L’art de la bibliographie: de l’objet à sa patrimonialisation
A arte da bibliografia: do objeto à sua patrimonialização
The art of bibliography: from the object to its patrimonialization
L’art de la bibliographie: de l’objet à sa patrimonialisation
Em Questão, vol. 25, pp. 123-136, 2019
Universidade Federal do Rio Grande do Sul
Reçu: 30 Avril 2019
Accepté: 15 Juillet 2019
Résumé: Comme technique qui produit des métadonnées sur les textes, la bibliographie est un art de faire documentaire, un bricolage de présentation des savoirs produits par d’autres. Cette pratique professionnelle se renouvelle régulièrement jusqu’à l’ère numérique actuelle et les objets qu’elle produits entrent peu à peu dans un processus de patrimonialisation qui conduit les premiers objets médiateurs créés par les bibliographes, les catalogues imprimés, les fiches cartonnées et les meubles en bois qui les présentaient aux lecteurs, jusqu’au musée. Le rôle médiateur de la bibliographie et son caractère patrimonial sont présentés ici, dans une approche infocommunicationnelle à partir de l’exemple de banque de données numériques sur les manuscrits médiévaux et l’exposition des techniques bibliographiques au Mondaneum de Mons.
Mots clés: Bibliographie de l’art, Patrimonialisation, Musée de la documentation.
Resumo: Como técnica que produz metadados sobre os textos, a bibliografia é uma arte do fazer documentário, uma bricolagem de apresentação dos saberes. Esta prática profissional se renova regularmente na era digital atual e os objetos que ela produz adentram pouco a pouco um processo de patrimonialização que conduz os primeiros objetos mediatores criados pelos bibliógrafos, os catálogos impressos, as fichas catalográficas e o mobiliário de madeira, ao museu. O papel mediador da bibliografia e sua característica patrimonial são aqui discutidos dentro de uma abordagem infocomunicacional a partir do exemplo do banco de dados digital sobre os manuscritos medievais e a exposição das técnicas bibliográficas do Mundaneum em Mons.
Palavras-chave: Bibliografia da arte, Patrinonialização, Museu da documentação.
Abstract: As a technique that produces metadata on texts, bibliography is an art of documentary making, a do-it-yourself presentation of knowledge produced by others. This professional practice is regularly renewed until the current digital age and the objects it produces are gradually entering a heritage process that leads to the first mediator objects created by bibliographers, printed catalogs, card index cards and wooden furniture that presented them to the readers, to the museum. The mediating role of the bibliography and its heritage character are presented here, in an infocommunication approach based on the example of a digital databank on medieval manuscripts and the exhibition of bibliographic techniques at the Mondaneum of Mons.
Keywords: Bibliography of art, Patrimonialization, Museum of documentation.
1 Introduction
Si la bibliologie est la science de l’écrit, la bibliographie, quant à elle, est un art de faire, une pratique professionnelle au service de l’écrit et des documents. En analysant scientifiquement ce qu’elle est et en particulier ce qu’elle a apporté aux revues scientifiques (COUZINET, FRAYSSE, 2018), nous avons commencé à mettre en lumière la réflexion de Jean Meyriat sur cet objet. Auteur notamment d’un rapport pour l’UNESCO sur le travail bibliographique, il affirmait: “Bien que la bibliographie ne puisse prétendre être une œuvre d’art, la façon dont ses auteurs s’expriment n’est pas sans importance” (MEYRIAT, 1957). Nous nous sommes penchés en deux temps sur les deux affirmations de cette phrase.
Dans une première recherche[1] nous avons mesuré l’importance accordée à l’expression du point de vue des bibliographes. Autrement dit en nous arrêtant sur l’analyse de l’activité bibliographique et sur son objet, nous avons mis au jour quelques-uns des enjeux (politique, économique, scientifique) qui sous-tendent cet art de faire.
