Dossiê Temático Especial

Le Vivre-ensemble comme dispositif pluraliste

Vivendo juntos como um dispositivo pluralista

Living Together as a Pluralist Device

Bob White[1] Université de Montréal Marta Massana[2] Université de Montréal Stéphanie Larouche-LeBlanc, M.A.[3] Université de Montréal
Bob White[1] Université de Montréal Marta Massana[2] Université de Montréal Stéphanie Larouche-LeBlanc, M.A.[3] Université de Montréal, Canadá

Le Vivre-ensemble comme dispositif pluraliste

Periferia, vol. 11, n° 3, pp. 138-162, 2019

Universidade do Estado do Rio de Janeiro

Résumé: La question du vivre en société a toujours occupé l’esprit humain. Les plus grands philosophes se sont penchés sur cette question sous plusieurs angles et plusieurs points de vue. De nos jours, il n’est plus simplement question de vivre en société, mais de vivre dans des sociétés qui sont caractérisées par une présence grandissante de la diversité dans toutes ses formes (Vertovec 2014): comment peut-on vivre ensemble malgré toutes les différences qui nous séparent? Si la question du vivre-ensemble n’est pas tout à fait nouvelle, elle se pose dans de nouveaux contextes et dans des situations inédites. Le vivre-ensemble émerge d’abord d’une série de réflexions sur la difficulté de garantir l’harmonie sociale dans les sociétés contemporaines, mais, de plus en plus, ce « concept valise » est mobilisé pour des besoins institutionnels à l’échelle internationale, nationale et de façon très intéressante, à l’échelle municipale. Comme nous allons voir, la notion du vivre-ensemble a une importance particulière dans l’univers francophone. L’analyse que nous avons présenté dans cet article permet de voir que le vivre-ensemble est une notion qui est de plus en plus répandue depuis une vingtaine d’années. Les différentes déclinaisons du terme selon le contexte et la période démontre une diversification dans la signification et dans les usages. Quelque soit sa forme ou sa finalité, le vivre-ensemble, au contraire de ce que l’on pourrait penser, ne semble pas être un mode passager mais une expression multi-forme hautement contextualisée qui vise à répondre aux nouveaux défis de la mobilité humaine.

Mots clés: Vivre-ensemble, villes, virage muncipal, inclusion, interculturalisme.

Resumo: A questão de viver em sociedade sempre ocupou o espírito humano. Os maiores filósofos examinaram essa questão de vários ângulos e vários pontos de vista. Hoje em dia, não se trata apenas de viver em sociedade, mas de viver em sociedades caracterizadas por uma crescente presença de diversidade em todas as suas formas (Vertovec 2014): como podemos viver juntos apesar de tudo? diferenças que nos separam? Se a questão da convivência não é inteiramente nova, ela surge em novos contextos e em novas situações. A convivência inicial surge de uma série de reflexões sobre a dificuldade de garantir a harmonia social nas sociedades contemporâneas, mas, cada vez mais, esse "conceito de mala" é mobilizado para necessidades institucionais na escala internacional, nacional e muito interessante, a nível municipal. Como veremos, a noção de convivência tem uma importância particular no mundo francófono. A análise que apresentamos neste artigo mostra que a convivência é um conceito que se tornou cada vez mais difundido nos últimos vinte anos. As diversas variações do termo de acordo com o contexto e o período demonstram uma diversificação de significados e usos. Qualquer que seja sua forma ou propósito, viver juntos, ao contrário do que se pode pensar, não parece ser um modo passageiro, mas uma expressão multi-forma altamente contextualizada que visa responder aos novos desafios da mobilidade humana.

Palavras-chave: Convivência, cidades, volta municipal, inclusão, interculturalidade.

Abstract: The question of living in society has always occupied the human spirit. The greatest philosophers have examined this question from several angles and several points of view. Nowadays, it's not just a question of living in society, but of living in societies that are characterized by new and different categories of diversity (Vertovec 2014): how can we live together despite all differences that keep us apart? While the question of living together is not new, it arises in new contexts and in new situations. Living together initially emerges from a series of reflections on the difficulty of ensuring social harmony in contemporary societies, but, increasingly, this concept is mobilized for institutional needs on the international, national, and increasingly at the municipal level. As we will see, the notion of living together has a particular importance in the French-speaking world. The analysis we present in this article shows that living together is a concept that has become more and more widespread over the past twenty years. Uses of the term vary according to the context and the period demonstrating a diversification in meanings and uses. Whatever its form or purpose, living together, contrary to what one might think, does not seem to be a passing mode but a highly contextualized multi-form expression that aims to respond to the new challenges of human mobility.

Keywords: Living-together, cities, local-turn, inclusion, interculturalism.

