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L'Eldorado de la libre-pensée ? L'Amérique latine comme objectif stratégique de la Fédération Internationale de la Libre Pensée (1880-1914)
L'Eldorado de la libre-pensée ? L'Amérique latine comme objectif stratégique de la Fédération Internationale de la Libre Pensée (1880-1914)
Revista de Estudios Históricos de la Masonería Latinoamericana y Caribeña, vol. 7, n° 1, pp. 17-36, 2015
Universidad de Costa Rica
Reçu: 03 Novembre 2014
Accepté: 01 May 2015
Résume: Cet article montre que, pour la Fédération Internationale de la Libre Pensée, l'Amérique latine fut un objectif stratégique. L'Argentine et le Brésil furent les têtes de pont de ce déploiement. Certains réseaux maçonniques furent la plateforme, le support social de cette opération. Le 11° congrès international de la libre-pensée, en 1904, marqua une charnière en provoquant une mobilisation massive, en élargissant son programme et sa doctrine, et en intégrant d'une manière inédite l'Amérique latine, représentée par l'Argentine, et notamment par Manuel B. Ugarte. Il s'agit donc d'une étude préliminaire destinée à démontrer l'intérêt d'approfondir cette dimension très peu connue de l'histoire culturelle des relations internationales contemporaines.
Mots-clés: Libre-pensée, anticléricalisme, franc-maçonnerie, Europe, Amérique..
Abstract: This article shows that, for the International Free Thought Federation, Latin America was a strategic objective. Argentina and Brazil were the bridgeheads of this deployment. Certain masonic networks were the platform, the social support of this operation. The 11th freethought international congress, in 1904, marked a hinge by provoking a massive mobilization, by widening its program and its doctrine, and by integrating in a new way Latin America, represented by the Argentina, in particular by Manuel B. Ugarte. It is thus about a preliminary study intended to demonstrate the interest to deepen this little known dimension of the cultural history of the contemporary international relations.
Keywords: Freethought, anticlericalism, freemasonry, Europe, America..
Introduction
La Fédération Internationale de la Libre Pensée fut fondée le 29 août 1880 à Bruxelles par des Belges, des Français(es), des Anglais(es), des Allemand(e)s, des Italien(ne)s, des Suisses et des États-Unien(ne)s. Cette " fédération rationaliste universelle " souhaitait devenir " la plus puissante force morale du monde ". Son objectif était de " faciliter la propagande des idées rationalistes par une entente entre tous ceux qui croient nécessaire d'affranchir l'Humanité des préjugés religieux et d'assurer la liberté de conscience "\ Dans un premier temps, elle organiserait " des liens de solidarité entre les libres-penseurs " puis, progressivement, générerait un " immense mouvement d'émancipation intellectuelle et sociale, libérant tous les Peuples [...] des Dogmes et des Églises ". Pour mener cette tâche à bien, elle s'appuierait sur des congrès internationaux et sur un comité central respectueux de "l'autonomie absolue" des sociétés affiliées:
" toutes les Associations et Fédérations Nationales des Libres-Penseurs, les Loges Maçonniques, les Universités populaires, les Communautés religieuses libres, les Sociétés de culture éthique, les Sociétés de libre critique historique, philosophique et religieuse, les Cercles d'études politiques et sociales, les Sociétés positivistes, les Sociétés de crémation, les Sociétés d'étudiants anticléricaux, les Jeunesses laïques, les Comités libéraux, républicains, socialistes " 1.
Cette organisation civile internationale reste encore peu étudiée. Depuis peu, elle suscite l'intérêt de certains spécialistes de la franc-maçonnerie2. Cet article ne prétend pas en synthétiser la trajectoire d'ensemble. Plus modestement, il se borne à sonder deux questions : en dehors de l'Europe occidentale, l'Amérique latine fut-elle, son objectif stratégique, son champ d'expansion privilégié ? Les réseaux maçonniques furent-ils son tremplin international, sa tête de pont ?