Dans cette deuxième recherche, nous interrogeons l’autre partie de la phrase de Jean Meyriat sur le caractère artistique (et patrimonial) de la bibliographie. Au-delà de la technique documentaire qui la range dans la catégorie fonctionnelle des métiers de bibliothécaire, d’archiviste ou de documentaliste, ne peut-on pas voir dans cet art de l’organisation des connaissances, un carrefour entre le document et l’usager, une discipline frontière des livres et de l’histoire? Loin de se résumer à un ensemble figé de règles et d’exemples, ancrés dans des traditions professionnelles anciennes, la bibliographie ne peut-elle pas aussi être considérée comme, à la fois, un patrimoine et une culture vivante qui évolue constamment?
Il s’agira alors de discuter trois points qui nous paraissent importants. Tout d’abord nous reviendrons sur le caractère artisanal et bricoleur de la bibliographie. Puis nous explorerons comment la bibliographie s’est saisie de l’art et du patrimoine pour enfin, en inversant la perspective, observer son propre devenir patrimoine. Sur le plan méthodologique, ce rapide état des lieux de l’histoire de la question bibliographique a été complété par une observation empirique du service livre ancien et bibliographie de la Bibliothèque d’Etude et du Patrimoine (BEP) de Toulouse (France) et de l’espace expographique du Mundaneum de Mons (Belgique). Ainsi nous proposons également de poursuivre la réflexion du lien entre bibliothèque et musée (COUZINET, 2013).
2 L’art de la bibliographie est un artisanat documentaire
Dans le chapitre intitulé “La bibliothèque d’Alexandrie, l’immense pouvoir des petits gestes” qu’Yves Jeanneret consacre aux lieux de culture (JEANNERET, 2011, p. 27), il rappelle le caractère tâtonnant, bricolant ou braconnant de ces “modestes opérations” documentaires que les grecs ont inventé et perfectionné dans l’antique bibliothèque-musée d’Alexandrie. Au-delà du repérage, de la collecte et de l’accumulation des livres et des écrits en tout genre il aura fallu inventer un art du classement et de la description. Le simple fait d’accumuler des documents primaires oblige en effet à inventer un autre type de document, le document secondaire qui décrit, résume, traduit le premier dans des listes, des inventaires et des catalogues. La bibliographie comme technique est née du besoin de lister les livres dans la collection de la bibliothèque. Cette liste référence des critères nécessaires au repérage et au signalement du savoir contenu dans les écrits[2]. Tout ce travail secondaire de description s’est fait petit à petit, au fur et à mesure des besoins de classement. Ce bricolage[3] documentaire est ainsi une construction individuelle que le bibliothécaire met en place pour aider les usagers à se repérer en créant des outils à partir des titres des ouvrages, des noms des auteurs, des noms de lieux ou des mots-matière repérés dans les textes. Ce faisant le bibliographe construit du sens à partir de ces éléments disparates de la forme et du contenu des textes.
Christian Jacob rappelait à son tour que “la modernité de cette bibliothèque universelle [celle d’Alexandrie] réside moins dans le rêve royal de réunir tous les livres de la Terre que dans les procédures intellectuelles mises en oeuvre par les lettrés et les savants pour maitriser cette accumulation et rendre productive cette mémoire absolue” (JACOB, 1996). En disant cela il pointe à son tour l’importance des techniques documentaires pour organiser la répartition de cette production du savoir dans l’espace de la bibliothèque. On comprend bien dès lors que la masse toujours plus grande des écrits rassemblés doit être maîtrisée pour être partagée et productive, mais il est rare de trouver des études sur le sujet du document secondaire. Les historiens des bibliothèques et du livre ont bien saisi cet impératif mais laisse souvent le soin de décrire ces techniques aux professionnels qui en sont chargés, préférant se concentrer sur le document primaire qu’ils qualifient d’archives et de sources[4]. Ce qui compte aux yeux de l’historien a longtemps semblé être d’avantage l’histoire de ces lieux, bibliothèque, centre d’archives, musées (Christian Amalvi), l’histoire du livre et de l’édition (Henri-Jean Martin) en tant que support de diffusion de l’information ou encore l’histoire de la lecture et des usages de l’imprimé (Roger Chartier) que celle, plus triviale peut-être, des outils de l’organisation du savoir. Pourtant, comme le dit très justement Yves Jeanneret avec son expression “l’immense pouvoir des petits gestes”, ces techniques documentaires et les produits documentaires (liste bibliographique, catalogue, index, inventaire…) qui en sont issus méritent d’être mis en lumière. Depuis les années 1990, les pouvoirs publics favorisent en France l’organisation, à l’automne, du Mois du Patrimoine écrit. Cette manifestation vise, selon le ministère de la Culture, à « sensibiliser l'opinion à la nécessaire inscription de l'écrit dans les politiques patrimoniales ». De nombreuses expositions montrent ainsi ces arts de faire documentaires en adoptant une approche diachronique. Nous ne citerons que deux exemples qui témoignent de cette historiographie et de la patrimonialisation de ce sujet.