Le Vivre-ensemble comme dispositif pluraliste

La question du vivre en société a toujours occupé l’esprit humain. Les plus grands philosophes se sont penchés sur cette question sous plusieurs angles et plusieurs points de vue. De nos jours, à l’ère de la super-diversité (VERTOVEC, 2014), il n’est plus simplement question de vivre en société, mais de vivre dans des sociétés qui sont caractérisées par une présence grandissante de la diversité dans toutes ses formes : comment peut-on vivre ensemble malgré toutes les différences qui nous séparent? Si la question du vivre-ensemble n’est pas tout à fait nouvelle, elle se pose dans de nouveaux contextes et dans des situations inédites. Le vivre-ensemble émerge d’abord d’une série de réflexions sur la difficulté de garantir l’harmonie sociale dans les sociétés contemporaines, mais, de plus en plus, ce « concept valise » est mobilisé pour des besoins institutionnels à l’échelle internationale, nationale et de façon très intéressante, à l’échelle municipale . Comme nous allons voir, la notion du vivre-ensemble a une importance particulière dans l’univers francophone.

Le vivre-ensemble dans la littérature académique

Un survol de la littérature scientifique autour de la notion du vivre-ensemble permet de constater la difficulté à circonscrire cette notion de manière précise. Cela dit, un consensus se dégage de la littérature en sciences sociales et humaines quant au lien entre le vivre-ensemble et les principes de la pensée pluraliste (WHITE, 2018). Du point de vue anthropologique, l’intérêt pour le vivre-ensemble naît du constat de la pluralité de formes de vie et de conceptions de l’univers qui se retrouvent au sein d’une même société. L’anthropologie est souvent citée comme discipline pionnière au regard de la question de la diversité humaine (SAILLANT, 2015; WHITE et al, 2017), un sujet qui, de nos jours, dépasse largement les frontières disciplinaires. De façon surprenante, les chercheurs de ce domaine spécialisé de la diversité humaine sont généralement réticents à reconnaitre le vivre-ensemble comme une notion ayant une validité scientifique, soit parce que celle-ci est difficile à définir, soit parce qu’elle fait souvent l’objet de récupération politique.

Selon Alain Touraine (1997), la difficulté de définir la notion du vivre-ensemble s’explique par le paradoxe qui se trouve au cœur des sociétés pluralistes : comment créer l’unité dans la diversité sans perdre de vue le principe de l’égalité ? Francine Saillant (2015) propose que le vivre-ensemble se décline en trois registres : en tant que métaphore, en tant qu’injonction et en tant qu’expression du domaine politique. Cette auteure soulève également le rapport intime qui existe entre le vivre-ensemble, ses contextes d’émergence et la langue :

Le vivre-ensemble [...] appartient à la langue, soit ici à un autre lieu d’articulation que celui des cadres politiques. Il appartient aux langues qui l’ont vu naître en tant qu’expression comme le français, l’anglais (living together) et d’autres qui l’ont reprise comme l’espagnol (convivir) et le portugais (viver juntos). (2015, p. 4).

Faisant écho aux préoccupations de la littérature francophone sur le sujet, la littérature anglo-saxonne récente en sciences sociales se penche sur la question de la convivialité (GILROY, 2004; NOWICKA ; VERTOVEC , 2014). Ces analyses semblent aller à l’encontre de l’image d’un multiculturalisme qui encourage le repli identitaire et contribue à l’émergence d’enclaves ethniques (WESSENDORF, 2010; WISE, 2007). D’autres études mobilisent la notion de « community cohesion » (CANTLE, 2007) ou de « living together » (WOOD ; LANDRY, 2008), mais ces formulations semblent être des traductions de concepts des langues romaines, non seulement le vivre-ensemble du français, mais aussi « conviviencia» de l’espagnol. Gimenez (2010) suggère de comprendre la « convivencia » dans un sens exigeant et dynamique, à partir d’un modèle qui situe les relations sociales sur un continuum : le conflit, la coexistence et la conviviencia. Si le conflitest un phénomène social indésirable, la simple coexistence pose des limites auxinteractions et à la recherched’unprojet de sociétépartagé, qui serait une des caractéristiques principales de la conviviencia.

Cette analyse permet de voir que le vivre-ensemble n’est pas seulement une dynamique sociale, mais aussi un projet normatif (TOURAINE, 1997) et nous savons que le cadre social et politique de chaque société aura nécessairement un impact sur l’expression du vivre-ensemble, que ce soit dans les institutions publiques ou dans la vie de tous les jours. Dans le même sens, Azdouz (2018) explique que le vivre-ensemble est un enjeu social, politique et économique. Dans cette logique, la façon de saisir le vivre-ensemble varie selon le contexte et le niveau d’analyse, mais aussi selon l’orientation politique ou idéologique. Autrement dit, la réalité plurielle des sociétés humaines rend difficile l’élaboration d’une définition commune de cette notion. Certains chercheurs vont jusqu’à dire que le vivre-ensemble serait une notion « intraduisible »(CASSIN, 2004).

