens de la vie est inhérente à l’être humain. L’avancée de l’âge la perturbe fortement et inévitablement, car il est difficile de trouver une réponse rassurante quand on n’a plus de rôle ni de fonction sociale. Se sentir encore utile devient problématique pour une personne vieillissante surtout quand elle s’aperçoit qu’elle apporte de nombreux soucis à ses proches. Faire la prière d’intercession peut alors apporter à la personne le sentiment d’être utile. Une résidente nous témoigne:

«Et puis après, j’ai une prière personnelle d’intercession parce que je trouve que ça c’est notre travail maintenant, nous les personnes âgées qui sommes sur la touche physiquement. Alors c’est important, c’est vraiment quelque chose, qui a une grande place, et puis j’essaie de prier pour chacun personnellement de mes enfants, de mes petits enfants parce qu’ils sont, hélas, pas tous, très intéressés par la religion et mes filleuls. Et j’essaie de les remettre quoi, chaque jour. Et puis il y a assez à prier pour le monde, enfin bon quoi. Pour moi c’est devenu un rendez-vous et je m’en réjouis» (ID_122, F, 78 ans).

Pour les seniors l’importance de pouvoir disposer d’un culte à fréquenter sporadiquement ou régulièrement ou de pouvoir se rendre à un/e culte/messe à l’extérieur a souvent été soulignée:

.Oui, y a des choses qui, que j’estime plus importantes que d’autres, ça c’est sûr. Par exemple, heu, le culte, pour moi c’est très important. Parce que c’est une, une partie de moi qui vit quand on prie là…» (ID_081, F, 91 ans); «On a la chance d’avoir deux aumôniers. Ce qui n’est pas partout là. D’avoir, heu, une fois par semaine une méditation ou un culte. C’est beaucoup, hein. Je pense que c’est quand même, heu, tranquillisant » (ID_042, F, 84 ans); «… puis on a souvent les cultes ce qui m’aide beaucoup. Oui, j’aime beaucoup les cultes ici. Oui. C’est pas trop fermé c’est quelque chose qui me plaît beaucoup. Oui. Ah, je les fréquente tous. C’est une fois par semaine alors j’y vais. Parce que quand vous allez au culte, vous chantez, vous priez, quand vous lisez la Bible qu’on vous explique, ben, ça nourrit» (ID_050, F, 94 ans).

Les textes sacrés peuvent être difficilement accessibles au niveau de la compréhension. Une résidente nous a dit qu’elle ne lisait plus la Bible depuis longtemps car elle ne la comprenait plus, «c’est devenu très compliqué» mais elle participe volontiers au culte: «Mais je vais au culte et j’aime beaucoup quand c’est M qui le fait. Parce qu’il est très explicite, il est très, imagé dans ses expressions» (ID_079, F,78 ans).

Il faut aussi tenir compte du fait que plusieurs seniors ont des problèmes de vue et que, dès lors, la participation aux cultes offre une alternative à la lecture de la littérature spirituelle: la Bible.

Signalons encore que les locataires des appartements protégés, qui n’ont pas accès au service de l’aumônerie de l’EMS, ont organisé un groupe pour lire des textes ou débattre d’un sujet. Les anciens pasteurs qui y habitent font des cultes une fois par mois. On peut donc constater qu’il y a un besoin d’une telle activité chez une partie des résidents. Finalement, ces activités, ayant une structure cyclique et répétitive, organisent et rythment la vie, structurant le temps dans l’espace assez clos de l’institution où les personnes vivent en marge de la société.

LE BESOIN DES REPÈRES ET DE L’ESPACE FAMILIER

Une des particularités du grand âge est l’appartenance problématique au monde et le sentiment croissant d’étrangeté qui en découle: les personnes très âgées ont souvent le sentiment qu’elles n’ont plus vraiment leur place dans la société d’aujourd’hui et ressentent de plus en plus de difficultés à comprendre cet univers (Caradec, 2007). Pour les seniors qui vivent dans les institutions c’est particulièrement vrai. Ils ne sont plus chez eux, dans leur espace familier, entourés par les objets connus, porteurs de l’histoire de leur vie.