Quatre indicateurs
Quatre indicateurs confirment cette hypothèse. En premier lieu, dans la perception de ses animateurs, la Fédération Internationale de la Libre Pensée avait peu de chance de se développer dans le monde colonial (Asie, Afrique, Océanie) et en Europe orientale. Les sources consultées évoquaient des sociétés civiles sous-développées, opprimées par des pouvoirs politiques et religieux tyranniques et obscurantistes. Elles ne pouvaient donc, dans le meilleur des cas, que s'organiser clandestinement au travers de quelques comités révolutionnaires (dans le cas de la Russie) ou de loges maçonniques secrètes (en Pologne).
Dans d'autres cas dominaient le fanatisme et l'intolérance (protestante ou catholique) : c'était le cas, par exemple, de certaines colonies britanniques (Irlande, Australie, Afrique du Sud notamment)3. Bref, une question se posait : en dehors de l'Europe occidentale et des États-Unis, quelle projection internationale pour l'Internationale de la libre-pensée ?
Trois autres indicateurs suggèrent que, dès l'origine, l'Amérique latine suscita tous les espoirs. Dès 1883, la Fédération Internationale créait un organe de presse en espagnol, publié à Madrid et dirigé aussi vers l'Amérique ibérique: Las Dominicales, Periódico librepensador, Órgano de la Federación Internacional de Librepensadores en España, Portugal y América ibera (1883-1909)4. Entre 1880 et 1914, période de son apogée, cette Fédération Internationale organisa seize congrès à Paris (1880), Londres (1882), Amsterdam (1883), Anvers (1885), Londres (1887), Paris (1889), Madrid (1892), Bruxelles (1895), Paris (1900), Genève (1902), Rome (1904), Paris (1905), Buenos Aires (1906), Prague (1907), Bruxelles (1910), Munich (1912)5. On le voit, l'Europe en fut l'épicentre; toutefois, la présence de Buenos Aires dans cette liste ne signale-t-elle pas la pointe d'un iceberg transatlantique ? D'ailleurs, l'Album biográfico de los librepensadores publié en 1910 à Buenos Aires mettait en évidence un fait central : la Fédération Internationale espérait tirer parti des réseaux maçonniques pour implanter ses filiales en Amérique latine ; dotée de plusieurs " Suprêmes Conseils et de très nombreuses loges ", la franc-maçonnerie latino-américaine menait une " œuvre nettement anticléricale et en général ne s'en cach[ait] pas "6. Le plan d'action semblait donc tout tracé : quels en furent les résultats ?
L'Amérique latine et les congrès internationaux de Madrid et Genève (1892-1902)
Un premier sondage s'impose : que révèlent les sources au sujet de la participation latino-américaines aux congrès internationaux de Madrid (1892) puis de Genève (1902) ? En 1892, Madrid -l'une des principales capitales du monde hispanique- accueillit le 7e congrès international de la libre-pensée. Une lecture rapide des Dominicales del Libre Pensamiento -hebdomadaire hispanophone de la Fédération Internationale- révèle une forte présence maçonnique : au moins 112 loges, 2 triangles et 2 chapitres Rose-Croix prêtèrent leur soutien moral et matériel. Pour l'Europe, on recense au moins cinq grandes loges régionales espagnoles (Alava, Almería, Monforte de Lemos, Zaragoza, Málaga), les Grands Orients de France et du Portugal et un Conseil Kadosh de Naples. Pour l'Amérique latine, Les Dominicales enregistrèrent le soutien du Supremo Consejo & Gran Oriente de Venezuela, de la Gran Dieta Simbólica des États-Unis du Mexique, du Conseil Kadosh " Porfirio Díaz n°1 " de Mexico, de trente-cinq loges mexicaines, de neuf loges cubaines, de sept loges argentines, de trois loges portoricaines et d'une loge pour chacun des pays suivants : Uruguay, Colombie, Pérou, République dominicaine7. En 19028, au congrès international de Genève, cette participation déclina nettement : un premier sondage réalisé à partir des Dominicales ne permet que de relever, à priori, que le soutien de la Gran Logia Independiente de Cuba et celui de deux loges du Nord-Ouest argentin, Luz et Nueva Hiram (Mendoza). À cela, il faut ajouter une réponse relativement faible des loges espagnoles, italiennes et françaises. Il resterait à interroger le 8e Congrès de Bruxelles (1895) et le 9e Congrès de Paris (1900). En l'état, ce sondage -certes indicatif- suggère que les liens entre l'Amérique latine et la Fédération Internationale de la Libre Pensée demeurèrent, au cours des années 1890, très relâchés et instables, y compris sur le plan maçonnique. Le Mexique fournit à lui seul le gros des adhésions morales venues du sous-continent en 1892, suivi de manière presque anecdotique par quelques loges de Cuba, d'Argentine, d'Uruguay, de Colombie, du Pérou et de la République dominicaine. Tous ces soutiens semblent n'avoir été qu'épistolaires, sans incidence pratique. La distance, les coûts et les temps de transport l'expliquent aisément. Toutefois, une tendance se dessinait: progressivement, l'appel à la fédération des libres-penseurs du monde se répandait d'Europe en Amérique, relayé notamment par certains réseaux maçonniques.