En acceptant le caractère contextuel et pluriel du vivre-ensemble, certains chercheurs ont tenté de circonscrire la notion du vivre-ensemble dans des espaces et des périodes historiques précis. Amiraux, Boudreau et Germain (2017) font le constat du lien entre le vivre-ensemble (comme notion proposée par le groupe historiquement majoritaire) et la diversité de traditions de sociabilité qui, désormais, coexistent au sein de la société urbaine, en l’occurrence celle de Montréal. Ces différentes visions du vivre-ensemble auront à priori une influence aussi sur les situations de cohabitation, qu’elles soient d’ordre conflictuel ou convivial. De ce point de vue, la recherche en sciences humaines nous pousse à aborder la question du vivre-ensemble au pluriel, c’est-à-dire en tenant compte de la « nécessité de postuler plusieurs principes pour expliquer la constitution du monde » (SAILLANT, 2015).

Si certains chercheurs ont posé un regard sociologique sur le vivre-ensemble, d’autres se sont davantage penchées sur les aspects normatifs de la question, notamment en sciences politiques, en droit et en philosophie. Pour les chercheurs dans ces domaines, il y a une obligation morale et juridique de donner des réponses aux dynamiques sociales qui interfèrent avec la capacité de vivre ensemble dans des contextes de diversité grandissante (SCHREIBER; FOBLETS, 2013). Les États et les différents paliers de gouvernement doivent garantir les conditions favorables au vivre-ensemble (ROCHER, 2017; WHITE et al, 2015), mais les citoyens (GAGNÉ ; NEVEU, 2009; LAMOUREUX, 2001; MINTZBERG, 2003) et les acteurs économiques (HELLY, 1999; SEN, 2012) ont également la responsabilité de contribuer au vivre-ensemble. Selon Rachida Azdouz, les différents modèles de la gestion de la diversité (elle en nomme trois : républicanisme, multiculturalisme et interculturalisme) sont tous des modèles qui visent à promouvoir le vivre-ensemble et chaque modèle propose des éléments pour faciliter la cohésion sociale en contexte de diversité :

En fait, le modèle idéal de vivre ensemble reste encore à construire. Il pourrait emprunter au républicanisme français son souci de cohésion sociale, au multiculturalisme anglo-saxon son désir de coexistence pacifique, et à l’interculturalisme son penchant pour l’interaction et la co-construction sur une base commune (2018, p. 111).

Saillant (2015) présente le vivre-ensemble comme une « métaphore organisatrice » qui permet de comprendre comment les sociétés contemporaines composent avec la diversification de la sphère publique. Azdouz (2018) propose que le vivre-ensemble soit compris comme un « pari » auquel il y a généralement trois types de « réponses » : juridiques, pédagogiques, et socio-économiques. White (2015) propose de concevoir le vivre-ensemble comme un « scénario » qui permettrait de penser les changements sociaux à travers les lunettes du pluralisme. Selon White, la définition du vivre-ensemble doit mettre l’accent sur la possibilité de se fixer des objectifs communs : « Le ‘vivre-ensemble’ pourrait être défini comme une cohabitation harmonieuse qui permet l’émergence d’un projet de société commun entre personnes d’origines diverses qui partagent un même territoire » (WHITE, 2015, p. 58).

On peut remarquer la difficulté à définir le vivre-ensemble dans le milieu de la recherche académique. Pour les raisons évoquéesprécédemment, la signification et le déploiement du vivre-ensemble varient beaucoup d’un contexte à un autre et le vivre-ensemble est toujours à risque de se faire instrumentaliser par le politique (DUHAMEL ; ESTIVALÈZES, 2013; HALL, 2013 ; SAILLANT, 2015). S’il n’y a pas de consensus dans les différents milieux académiques autour de la notion du vivre-ensemble, il ne faut pas s’étonner du fait que dans les milieux institutionnels, l’expression devienne aussi une source de confusion.

Le vivre-ensemble selon les organisations internationales

Comme dans les milieux académiques, il existe une diversité de façons de parler du vivre-ensemble au sein des organisations internationales. Cela dit, on peut circonscrire l’émergence du vivre-ensemble dans un moment de l’histoire assez précis, soit celui de la fin de la 2e Guerre mondiale et des premiers pas vers l’édification d’une « nouvelle Société des Nations ». Par une lecture transversale de quelques documents clés des organisations internationales reconnues, nous pouvons constater que la notion de vivre-ensemble émerge dans le contexte de la reconstruction de l’Europe qui visait le rétablissement de la paix et la réconciliation entre les nations.