Si l’exposition Tous les savoirs du monde: encyclopédies et bibliothèques de Summer au XXIe siècle, proposée à Paris à l’occasion de l’inauguration de la Bibliothèque nationale de France en 1996, restait conforme aux recherches classiques des historiens sur les lieux fixes du savoir (bibliothèque) et les objets mobiles de leur diffusion (tables bibliographiques et encyclopédies), une autre exposition parisienne en 2015 mettait le catalogue au cœur de son propos De l’argile au nuage: Une archéologie des catalogues (IIe millénaire av. J.-C. – XXIe siècle). En exposant la notion même de catalogue et en montrant les objets spécifiques qui ont servi à confectionner ces listes, des tablettes cunéiformes en cire, au mobilier de bois des fichiers des salles de lecture des bibliothèques, ces manifestations culturelles soulignent les deux préoccupations des chercheurs ou des professionnels, à savoir le renouvellement et la patrimonialisation. D’abord en montrant que le document secondaire se renouvelle sans cesse, devenant aujourd’hui numérique en migrant vers les banques de données, ces expositions et ces recherches montrent la vitalité de cette activité documentaire au service des lecteurs et des chercheurs. Ensuite, le rappel de l’histoire antique voire légendaire des bibliothèques et de la bibliographie inscrit ces questions dans le temps long de l’histoire et du patrimoine. La bibliographie est en effet désormais un objet d’histoire au même titre que la bibliothèque, le livre et le texte et peut entrer dans un processus de patrimonialisation.
3 La bibliographie numérique de l’art: exemple des manuscrits médiévaux
Les métiers de bibliothécaire, d’archiviste ou de documentaliste sont souvent catégorisés en fonction de leur caractère fonctionnel et auxiliaire. Ils sont en effet au service des chercheurs, des historiens, des scientifiques en général, et leur action se positionne au carrefour entre le document et l’usager, à la frontière entre les collections de livres et leurs usages. Mais, loin de se résumer à un ensemble figé de règles et de techniques, ancré dans des traditions professionnelles anciennes, la bibliographie peut, au contraire, être perçue comme une culture vivante qui évolue constamment, un moyen de médiation qui s’adapte aux renouvellements des supports.
La technique bibliographique est aujourd’hui numérique. D’un artisanat et d’un art de faire, on est passé à un développement quasi industriel. La puissance de calcul des ordinateurs permet de constituer des listes plus importantes, prenant en compte davantage de critères tout en absorbant des quantités toujours plus grandes de données. Les banques de données numériques sont les nouveaux outils bibliographiques, permettant d’appréhender une bibliothèque imaginaire ou idéale, rassemblant tous les savoirs du monde». L’utopie de la bibliothèque universelle a poussé les bibliographes à voir toujours plus grand. Paul Otlet est un de ces penseurs qui souhaitaient, à la fin du XIXe siècle, amplifier les techniques documentaires en tirant partie des techniques électriques et télégraphiques de son époque. Considéré aujourd’hui comme un visionnaire, son œuvre pour l’organisation mondiale des connaissances est qualifiée a posteriori de “google de papier”. Ses idées ont été consignées dans son livre testament, le Traité de documentation: le livre sur le livre paru en 1934. C’est aujourd’hui une référence pour les recherches en Sciences de l’information et de la communication (SIC) sur les fondements épistémologiques et théoriques de la bibliographie et plus largement sur l’organisation et la diffusion des connaissances scientifiques et techniques.