Presque tous les sujets interviewés expriment une grande difficulté à quitter leur domicile, un grand mal à vider leur logement et à se détacher de leurs propriétés.

Pour garder une certaine familiarité de l’environnement quelques petits meubles, quelques photos des proches, des livres, des tableaux ou encore des peluches sont amenés par les résidents de leur vie précédente. Mais la chambre de l’institution ne deviendra jamais cet espace familier sécurisant du «chez moi». Dans ce cas, la mémoire du passé, cet espace intérieur, sera chargé de la mission de maintenir une certaine permanence du monde ainsi qu’une permanence de l’identité de la personne.

Les études récentes sur les souvenirs autobiographiques (réminiscences) ont montré qu’ils peuvent avoir des fonctions positives et ainsi un impact bénéfique sur la santé mentale des personnes âgées. Entre autres, ils peuvent servir à consolider l’identité, à développer un sens, une cohérence dans sa vie et un sentiment de valeur personnelle et aider à se préparer à la mort. Par contre les réminiscences qui contribuent à ressasser le passé, combler l'ennui et fuir le présent, et alimenter les regrets concourent à la détérioration de la santé physique et mentale des personnes âgées (Cappeliez, 2009; Westerhof et al., 2010).

Les récits recueillis témoignent de l’abondance des souvenirs chargés de références religieuses. En effet, les personnes interviewées représentent la génération pour qui les références religieuses sont encore culturellement centrales: «A cette époque-là, comme je vous disais presque tout le monde était chrétien. C’était une tradition en fait. C’était une tradition» (ID_016, F, 78 ans); «On était encadré, on allait au culte de jeunesse, c’était obligatoire…» (ID_123, F, 83 ans).

L’enfance et la jeunesse des interviewés étaient étroitement liées, voire structurées par les événements et les activités qui se passaient dans une communauté religieuse: le catéchisme, la communion, la prière avec les parents, les sorties familiales pour aller aux cultes et aux messes:

«Ah, toujours, je prie toujours. Alors ça j’ai appris à prier déjà toute petite, ma mère tout ça et on a toujours prié. Ah, oui régulièrement. Alors chaque soir, chaque matin aussi. C’est pas tout à fait la même donnée le soir ou le matin. Voyez » (ID_081, F, 91 ans).

Ses souvenirs autobiographiques sont parfois émotionnellement très chargés. Un monsieur se souvient:

«Et puis après j’ai beaucoup d’autres souvenirs de petit enfant. Je me souviens même un jour que j’avais fait un saut avec ma mère à côté de la place de la Riponne, y a une église méthodiste. Qu’on était entré et y avait une petite cérémonie. Et des pasteurs se sont exprimés, ont eu des contacts avec des gens. Bon, j’étais tout petit. Et puis, ils demandaient, à la fin: «Voulez-vous donner votre cœur à Jésus-Christ ?». Et comme je le connaissais celui-là alors, ça, ça m’a tiqué positivement. Et puis quand il est venu vers moi j’ai dit: «Oh oui !». Et je me rappelle très, très bien, c’est un de mes souvenirs principaux, que je lui ai donné mon cœur mais c’était sérieux. Très sérieux. Puis, après, j’étais content.» (ID_008, H, 88 ans).

Plusieurs personnes ont rapporté faire partie de différentes associations religieuses pendant leur jeunesse (des Unions chrétiennes, l’Association Chrétienne d’Etudiants, la mission, etc.). Ces participations ont marqué d’une manière ou d’une autre la vie de nos sujets interviewés: quelqu’un qui a fait la connaissance de son futur époux par le biais de telle association, un autre, handicapé de naissance et célibataire, y ayant créé des amitiés pour toute sa vie, un autre encore ayant passé plusieurs années en mission et ayant conservé de beaux souvenirs de cette époque. Bien que l’importance de la religion et l’intérêt qui y est porté ont fluctué chez la plupart des sujets au cours de la vie, des grandes étapes de leur itinéraire de vie, de grands événements comme la célébration du mariage à l’église, le baptême des enfants (même chez les personnes non-croyantes, etc.) étaient aussi d’une manière ou d’une autre liées avec la religion car «c’était une tradition».