Le fait que ce lien entre « paix » et « vivre-ensemble » soit explicitement repris par plusieurs des pays qui se trouvent dans des contextes de réconciliation nationale à la suite de conflits armés met en lumière le fait que les notions de conflit et de paix seraient des éléments constitutifs du vivre-ensemble. Ce n’est pas par hasard que des textes des Nations Unies décrivent « la paix [comme] une expression du vivre-ensemble »(ONU, 2017a). Dans plusieurs publications, la capacité du vivre-ensemble est exposéeà partir d’un certain nombre de composantes liées à la réconciliation: la reconnaissance des différences, la non-violence, la lutte contre les exclusions, la recherche du consensus par l’écoute et le dialogue. De ce point de vue, la promotion d’une « culture de la paix » ne fait pas allusion uniquement à l’absence de guerre.

Dans le langage des organisations internationales, deux autres notions sont mobilisées pour parler du vivre-ensemble : la sécurité et l’inclusion. La s.curit. apparaît comme une mesure de prévention ; condition sine qua non pour garantir la convivialité au sein des sociétés. Dans ce sens, le vivre-ensemble se veut à la fois comme un objectif, mais aussi comme une mesure de prévention en soi pour garantir la paix et la non-violence (UNESCO, plusieurs). Le vivre-ensemble, dans ce cas, serait l’expression d’une action (ou d’une absence) qui peut contribuer à la lutte contre la violence. L’inclusion est souvent exprimée par opposition à l’exclusion (CGLU, 2017). Elle est également conditionnelle à la garantie de l’égalité de droits et de ressources permettant aux citoyens de participer pleinement au développement économique, politique, social et culturel de la société. Ainsi, les milieux inclusifs privilégient le vivre-ensemble et contribuent à l’égalité des droits et à la pleine jouissance de ces derniers par l’ensemble des citoyens (ONU, 2015).

Au sein des organisations internationales l’expression « Vivre ensemble » a principalement été définie comme un objectif à atteindre, comme un projet visant à garantir la paix, la cohésion, sociale et la participation citoyenne. Depuis la fin de la 2. Guerre mondiale, plusieurs organisations internationales se sont alignées derrière la préoccupation du vivre-ensemble, dont voici quelques exemples :

Concernant l’inclusion, le message était que les villes attiraient toutes sortes de personnes différentes et qu’elles devaient donc garantir et créer un espace sûr pour la diversité, ce qui exigeait un engagement portant sur la participation des parties prenantes (ONU-HABITAT, 2017b).

Half of humanity now lives in cities, and within two decades, nearly 60 per cent of the world’s people will be urban dwellers…As cities grow in size and population, harmony among the spatial, social and environmental aspects of a city and between their inhabitants becomes of paramount importance. This harmony hinges on two key pillars: equity and sustainability (ONU-HABITAT, 2009).

Dans la documentation des organisations internationales, il y a une tendance à définir le vivre-ensemble, non pas en soi, mais par rapport à ces composantes. Ainsi, le vivre-ensemble a été défini en termes d’inclusion, de paix, de sécurité, de développement durable, de cohésion sociale, etc. Toutes ces notions qui composent le vivre-ensemble sont complémentaires et connexes, mais ne constituent pas des définitions dans le sens fort du terme. Parmi les organisations internationales qui ont tenté de définir le vivre-ensemble de manière précise, mettant l’accent sur l’aspect relationnel, soulignons principalement le Conseil de l’Europe (2010). Dans son rapport Vivre ensemble - Conjuguer diversité et liberté dans l’Europe du XXIe siècle, le Conseil de l’Europe propose la définition suivante :

« Vivre ensemble » signifie interagir, et pour que cela puisse se faire paisiblement et de manière fructueuse dans des communautés différentes, il doit y avoir dialogue entre les membres de groupes ethniques, religieux et culturels différents. C'est là un processus qui ne peut pas être à sens unique : la population majoritaire doit accepter les minorités, et ces dernières doivent accepter certaines « règles du jeu » et responsabilités locales, même si elles sont nouvelles à leurs yeux. Ce processus d'ajustement mutuel peut entraîner des frictions et des difficultés, auxquelles les collectivités locales et régionales doivent faire face (CONSEIL DE L'EUROPE, 2010, p. 51).

En ce qui concerne les stratégies favorisant le vivre-ensemble, plusieurs documents cadre et d’orientation des organisations internationales soulèvent l’éducation à la citoyenneté démocratique et aux droits de l’homme.

La prise de conscience croissante du rôle essentiel que joue l’éducation dans la promotion des valeurs de la démocratie, des droits de l'homme et de l’état de droit s’est traduite par l'adoption de la Charte sur l’éducation à la citoyenneté démocratique et l’éducation aux droits de l'homme (ECD/EDH) par les 47 États membres de l'Organisation. Faire en sorte que cette éducation soit plus efficace est devenu un impératif pour les états membres du Conseil de l’Europe et c’est le thème central du Rapport 2017 sur la situation de l’éducation à la citoyenneté et aux droits de l'homme en Europe (Rapport 2017 du Conseil de l’Europe « Apprendre à vivre ensemble »).