Les banques de données numériques sont considérées aujourd’hui comme les derniers avatars des répertoires bibliographiques imprimés. Les bibliothèques, les musées et les centres d’archives ont entrepris d’informatiser leurs catalogues et leurs collections dès les années 1980. Les chercheurs ont également produit des outils bibliographiques qui sont aujourd’hui des plateformes documentaires qui hybrident documents primaires et documents secondaires. L’originalité de ces nouveaux outils est justement cette connexion entre la métadonnée descriptive et les documents primaires numérisés. Nous avons déjà évoqué quelques exemples de ces nouveaux outils bibliographiques institutionnels créés et développés par les chercheurs du Centre national de la recherche scientifique (CNRS) à l’Institut de l’information scientifique et technique (INIST) ou par les professionnels des bibliothèques (COUZINET; FRAYSSE, 2018). Avec les banques de données PASCAL & FRANCIS[5], l’INIST est un des acteurs mondiaux de la valorisation scientifique et de la distribution de références bibliographiques depuis 1972. Il met à disposition un patrimoine bibliographique et scientifique issu du signalement de la production essentiellement française mais aussi mondiale.
Les banques de données et les plateformes numériques constituent donc les formes actuelles des répertoires bibliographiques. En s’inscrivant dans l’accélération de la mise en circulation des résultats de la recherche elles sont, désormais, produites par les grandes institutions de la recherche ou de la culture. Dans le cadre d’une recherche sur les médiations du livre médiéval (BIDERAN; FRAYSSE, 2019), nous avons eu l’occasion d’utiliser les banques de données et les outils bibliographiques d’une autre structure du CNRS, l’Institut de recherche et d’histoire des textes (IRHT)[6].
Cet institut du CNRS rassemble des spécialistes des manuscrits médiévaux et des imprimés anciens. Le livre y est étudié de manière globale depuis les supports matériels de l’écrit jusqu’à leur diffusion et leur réception en passant par l’écriture, la décoration, le contenu textuel et l’iconographie. Toutes ces recherches ont donné lieu depuis 1937 à l’IRHT à la production de nombreux instruments de travail mis à la disposition de tous les chercheurs et du public et notamment des banques de d’images, des reproductions de manuscrits du monde médiéval et de nombreuses éditions de textes. En réunissant une copie des livres manuscrits conservés dans les bibliothèques, les initiateurs de l’IRHT renouaient se faisant avec le désir ancestral de la bibliothèque universelle tout en utilisant des outils bibliographiques de gestion et de recherche innovant. La technique du microfilmage fut ainsi rapidement adoptée pour ce domaine scientifique de l’étude des écrits médiévaux et de leurs supports. En un peu moins de 75 ans, la filmothèque de l’IRHT a rassemblé plus de 63 000 reproductions intégrales de manuscrits provenant des bibliothèques françaises et du monde entier. À partir de 2007, la technologie de la photographie numérique, adoptée à l’IRHT dès qu’elle est apparue, et les possibilités de communication offertes par le Web, ont changé la donne. Les campagnes de numérisation[7] continuent d’enrichir la banque d’image Médium[8], une des premières créées à l’IRHT. Faite pour faciliter le libre accès à toutes ces ressources, elle a évolué pour devenir la colonne vertébrale d’un système de bases de données en lien les unes avec les autres, conformément à l’option qui privilégie aujourd’hui l’interopérabilité.
La bibliographie et les catalogues numériques évoluent et peuvent proposer une mise en visibilité plus grande des œuvres d’art et du patrimoine littéraire. Le Répertoire d'art et d'archéologie (RAA) est une publication bibliographique parue de 1910 à 1972 sous la direction de la Bibliothèque d'Art et d'Archéologie puis du CNRS qui recense des articles, monographies et catalogues de ventes de nombreux pays, sur tous les sujets relatifs à l'art et à l'archéologie. Le RAA a été publié en 69 livraisons ou fascicules. Il se compose d'environ 19 000 p. et 450 000 notices. L'intérêt de son informatisation et de sa mise en ligne réside dans la possibilité de faire des recherches transversales sur le contenu de toutes les notices de la publication. A cette fin, celle-ci a été numérisée en modes image et texte. Au sein de chaque notice, les auteurs, sujets, titres de périodiques (pour les articles) et lieux de ventes (pour les catalogues de ventes) ont été balisés de manière à former aujourd'hui autant d'index interrogeables. Il est également possible de faire des requêtes sur tout le texte des notices (souvent enrichies de résumés).