L'Amérique latine et le Congrès de Rome (1904)
Le congrès de Rome, réalisé en 1904, marqua-t-il un tournant stratégique ? Parmi les congrès que la Fédération Internationale organisa jusqu'en 1912, le 11e Congrès de Rome (19-21 septembre 1904) semble avoir été décisif non seulement en raison de la mobilisation massive qu'il provoqua, mais aussi en raison de son importance sur le plan programmatique d'une part, et de la forte participation latino-américaine qu'il suscita d'autre part.
Un congrès stratégique
Le congrès de 1904 fut un acte symboliquement très fort. Le moment n'avait pas été choisi au hasard. On commémorait un double anniversaire : celui de la bataille de Valmy (20 septembre 1792), au cours de laquelle la Révolution française avait triomphé sur la coalition contre-révolutionnaire des monarchies européennes (conduite en l'occurrence par la Prusse) ; et l'anniversaire de la Prise de Rome (20 septembre 1870), qui permit l'annexion de la ville au Royaume d'Italie, mettant fin à l'existence des États pontificaux, au pouvoir temporel des Papes et permettant l'unification nationale de l'Italie9. Le 20 septembre 1904, une manifestation organisée face à la Porta Pia réunit, selon certaines sources partisanes, quelque 30000 personnes parmi lesquelles furent déployées de nombreuses bannières maçonniques
Le Congrès se rendit en cortège à la Porta Pia, par où les troupes italiennes, le 20 septembre 1870, entrèrent dans la Rome papale [...] La manifestation, comprenant plus de vingt mille citoyens, est grandiose de force et de calme. En tête du cortège est une société de musique, composée d'ex-garibaldiens [...] La bannière qui ouvre le cortège est la bannière noire des condamnés politiques du gouvernement pontifical, autour de laquelle se groupent les nombreuses bannières de loges maçonniques et de sociétés populaires. On remarque aussi les drapeaux rouges de la Fédération de Bretagne et de l'Union des groupes révolutionnaires de la Seine [...] Le cortège suit son itinéraire, pendant que les musiques jouent alternativement La Marseillaise, l'Hymne de Garibaldi et L'Hymne des Travailleurs. Les congressistes et la foule chantent L'Internationale. Il est onze heures et demie lorsque le cortège arrive à la Porta Pia. Une foule énorme, évaluée à 30000 personnes, entoure bientôt l'estrade dressée contre le mur par lequel entrèrent les troupes italiennes10.
Les délégations internationales furent très nombreuses. Les sources divergent sur le nombre exact des délégués, compris entre 4000 (selon le directeur des Dominicales, Fernando Lozano Montes) et 1149 (selon les actes du congrès). De nombreux délégué(e)s représentaient chacun plusieurs groupes. Au total, le 11e Congrès international de la libre-pensée réunit face au Vatican les représentants de 27 comités nationaux qui représentaient les termes de l'appel diffusé par la Fédération Internationale de la Libre Pensée :
L'Association Nationale des Libres Penseurs de France, toutes les Sociétés de Libre pensée, les Loges Maçonniques, les Universités et tous les établissements d'instruction, les Universités populaires, les Communautés religieuses libres, les Sociétés de culture éthique, les cercles d'études politiques et sociales, les sociétés positivistes, les sociétés de crémation, les sociétés d'étudiants anticléricaux, la jeunesse laïque, les Ligues d'enseignement laïc, les comités libéraux, républicains et socialistes, en un mot tous les entités et individus qui [...] défendent le principe de liberté de conscience11.