Il existe également un consensus parmi les organismes internationaux en ce qui concerne la gouvernance du vivre-ensemble. Suite à l’élaboration de plusieurs études qui démontrent l’existence d’une corrélation positive entre le succès des stratégies favorisant le vivre-ensemble et le degré de coordination entre les acteurs et les paliers de gouvernement impliqués, la communauté internationale prône un modèle de gouvernance qui intègre l’ensemble des acteurs locaux ainsi que la coordination avec les autres paliers de gouvernements concernés.

La Commission permanente de l’AIMF réunieà Beyrouth du 27 au 30septembre 2016 à l’occasion du Congrès de l'AIMF et qui s’est tenu autour du thème « Construire la ville du Vivre ensemble», a été l’occasion de souligner le lancement de cette commission. La proposition suivante a été adoptée à la fois pour tenter de définir ou de mieux circonscrire le vivre-ensemble, mais aussi pour soulever le rôle de la bonne gouvernance : « Le Vivre ensemble comprend l’obligation des collectivités d’adapter leurs actions afin de construire des valeurs communes pouvant garantir une bonne gouvernance locale » (AIMF, 2016). Cette définition est plus limitative que celle proposée par le Conseil de l’Europe, mais elle fait ressortir l’importance de l’échelle municipale et le rôle important de la gouvernance dans les quartiers et les milieux de vie, un aspect qui est souvent absent des définitions académiques ou onusiennes. En outre, le congrès de Beyrouth est probablement un point tournant dans la conception du vivre-ensemble. Désormais, nous assistons au dépassement de la notion de « vivre ensemble » associée plutôt à des notions de « cohabitation » et nous assistons à l'émergence d’un nouveau discours officiel sur le « construire ensemble » qui renvoie à la notion de « convivialité » ou de« convivencia » proposée par le chercheur espagnol Carlos Giménez.

Afin de mieux circonscrire le vivre-ensemble dans la quotidienneté et dans la responsabilité des municipalités et de leurs maires à l’issue du XIIe Congrès de Metropolis et de la 37e Assemblée générale de l’Association internationale des maires francophones (AIMF) en juin 2017 à Montréal, les maires des grandes villes du monde ont proclamé la Déclaration de Montréal. Cette déclaration est considérée « document historique » car il « présente les engagements des villes à faire front commun pour relever les grands défis locaux et globaux, notamment en mettant en œuvre l’Accord de Paris sur le climat » de même qu’il « témoigne du leadership et de l’implication des villes pour faire face aux enjeux majeurs de notre époque » (UMQ, 2017).

Suite à cette série de constats issus de l’analysesur la mobilisation de la notion du vivre-ensemble par la communauté internationale, nous pouvons en arriver à deux conclusions principales: 1) le Conseil de l’Europe et la Commission permanente de l’AIMF sont les organisations internationales qui ont plus clairement proposé des définitions du vivre-ensemble proprement dites plutôt que de le faire par le biais de concepts ou de principes connexes; 2) comme pour le cas de la littérature académique, il n’y a pas (ou peu) de définitions précises du vivre-ensemble dans les déclarations des organisations internationales. La plupart du temps, la littérature grise des organisations internationales parle du vivre-ensemble en tant que quelque chose (sécurité, citoyenneté, paix) ou par rapport à quelque chose (inclusion, diversité, tolérance). Un certain nombre de concepts ou de notions reviennent souvent dans les déclarations et les documents officiels : la paix, la reconnaissance des différences, la non-violence, la solidarité, la lutte contre les exclusions, la recherche du consensus par l’écoute et le dialogue, la prévention, la sécurité, la participation citoyenne. Ces notions-clés sont parfois définies, parfois non, mais en général, leur rapport avec le vivre-ensemble n’est pas clairement établi, ce qui semble être moins le cas quand on regarde l’utilisation de ce concept à l’échelle municipale.