On peut supposer que certaines activités religieuses comme la prière, la participation aux cultes/messes, le chant et même la lecture de la Bible offrent la possibilité de retrouver une part d’un espace familier que les seniors ont perdu et dont ils ont fortement besoin. Ces activités peuvent constituer les éléments sur lesquels nos sujets croyants s’appuient pour établir la continuité avec leur passé, pour retrouver certains repères dans ce nouveau monde de l’institution et ainsi garder une certaine continuité de leur propre vie, de leur propre personnalité. Un réconfort psychologique, un certain sentiment de stabilité peuvent finalement contribuer au bien-être des personnes âgées vivant en milieu institutionnel:

«… on appelait ça les Jeunesses religieuses, c’était depuis l’âge de seize ans jusqu’à vingt ans. On avait des sorties, on chantait, on a eu les chants, les chants qu’on a ici au fond, que je rechante ici» (ID_081, F, 91 ans); «Et à ce moment-là, on avait un couple qui s’appelait W. Et ils ont fait des disques, des CD. Et moi j’ai fait de ces CDs, j’ai fait des DVDs et j’ai mis des photos dessus et écris les strophes de ces cantiques et je chante. Je chante tous les matins, tous les soirs. Je chante un moment. Ce sont de beaux cantiques, oui» (ID_105, H, 84 ans).

CONCLUSION

La souffrance, la maladie, la solitude, les difficultés de la vie, sont génératrices d’émotions négatives et d’anxiété. L’augmentation de ces maux avec le vieillissement est source d’anxiété grandissante qui péjore le bien-être. Le maintien de la qualité de vie passe donc par la mobilisation de ressources qui régulent les émotions négatives et aident à faire baisser l’anxiété. Parmi ces ressources, on trouve chez certains résidents en EMS la référence à la foi ou à des croyances et pratiques religieuses ou spirituelles. L’anxiété baisse quand on se sent intégré dans un groupe soutenant, qu’on peut s’appuyer sur une relation d’attachement sécure, sur des règles stables, sur des rituels et repères quotidiens qui participent à la construction de l’identité individuelle et collective. Elle baisse aussi quand tout cela participe d’une vision du monde cohérente qui donne sens au vécu d’aujourd’hui. Par ces différents aspects, des systèmes religieux fournissent des ressources qui contribuent à la qualité de vie chez certains résidents en EMS. Cette étude en est une bonne illustration.

Cette étude a été réalisée avec le soutien de la Fondation Leenaards, Suisse.

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Notes

1 Suite aux citations tirées d’entretiens avec des personnes âgées, les abréviations signifient:ID – code d’identification de sujet, F – personne de sexe féminin, M – personne de sexemasculin.
2 Le dénominateur commun entre les diverses formes de religiosités présentes dans lasociété devient non plus l’appartenance religieuse mais la spiritualité: les personnes prêtes àreconnaître avoir des préoccupations spirituelles sont bien plus nombreuses que celles disantêtre religieuses (voir p.ex. le numéro 1 du volume 34 de Archive for the Psychology ofReligion, 2012 consacré à cette discussion).
3 Selon George (2010), des chercheurs utilisent le terme de bien-être librement et de façonassez floue. Ce concept peut être considéré comme un terme englobant différents conceptstels ceux de «bonheur», «bien-être subjectif», «satisfaction de la vie», «avoir un bon moral»etc.
4 FACIT-Sp: The 12-item Functional Assessment of Chronic Illness Therapy-Spiritual WellbeingScale. Canada, A. L., Murphy, P. E., Fitchett, G., Peterman, A. H., & Schover, L. R. A. 3-factor model for the FACIT-Sp. Psychooncology, 17 (9), 2008, p. 908-916.FACIT-Sp: The 12-item Functional Assessment of Chronic Illness Therapy-Spiritual WellbeingScale. Canada, A. L., Murphy, P. E., Fitchett, G., Peterman, A. H., & Schover, L. R. A.


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