Le congrès de Rome marqua également un tournant sur le plan théorique et programmatique. Naturellement, le noyau traditionnel de la culture anticléricale restait fondamental. L'ordre du jour prévoyait d'étudier
les principales questions qui, à l'heure actuelle, intéressent l'humanité : Le dogme religieux face à la science ; Les relations de l'État avec les Églises ; L'organisation et la propagande de la libre-pensée12.
Dépassant ce programme habituel, toutefois, les délégués approuvèrent en effet à l'unanimité une déclaration qui définissait la libre-comme " laïque, démocratique et sociale ". Cette déclaration fut présentée le 22 septembre 1904 par Ferdinand Buisson. Français, protestant libéral, agrégé de philosophie, dirigeant radical-socialiste, cadre du Grand Orient de France, cadre de l'État républicain, il présidait alors la commission parlementaire constituée en 1903 pour préparer la Séparation entre l'État français et les Églises. Ferdinand Buisson représentait une génération qui avait retenu du protestantisme " non sans l'avoir parfois longuement combattu, le principe du libre-examen [...] le libre-examen comme méthode, la justice sociale comme fin "13. Selon les termes de cette déclaration, la raison humaine et le libre-examen devaient désormais se traduire par " la laïcité intégrale de l'État ", indispensable au " progrès de la conscience publique " et indissociable de l'exigence de " justice sociale ":
En d'autres termes, la libre pensée est laïque, démocratique et sociale, c'est à dire qu'elle rejette -au nom de la dignité de la personne humaine- cette triple oppression : le pouvoir abusif de l'autorité en matière religieuse ; du privilège en matière politique et du capital en matière économique14.
Un congrès euro-américain
L'importance du 11e Congrès de la Fédération Internationale de la Libre Pensée s'explique enfin par le rôle actif qu'y jouèrent pour la première fois les Latino-Américains.
Les organisateurs européens
Pour l'Europe, la liste des comités d'organisation comprenait l'Allemagne, l'Angleterre, la Belgique, l'Espagne, la France, l'Italie et la Suisse15. Chacun de ces comités était conduit par des personnalités politiques, scientifiques et culturelles. Le comité italien avait bénéficié de la complicité active du ministre de l'Instruction publique, qui mit à disposition l'amphithéâtre du Collegio Romano16. Le discours d'ouverture fut prononcé par Giuseppe Sergi (1841-1936), considéré comme le père de l'anthropologie italienne et comme le fondateur de la psychologie expérimentale (il présida le 3e Congrès international de psychologie à Rome en 1905) ; professeur des Universités de Bologne et de Rome, son influence était consolidée au début du XXe siècle ; il était connu pour son opposition aux théories de la supériorité de la " race aryenne " et sa théorie sur l'unité spirituelle de la " race latine "17. Son discours mit l'accent sur l'émancipation intellectuelle et la résolution pacifique des conflits internationaux. Le comité italien comprenait aussi, entre autres, Roberto Ardigô (1828-1920), séminariste renégat, philosophe positiviste et professeur de l'université de Padoue18 ; César Lombroso (1835-1909) criminologue positiviste, professeur à l'université de Turin 19 ; Napoleona Collajani, député et professeur de l'Université de Naples ; Andrea Costa, alors député socialiste, ex militant anarchiste avec Errico Malatesta et Carlo Cafiero au sein de la Fédération jurassienne (1870-188020), considéré comme l'un des fondateurs du Partito socialista italiano.
La société française fut bien représentée à Rome en 190421. On note de nombreuses femmes, telles que Suzanne Pelloutier (membre du Comité International et peut-être parente du syndicaliste Fernand Pelloutier ?) et Marie Pognon (présidente de la Ligue Française pour le Droit des Femmes)22. On remarque aussi les noms d'intellectuels et de scientifiques liés au service de l'État et à l'éducation, tels que Marcelin Berthelot, chimiste majeur des temps modernes, secrétaire de l'Académie des Sciences, membre du Collège de France, de l'Académie française et auteur de Science et libre-pensée (1907)23. On peut enfin retenir les noms de Marcel Sembat (avocat, militant socialiste révolutionnaire, député de la Seine et membre dirigeant du Grand Orient de France24) ; Gabriel Séailles (1855 1922, professeur de philosophie à l'Université de Paris et auteur de textes importants sur la libre-pensée25) ; Charles Arnould (maire de Reims); Victor Charbonnel (directeur du périodique La Raison); Paul Reclus (membre de l'Académie de médecine); Delpech (sénateur de l'Ariège); Gustave Hubard (député des Basses-Alpes) ; Petitjean (sénateur de la Nièvre).