Le vivre-ensemble en contexte municipal

Que ce soit dans les villes (c’est-à-dire dans les différents espaces et milieux de vie) ou par les villes (à travers les politiques et programmes qui visent la participation citoyenne et l’inclusion sociale), la notion du vivre-ensemble devient de plus en plus importante dans le contexte de l’action municipale. La ville, en tant que palier de gouvernement le plus proche des citoyens, occupe une place centrale dans la mise en œuvre du vivre-ensemble, et pas seulement dans les pays industrialisés du Nord. C’est à partir de ce constat que l’Observatoire international des maires sur le vivre-ensemble a été créé. Cette instance intermunicipale est issue d’une déclaration de 23 villes sur la scène internationale qui se sont réunies lors du Sommet international des maires sur le Vivre ensemble tenu à Montréal en juin 2015 :

Les réseaux internationaux de villes comme l’Observatoire international des maires sur le vivre-ensemble et l’Association internationale des maires francophones ont la capacité de mobiliser un grand nombre de villes qui voient le potentiel de la notion du vivre-ensemble dans la promotion des pratiques inclusives. Ces réseaux ont accès à une diversité de pratiques et la concertation entre les villes à l’échelle internationale devient de plus en plus une source d’intérêt à l’échelle locale, que ce soit pour le renforcement des capacités ou dans le but de la mobilisation politique.[4]

Dans le cadre de ses travaux, l’Observatoire s’est doté d’une définition du vivre-ensemble articulée sur trois axes principaux : la reconnaissance de la diversité sociale et culturelle, la recherche de la cohésion sociale et la garantie de milieux urbains sécuritaires et inclusifs : « Le vivre ensemble fait référence aux défis et aux initiatives en lien avec la gestion de la diversité sociale et culturelle, la cohésion sociale et la sécurité quotidienne en milieu urbain » (OIMVE, 2018. Présentation inédite.) Plusieurs des villes en faisant partie se sont également dotées de définitions propres à leur contexte. À titre d’exemple, la Ville de Douala au Cameroun a identifié un certain nombre de concepts-clés pour parler de vivre-ensemble : « l’économie sociale et solidaire, les alternatives, l’entrepreneuriat collectif, le réseautage, les dynamiques territoriales, la valorisation des potentiels endogènes ». La Ville de Québec s’est aussi dotée de sa propre vision du vivre-ensemble. Dans ce contexte, le vivre-ensemble est une composante de l’approche en matière de sécurité urbaine relevant de la direction générale. Cette approche appuie le vivre-ensemble sur trois piliers ou volets soit : 1) des milieux de vie sécuritaires, 2) la rencontre et 3) la santé et le bien-être.

Dans une étude récente effectuée pour la Ville de Montréal, en collaboration avec l’AIMF, une typologie de l’action municipale en matière de vivre-ensemble en 15 catégories a été développée[5]. En étudiant les moyens déployés par les villes, on constate que la forte majorité des villes à l’étude (80%) ont mis en place des mécanismes de concertation sur leur territoire respectif afin d’assurer un dialogue sur le vivre-ensemble. On retrouve également chez 80% des villes, des programmes de soutien aux groupes spécifiques. Si la promotion de la diversité crée des malaises chez plusieurs villes par peur de créer de la discrimination dans la population, il ne semble pas avoir de problèmes à mettre en place des actions et des programmes qui visent des populations spécifiques telles que les minorités visibles, les jeunes délinquants ou encore les nouveaux arrivants. Enfin, il est aussi intéressant de remarquer que le nombre le plus important de moyens provient du renforcement de la culture citoyenne.

Nous avons utilisé le modèle « 3D » de White (2017) pour faire une analyse des courants pluralistes dans l’action municipale associée avec le vivre-ensemble. Cette grille d’analyse nous a permis de classer les principes, les objectifs et les moyens des villes dans 4 grands courants: la reconnaissance de la diversité, la lutte contre la discrimination, le rapprochement par le dialogue et la participation citoyenne. Selon l’analyse effectuée, le courant citoyen est le plus représenté, et ce, autant au niveau des principes, des objectifs et des moyens. Nous expliquons ce résultat par l’importance des cadres civiques dans la gouvernance de proximité. Les courants « diversité » et « discrimination » sont, quant à eux, moins bien représentés aux trois niveaux. Cependant, on a remarqué que certains principes et moyens du courant « discrimination » étaient aussi couverts par le courant « citoyen », ce qui expliquerait qu’ils soient en moins grand nombre. Au niveau de l’analyse spatiale, nous remarquons que les villes d’Amérique du Nord ont plus d’expertise avec le courant « discrimination » alors que les villes du Sud conçoivent bien souvent le vivre-ensemble dans une logique de réconciliation et de prévention du conflit.

La dernière partie de notre analyse portait sur la mise en œuvre du vivre-ensemble dans les villes francophones. Les résultats de ces analyses ont permis de dégager certains principes de gouvernance sous-tendant l’action des villes pour le vivre-ensemble. Premièrement, les villes qui ont participé à l’étude mettent l’accent sur la transversalité du vivre-ensemble. Ceci se répercute dans la coordination entre les divers services municipaux de la ville centre et des arrondissements. Deuxièmement, les professionnels accordent beaucoup d’importance à la mobilisation et à la concertation, tel que constaté dans l’analyse de la typologie. Ceci n’est pas étonnant puisque la concertation est un des instruments de gouvernance locale prisés par les villes (LAROUCHE-LEBLANC, 2018). Troisièmement, le leadership politique a une grande importance sur la pérennité des stratégies de gouvernance locale. Finalement, la sécurité urbaine apparaît comme composante importante du vivre-ensemble dans l’établissement de confiance auprès des populations, ainsi que dans la création d’un sentiment de sécurité. Bien que l’analyse des documents écrits ne soit pas systématique, ces tendances issues d’une analyse comparative représentent un début intéressant pour d’autres analyses dans l’avenir.