Par ailleurs, chaque bibliothèque conservant un fonds de livres anciens a lancé son programme de numérisation des manuscrits et des enluminures. Prenons quelques exemples: Au niveau national la BnF présente les siens sur Gallica[9]; en Aquitaine un programme de numérisation, piloté par la Direction régionale des affaires culturelles d’Aquitaine a abouti à un site web, les manuscrits médiévaux d’Aquitaine qui se présente comme une exposition virtuelle[10] et à Toulouse, la bibliothèque numérique Rosalis permet un accès documentaire à plus de 450 manuscrits[11]. Ces sites web et ces bibliothèques numériques donnent donc accès à des copies numériques des livres médiévaux. Cet accès est précieux pour les chercheurs qui peuvent ainsi travailler à distance et procéder à des comparaisons, mais aussi pour les bibliothèques qui peuvent éviter de trop nombreuses manipulations de ce patrimoine fragile.
4 Le devenir patrimoine de la bibliographie
En travaillant sur la notion de bibliographie et en se rendant à la bibliothèque de Toulouse, on constate en interrogeant le personnel dédié dans la salle patrimoine que les fiches catalographiques imprimées depuis le XIXe siècle ne sont plus accessible au public. L’accès au catalogue ne se fait plus que par l’intermédiaire des postes de consultation informatique. Les grands meubles de bois qui ornaient autrefois la grande salle de lecture sont désormais dans les magasins d’archives et ne sont montrés au public que lors des visites guidées de la bibliothèque. L’usage de ces outils bibliographiques a donc radicalement changé depuis la fin du XXe siècle. Devenus quasiment obsolètes depuis l’informatisation des catalogues, ils ont perdu leur valeur d’usage et deviennent les représentants d’un temps et d’une activité révolus. Le regard que l’on porte sur eux est désormais culturel et patrimonial.
L’aspect esthétique de la bibliographie est alors visible à travers ces objets médiateurs que sont les grands catalogues imprimés et reliés comme les manuscrits qu’ils décrivent. Le caractère patrimonial des fiches cartonnées des fichiers auteurs, matières ou topographiques a été mis en lumière par les auteurs de l’exposition De l’argile au nuage, une archéologie des catalogues qui rappelait que les premières fiches catalographiques ont été confectionnées sur des cartes à jouer au moment de la Révolution française.
Les chercheurs en muséologie ont théorisé le processus de patrimonialisation en insistant sur cette rupture d’usage ou rupture mémorielle. Jean Davallon a repéré les phases de redécouverte de l’objet tombé en désuétude. En l’étudiant et en le montrant au public dans un discours de médiation, on reconnait son importance dans l’histoire et son nouveau statut d’objet de patrimoine. Par ces traces matérielles, “la bibliographie de papier” est patrimonialisée: “le processus de patrimonialisation est celui par lequel un collectif reconnaît le statut de patrimoine à des objets matériels ou immatériels, de sorte que ce collectif se trouve devenir l’héritier de ceux qui les ont produits et qu’à ce titre il a l’obligation de les garder afin de les transmettre.” (DAVALLON, 2014). L'objet rentre ainsi dans une nouvelle vie sociale, en dehors de la logique de son usage, mais dans une pratique désormais patrimoniale.
Le principe de la patrimonialisation est double. D’abord sauvegarder une pratique ou un objet et ensuite que les visiteurs rencontrent ce patrimoine sauvegardé. La visite est destinée au public, qui peut découvrir un objet dont il ne comprend pas a priori le fonctionnement. C’est ce qui se passe aujourd’hui au Mundaneum de Mons en Belgique qui présente les catalogues sur fiches cartonnées de Paul Otlet comme un patrimoine documentaire. Le Mundaneum en effet dispose d’un superbe espace d’expositions Art déco dont la scénographie initiale est signée François Schuiten et Benoît Peeters. Les expositions et les visites guidées proposées, visent prioritairement la mise en valeur des collections du centre d’archive et permettent de mieux comprendre ce qu’est la bibliographie.