Le comité belge était conduit par Léon Furnemont (avocat, député, conseiller municipal de Bruxelles)26. Le féminisme était représenté notamment par Isabelle Gatti de Gamond, directrice de l'École normale laïque pour femmes et première franc-maçonne de Belgique27. Plusieurs députés et sénateurs -souvent francs-maçons- l'accompagnaient, tels Charles Magnette (ex député, conseiller municipal de Liège), Félix Cambier (directeur du Journal de Gand), Fernand Cocq, Hector Denis (professeur à l'Université libre de Bruxelles et député socialiste28), Jean Dons (secrétaire de la Ligue Internationale des Sociétés de Libres Penseurs), Honxeau de Lehaie (professeur à l'École des Mines, sénateur), le docteur Terwagne (député, conseiller municipal de Anvers); Georges Lorand (député); etc.
Le comité espagnol était conduit par Nicolás Salmerón, qui avait présidé la Première République espagnole (1873). Devenu député aux Cortes et professeur d'histoire à l'Université de Madrid, il diffusa la philosophie de Karl Christian Friedrich Krause. Derrière lui s'engouffraient Alejandro Lerroux (dirigeant du Parti radical et franc-maçon29) ; Fernando Lozano (militaire, journaliste et éditeur, avec Ramón Chíes, des Dominicales30) ; Belén Sárraga de Ferrero (1874-1951, républicaine fédéraliste, socialiste libertaire, féministe et membre de deux loges à Málaga (Consciencia libre et Virtud)31. Notons enfin la présence de Vicente Blasco Ibañez (1867-1928, républicain et écrivain naturaliste ayant abondement voyagé en Amérique, notamment aux États-Unis, en Argentine et au Chili32).
Le comité de Suisse comprenait entre autres Charles Fulpius (président du Comité de Genève) ; Henri Soguel ; Samuel Gander (président du tribunal de Vaugondry) ; Jean Dupertuis (Inspecteur des Écoles à Cully) ; U. Gailland (rédacteur de La Lutte à Lausanne) ; Fusoni (maire de Lugano et député) ; Bossi (rédacteur en chef de la Gazetta Ticinese)33.
D'Angleterre se détachait la présence de Charles Bradlaugh (1833-1891), le parlementaire anglais d'origine ouvrière, franc-maçon en Angleterre et en France, qui avait été expulsé du parlement en raison de son athéisme militant34. Le comte Russel (membre de la Chambre des Lords et conseiller municipal de Londres). Le féminisme était représenté par Lady Florence Caroline Dixie, une voyageuse distinguée qui, après avoir exploré la Patagonie argentine, avait couvert la guerre des Boers en Afrique du Sud ; écrivain, elle présidait en outre le British Ladies' Football Club depuis 1895 et était membre de la National Union of Women's Suffrage Societies35. William Headford (publiciste londonien et secrétaire de la Fédération Internationale de la Libre Pensée pour l'Angleterre, l'Amérique du Nord et les pays anglo-saxons36), John F. Green (secrétaire de la Ligue pour la Paix Internationale), Henry Maudsley (1835-1918, professeur retraité de l'Université de Londres, un des pionniers de la psychiatrie en Angleterre) complétaient la délégation37.
Parmi les Allemands38, on distinguait notamment Ernst Haeckel (1834-1919), naturaliste et biologiste en chaire à l'Université d'Iéna depuis 1865 ; dans son Histoire de la création naturelle, il popularisa les théories de Charles Darwin ; il fut aussi l'un des fondateurs du monisme, une philosophie non dualiste (donc étrangère au christianisme, au judaïsme ou à l'islam) qui se voulait le " lien entre la religion et la science "39. Le comité allemand était co-présidé par Carl Scholl (publiciste à Munich), Otto Friederi (Berlin) et Ida Altman, femme, marxiste, féministe et secrétaire de la société de libre-pensée de Berlin40.