On pourrait considérer un cas plus en profondeur, celui de la Ville de Montréal, afin de mieux comprendre comment le vivre-ensemble se décline sur un territoire local.[6] Avec l’arrivée du maire Coderre à la mairie de Montréal (2013-2017) nous assistons au début d’une nouvelle ère dans la gestion de la diversité ethnoculturelle par l’administration montréalaise. On pourrait qualifier ce changement de deuxième « virage municipal » (FOUROT, 2013, 2015 ; WHITE, 2017). Selon les recherches menées par Aude-Claire Fourot (2013), nous avons assisté à la fin des années 80 à un virage municipal en matière de gestion de la diversité qui coïncide avec le tournant néolibéral de la politique canadienne au milieu des années 80 et un transfert de responsabilités du gouvernement de Québec vers les municipalités.

Dans la seconde moitié des années 1980, on observe la poursuite de la décentralisation dans un contexte économique néolibéral, des discours qui mettent l’accent sur les rôles des villes quant aux relations interculturelles [...] (2013, p. 78).

Ce deuxième virage ajoute deux nouveaux éléments au domaine des relations interculturelles au niveau municipal : un d’ordre conceptuel et discursif (1) et un autre de l’ordre de la praxis et la gouvernance (2). Quant au premier, le vivre ensemble apparait comme l’expression phare, mais aussi comme le projet politique de cette nouvelle ère à la Ville de Montréal en ce qui a trait aux enjeux liés à l’immigration et à la gestion de la diversité ethnoculturelle.

Sur le plan discursif, le vivre ensemble mobilisé pendant cette période a été défini à partir des composantes suivantes :

La notion de villes accueillantes (1) qui émerge dans les années 1990

[...] [qui renvoie] à un lieu précis — dans le contexte de l’immigration, il s’agit d’un endroit qui cherche à attirer et à retenir les immigrants (BEHBEHANI, 2008, cité dans ESSES et al, 2010, p. 10).

Des recherches récentes (BELKHODJA, 2009) font ressortir que la notion de ville accueillante a été choisie par les municipalités comme une nouvelle marque de promotion de ces villes à l’international sous la bannière du principe de solidarité entre les peuples et des avantages que représenterait la diversité en termes de développement économique des sociétés accueillantes.

La notion de vivre ensemble utilisée par la Ville ces dernières années est intimement associée à celle d’intégration économique (2). La cohabitation harmonieuse au sein des sociétés diverses relèverait donc de questions strictement économiques et d’intégration au marché de l’emploi. Cette vision laisse de côté des aspects essentiels de la cohabitation et de l’établissement de relations harmonieuses au sein des villes, par exemple la gestion de la diversité religieuse. Cette vision économiciste de l’accueil et de l’intégration ainsi que de la diversité comme avantage économique pour les villes se reflète aussi dans la vision de la Ville présentée dans son Cadre stratégique des relations internationales de Montréal en août 2017 :

Montréal se démarque comme une métropole attractive et un milieu exceptionnel pour qui veut y travailler, étudier, créer et innover. Pour ce faire, elle mise sur son ouverture, son caractère distinctif – à la fois francophone et cosmopolite imprégnée du vivre ensemble – son dynamisme économique, sa richesse culturelle et la diversité de ses talents (VILLE DE MONTRÉAL, 2017, p. 4).

Le vivre ensemble s’est finalement construit sur le développement d’un discours basé sur la prévention de la radicalisation, la sécurité et la vigilance (3). Ce discours n’est pas unique à Montréal, mais s’est renforcé et s'est ancré davantage dans la plupart des sociétés occidentales, particulièrement après les événements du 11 septembre 2001.

Depuis le 11 septembre 2001, les cadres politico-étatiques de la pluralité ont été mis à mal et malheureusement, pour nombre de politiciens et de citoyens, ils devraient être remplacés par les modèles sécuritaires, ce qui nous conduit au déficit démocratique que nous observons aujourd’hui plus que jamais (SAILLANT, 2015, p. 4).