5 Conclusion
La bibliographie est un art de faire documentaire: les techniques de la description des livres et autres supports de connaissance n’ont cessé d’évoluer pour produire des listes et des catalogues, aujourd’hui numériques. Les petits gestes de la documentation ont permis aux chercheurs de constituer la science et le savoir. Sachant faire évoluer ce rôle médiateur entre la science et le public, la bibliographie constitue aujourd’hui également un patrimoine. Les outils qu’elle a produit entrent peu à peu dans un processus de patrimonialisation qui conduit les premiers objets médiateurs créés par les bibliographes jusqu’au musée.
A ce stade de l’avancée de notre réflexion sur la bibliographie nous pouvons dire qu’elle reste une technique documentaire, un art de faire qui évolue avec son temps et intègre les progrès techniques de chaque époque, un auxiliaire de la recherche. Néanmoins ceci n’exclue pas de l’interroger scientifiquement pour préciser de manière plus approfondie quelle part lui revient dans une science de l’information comme discipline académique et en particulier dans une de ces branches, la bibliologie. Cela mérite de continuer l’exploration de toutes ses facettes et de ses nombreux enjeux dans une perspective infocommunicationnelle
A ce stade de l’avancée de notre réflexion sur la bibliographie nous pouvons dire qu’elle reste une technique documentaire, un art de faire qui évolue avec son temps et intègre les progrès techniques de chaque époque, un auxiliaire de la recherche. Néanmoins ceci n’exclue pas de l’interroger scientifiquement pour préciser de manière plus approfondie quelle part lui revient dans une science de l’information comme discipline académique et en particulier dans une de ces branches, la bibliologie. Cela mérite de continuer l’exploration de toutes ses facettes et de ses nombreux enjeux dans une perspective infocommunicationnelle.
Referencias
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COUZINET, Viviane. Des pratiques érudites à la recherche: bibliographie, bibliologie. In: GARDIÈS, Cécile (dir). Approche de l’information-documentation: concepts fondateurs. Toulouse: Cépaduès, 2011. p. 167-186.
COUZINET, Viviane; FRAYSSE, Patrick. Bibliographie et bibliographes en France: des revues pour la circulation de la science. Bibliothecae.it, v. 7, n. 2, 2018, p.173-197. Disponible sur : https://bibliothecae.unibo.it/article/view/8943 DOI: 10.6092/issn.2283-9364/8943. Consulté le: 10 janv. 2019.
DAVALLON, Jean. A propos des régimes de patrimonialisation: enjeux et questions. In: Patrimonialização e sustentabilidade do patrimonio: reflexão e prospectiva. Lisboa, 2014. Disponible sur: https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-01123906/document. Consulté le: 11 juin 2018.
DE L’ARGILE au nuage, une archéologie des catalogues (IIe millénaire av. J.-C. – XXIe siècle). Catalogue d’exposition. Bibliothèque Mazarine / Bibliothèque de Genève / Editions des Cendres, 2015.
FRAYSSE, Patrick. Toulouse numérique et patrimoine 2.0: mémoires, médiations et animations du patrimoine toulousain. In: Réseaux et processus info-communicationnels: médiations, mémoires, appropriations, actes de la 2e Journée Scientifique Internationale MUSSI, 24-26 octobre 2012, Rio de Janeiro. p. 303-312.
HERNEBRING, Patrick. Présence sur Flickr: l’expérience toulousaine. In: Amar Muriel et Mesguich Véronique (dir.). Bibliothèques 2.0 à l’heure des médias sociaux. Paris: Èditions du Cercle de la Librairie, 2012. p. 111-124.
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JEANNERET, Yves. Where is Mona Lisa? et autres lieux de la culture. Paris: Le Cavalier Bleu, 2011.
MEYRIAT, Jean. Rapport sur les principes généraux du travail bibliographique international. Paris: UNESCO/CUA/82, 1957.
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Notes
Notes aux auteurs
patrick.fraysse@iut-tlse3.fr
viviane.couzinet@iut-tlse3.fr