Les organisateurs américains
Quelle fut la représentation américaine au Congrès de Rome ? La présence latino-américaine fut-elle plus significative qu'en 1902, lors du congrès de Genève ? D'une manière générale, oui. Pour autant, dans la plupart des cas, elle semble être restée limitée. Selon les Dominicales del librepensamiento, les États-Unis furent représentés notamment par quelques cercles intellectuels libéraux, apparemment déconnectés des réseaux maçonniques ; on peut mentionner ici l'American Secular Union et le périodique The Open Court (Chicago) ; The Liberal Art Society, The Brooklyn Philosophical Association, The Manhattan Liberal Club et par le périodique The Truth Seeker (New-York). On relève aussi une association francophone, La Libre Pensée , de Jeannette en Pennsylvanie41. L'Amérique centrale et le Nord du sous-continent furent faiblement représentés. On relève la Liga Centro-Americana de Libre Pensadores " Juan Montalvo " (San Salvador) ; on distingue l'adhésion individuelle de Simón Chaux , général de la République colombienne ; on peut enfin mentionner quelques comités du Guatemala et du Venezuela42. Les Amériques andines furent inégalement représentées selon les pays. Au sein du comité international d'organisation, le Pérou en fut le principal représentant avec notamment Christian Dam, " ex Grand-Maître de la Maçonnerie, directeur de El Libre Pensamiento, président de la Liga de Libre Pensadores de Perú "43 ; avec lui venaient des intellectuels tels que Manuel González Prada, un important écrivain anarchiste et indigéniste national44. On peut mentionner des adhésions tardivement venues d'Equateur, " la patrie de Eloy Alfaro "45. Pour la Bolivie, la documentation consultée ne mentionne qu'un périodique, El Radical, de La Paz. Pour le Paraguay, mentionnons Ramona Ferreira, directrice d'un quotidien (La Voz del Siglo). Citons le docteur A. de Perini, président d'un cercle libéral (Luis Buchner). Pour l'Uruguay, notons le docteur Ramón P. Díaz, président de l'Asociación de Propaganda Liberal de Montevideo. Pour le Chili, retenons Manuel Calderón, président du Círculo de Propaganda anticlerical de Santiago, et la Liga de Librepensadores de Chile46. En synthèse, aux États-Unis, dans les Amériques du Centre, au Nord de l'Amérique du Sud, dans les Amériques andines, en Uruguay et au Paraguay la mobilisation fut relativement faible. Ces foyers de mobilisation semblaient limités à quelques cercles intellectuels qui, aux États-Unis, ne maintenaient apparemment aucun lien avec les loges maçonniques.
Deux cas nationaux offrent cependant un contraste : le Brésil et l'Argentine, les deux principales puissances maçonniques sud-américaines de l'époque47. Quel fut, en 1904, le rôle du Brésil, cette puissance régionale isolée du monde de langue espagnole? L'Argentine -rivale du Brésil dont elle constituait pourtant la charnière naturelle avec le reste de l'Amérique latine- joua-t-elle, au sein de la partition américaine du Congrès de Rome, le rôle d'un chef d'orchestre ? Quel fut, dans les deux cas, le rôle des réseaux maçonniques ? Discerne-t-on l'ombre d'un axe régional ?
D'après les Dominicales del Libre Pensamiento, Sâo Paulo fut l'épicentre de la mobilisation brésilienne. Doit-on y voir une conséquence de l'immigration européenne et des cultures politiques qui s'y développèrent après l'abolition officielle de l'esclavage (1888) ? Le syndicaliste ouvrier et franc-maçon Everardo Dias -éditeur de la revue O Livre Pensador- semble avoir été le principal référent local de la libre-pensée internationale48. On peut aussi mentionner une Liga Anticlerical du Paraná, siège d'une petite Grande Loge inspirée du Grand Orient de France. On note que de ces cercles émergea un peu plus tard l'intellectuelle anarcho-féministe Maria Lacerda de Moura, " membre de la franc-maçonnerie théosophique "49 selon le Livro Maç.-. do Centenario publié en 1922 à Rio de Janeiro, année où la loge 14 juillet -loge française de Sâo Paulo- la reçut pour une conférence sur la femme et la franc-maçonnerie dont le texte imprimé est conservé par les archives Edgard Leuenroth (Universidade Estadual de Campinas)50. Au cours des années 1920, Maria Lacerda de Moura se distingua dans la propagande féministe radicale dans la région de Sâo Paulo51. Dans l'ensemble, donc, la mobilisation brésilienne pour le congrès de Rome semble avoir été fermement ancrée à gauche ; les filiations maçonniques étaient évidentes mais diffuses. S'agissait-il de la pointe émergée d'un iceberg plus vaste ?
L'Argentine joua-t-elle, au sein de la partition américaine du Congrès de Rome, le rôle d'un chef d'orchestre ? D'après les sources, oui. Ces Argentins étaient souvent docteurs, députés ou sénateurs. Tous étaient impliqués dans des batailles culturelles stratégiques, telles que la légalisation du divorce et la modernisation d'un droit public encore dominé par l'héritage hispano-catholique. Ils étaient très souvent francs-maçons ; la plupart intégraient d'ailleurs la direction de la principale obédience du pays (Cangallo 1242). Citons parmi eux le docteur Juan Balestra : ancien ministre de l'Instruction publique, ancien grand-maître de la Supremo Consejo & Gran Oriente de la República Argentina, il était en 1904 député. Avec lui, on trouvait par exemple le docteur Francisco A. Barroetaveña (député, maçon), le docteur Emilio Gouchón (député, maçon), l'écrivain Leopoldo Lugones (député, maçon), Joaquin Castellanos (député, maçon), le docteur Ponciano Vivanco (député); le docteur Belisário Roldán (député); le docteur Federico Pinedo (député et ex ministre); le docteur Pablo Barrenechea (grand-maître en 1904) et Francisco Gicca (directeur de la maison d'édition El Progreso, maçon)52.
Quelques mois avant le congrès, la franc-maçonnerie argentine (du moins une des multiples organisations maçonniques de l'époque) profita du voyage touristique d'un de ses membres pour le charger d'une " mission " confidentielle. Alejandro Sorondo, secrétaire de la chambre des députés et membre de la loge Obediencia a la Ley, s'en fut en Europe chargé de lettres et de recommandations, dont les doubles ont été conservés à Buenos Aires. Ces lettres étaient destinées au Grand Orient de France, au Suprême Conseil de France, au Grande Oriente d'Italia, au Suprême Conseil de Belgique, à la Grande Loge Suisse Alpina, à la Grande Loge de Hongrie, à quelques grandes loges de Berlin et Hambourg, au Supreme Council pour l'Angleterre et ses possessions, à la United Grand Lodge of England et au Supreme Council de New York . Leur contenu ne permet évidemment pas d'en savoir plus53.
Enfin, en septembre 1904, d'après les documents analysés, l'Argentine fut la seule nation latino-américaine à disposer de représentants physiques à Rome. D'ailleurs, le 16 septembre 1904, les Dominicales del Libre Pensamiento ne titraient-elles pas triomphalement sur " La franc-maçonnerie argentine au Congrès de Rome "54 ? Le Compte-rendu officiel du Congrès de Rome ne soulignait-il pas avec emphase la présence du Supremo Consejo & Oriente de la República Argentina (Cangallo 1242, Buenos Aires)55 ? Sans surprise, les représentants argentins présents à Rome étaient francs-maçons : Julio Llanos (1858-1932) et surtout Manuel Ugarte (1875-1951), tous deux Argentins, le Français Guillaume Silvy (de la Grande Loge de France) et l'Espagnol Fernando Lozano. Une médaille en or massif leur fut remise à travers le service diplomatique56. Julio Llanos était journaliste et avait travaillé au sein de la presse libérale (La Opinión, Buenos Aires Herald, El Orden, La Patria Argentina, La Prensa, Caras y Caretas, etc.) ; Investi dans la politique municipale et provinciale de Buenos Aires, spécialisé dans les questions agricoles, il publia des ouvrages favorables au coopérativisme et fut délégué de l'Argentine au Comité international de l'agriculture (Rome). Initié, selon le biographe argentin Alcibiades Lappas, au sein de la Logia Docente en 1883, il représenta l'Argentine à Rome de 1904, selon les documents relatifs à ce congrès. Pendant la Première Guerre mondiale, le quotidien La Nación l'enverra comme correspondant permanent57.
Manuel Ugarte -qui résidait alors en France et prenait part, aux côtés de Jean Jaurès, aux congrès de l'Internationale socialiste- représenta une nouvelle fois la franc-maçonnerie argentine au 12° congrès de la Fédération Internationale de la Libre Pensée, à Paris en 190558. Sa figure était remarquable59. Il a fait l'objet de plusieurs études qui ont surtout retenu son rôle dans la gauche socialiste anti-impérialiste latino-américaine ; son activité maçonnique en Argentine et en France a été totalement évacuée. Diplomate et écrivain, ses ouvrages furent traduits au français, à l'anglais, à l'italien et au russe. Il représenta le Parti socialiste argentin à divers congrès internationaux. Anti-impérialiste, il voyagea au Mexique, à Cuba et -selon l'historien uruguayen Alfonso Fernández Cabrelli-correspondit avec Augusto César Sandino, le dirigeant nationaliste du Nicaragua. Mais sait-on qu'il fut un franc-maçon actif en Argentine et en France, qu'il joua un rôle dans les relations maçonniques internationales euro-américaines et qu'il reçut du Supremo Consejo & Gran Oriente de la República Argentina une médaille d'or pour " la manière brillante dont il le représenta aux Congrès de Libre-Pensée de Paris et de Rome "60? Sans aucun doute, sa biographie mériterait d'être révisée à la lumière de cet engagement maçonnique et libre-penseur.
Bilan
L'Amérique latine fut-elle perçue comme un véritable Eldorado pour l'expansion internationale de la libre-pensée au début du XXe siècle ? Les réseaux maçonniques furent-ils sa plateforme occulte ? La réponse est définitivement positive. Cette première approche le montre clairement. Dès 1883 par exemple, la Fédération Internationale de la Libre Pensée disposait, grâce à sa section espagnole, d'un hebdomadaire adressé au monde ibérique. La Fédération entendait tirer partie des " Suprêmes Conseils et de très nombreuses loges " qui y menaient ouvertement une " œuvre nettement anticléricale "61. Le 11e congrès international de Rome, en 1904, fut une charnière. Si les congrès antérieurs n'avaient pas réellement pu établir un pont avec l'Amérique latine, si les adhésions de principes avaient été épistolaires et fluctuantes, limitées à quelques loges mexicaines, vénézuéliennes, cubaines, argentines, portoricaines, dominicaines, uruguayennes, colombiennes, péruviennes, le congrès de 1904 marqua un tournant stratégique.
Organisé à Rome face au Vatican, il marqua un grand bond en avant. Une nouvelle génération culturelle affirmait ses positions. Les débats et les résolutions adoptées reflétèrent la progression de cette nouvelle génération culturelle représentée notamment par Ferdinand Buisson. Sous l'influence des maçons français, le 11e congrès international de la libre-pensée lia indissolublement la question de la liberté de conscience à celle de la justice et de la démocratie sociales. La libre-pensée était laïque, démocratique et sociale.
Sur le plan pratique, la mobilisation fut importante. Certes, l'incertitude plane sur le nombre exact de délégués, compris entre 1000 et 4000. Ce succès reposa sur le travail de nombreux comités, de loges, de certaines Universités, de communautés religieuses alternatives, de partis libéraux, républicains, socialistes, etc.
L'Europe occidentale et les Amériques furent au centre de cette mobilisation internationale. Du côté européen, la France, l'Italie, l'Espagne, la Belgique, l'Allemagne, l'Angleterre comptèrent parmi les principaux foyers européens de mobilisation. Du côté américain, on note des foyers de mobilisation sur la côte atlantique des États-Unis, dans les Amériques centrales et andines, au Pérou et surtout dans le Sud du Brésil et en Argentine. Dans le cas de pays de langue allemande ou anglaise, aucune relation entre les loges et la libre-pensée n'est signalée par la documentation consultée. Au contraire, dans les pays latins, les loges semblaient constituer l'arrière-garde stratégique, au carrefour des cercles républicains, libéraux, féministes, socialistes ou libertaires. Cette première approche montre donc tout l'intérêt d'étudier les transferts culturels réalisés entre Europe et Amérique au travers de ces réseaux internationaux.
Sources
Références
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Notes