Dans le prolongement de ce discours, le maire Coderre soulevait la préoccupation suivante dans le cadre de l’Observatoire international des maires pour le vivre ensemble :

Comment les grandes villes cosmopolites peuvent-elles continuer à croître et à prospérer sur les bases de cette diversité tout en assurant à leurs citoyens un milieu de vie inclusif et sécuritaire ? Comment peut-on soutenir la ville ouverte, diversifiée et accueillante, tout en prévenant l’exclusion et la discrimination ? Comment peut-on trouver l’équilibre idéal entre ouverture et vigilance ? (Denis Coderre, Observatoire international des maires pour le vivre ensemble).

C’est au niveau local que se vit tous les jours l’inclusion, condition essentielle du « Vivre ensemble ». Une nouvelle dimension vient s’ajouter à la notion de « vivre ensemble » : la vigilance vis-à-vis des atteintes à la sécurité et, notamment face à des actes de radicalisation et de violence.

[...] Je ne crois pas que les deux notions doivent s’opposer : je suis plutôt d’avis que l’on doit s’efforcer de rechercher et de maintenir un équilibre entre les deux. La diversité est une richesse pour Montréal et il faut la préserver, l’entretenir et la faire progresser (Denis Coderre, Observatoire international des maires pour le vivre ensemble).

Parallèlement à l’Observatoire international des maires pour le vivre ensemble, le Centre de prévention de la radicalisation menant à la violence (CPRMV), le premier en la matière au Canada et en Amérique du Nord, a été crée en mars 2015 à Montréal. Bien qu’il émane de la volonté de gouvernement du Québec, il vient renforcer le lien grandissant, notamment depuis les événements du 11 septembre, entre diversité ethnoculturelle, radicalisation et vivre ensemble. Tel qu’exprimé par son président :

La radicalisation violente est un phénomène préoccupant qui, parce qu’il menace la sécurité des personnes et le tissu de notre vivre ensemble, constitue une véritable problématique de société (CPRMV, s.d).

Dans le cas de Montréal et de l’administration Coderre, il faut rajouter à ces arguments, l’existence d’une vision politique de la gestion de la diversité beaucoup plus proche du modèle multiculturaliste canadien (4) que du modèle interculturaliste articulé par le gouvernement du Québec depuis les années 90. Selon les recherches ethnographiques de Massana (2018), il existait, au sein de l’administration Coderre, une volonté manifeste de s’éloigner de la notion d’interculturalisme et de remplacer cette dernière par celle de vivre-ensemble. Ceci remet en question la volonté de l’administration montréalaise de poursuivre le modèle interculturaliste québécois de gestion de la diversité en tant que projet politique et sociétal spécifique au contexte québécois et qui est différent de celui du reste du Canada anglais. On voit ainsi que le vivre-ensemble a été utilisé de manière stratégique pour placer la notion d’interculturalisme en arrière-plan politique puisqu’elle serait associée à un projet politique auquel l’administration Coderre ne semblait pas adhérer : la souveraineté du Québec.

Sur le plan pragmatique, le vivre ensemble à l’ère Coderre s’est concrétisé par la mise en place de nouvelles structures non coordonnées entre elles, contribuant à un éclatement de services et d’acteurs municipaux qui met en question le principe de subsidiarité et l’approche transversale privilégiée par Montréal jusqu’à ce moment-là, en matière d’immigration et de relations interculturelles. Cela crée aussi des confusions quant aux mandats de ses différentes structures mises en place. Ainsi, au Service de la diversité sociale et des sports (SDSS), s’y rajoutent le Bureau d’intégration des nouveaux arrivants (BINAM), l’Observatoire international des maires sur le vivre ensemble et l’Observatoire international des maires pour le vivre ensemble, le Centre de prévention de la radicalisation menant à la violence (CPRMV). Cette nouvelle configuration de l’architecture municipale en ces matières a eu comme résultat, en termes pragmatiques, la mise en place d’une action de plus en plus centrée sur le caractère économique de l’intégration des personnes immigrantes, l’attraction et la rétention de main d’œuvre et la lutte contre la violence et la radicalisation ; évacuant ainsi toute la dimension sociale et interculturelle de l’intégration.

Pourquoi le vivre-ensemble ? Pourquoi maintenant ?

On peut se poser la question à savoir pourquoi le vivre-ensemble émerge dans les villes comme dispositif pour organiser la pensée ou mobiliser différentes catégories d’acteurs. Dans le cas de plusieurs villes au Québec, une province où les paradigmes de l’action publique en matière d’intégration et inclusion sont coincés dans un système qui est parfois paralysé dans l’opposition entre le multiculturalisme et l’interculturalisme, l’utilisation du vivre-ensemble représente une porte de sortie en tant que stratégie politique. Parler du « vivre-ensemble » permet de faire trois choses principalement : 1) insister sur la quête d’identité commune ou de projet de société qui traverse tous les systèmes politiques pluralistes, mais particulièrement les systèmes républicains francophones (WHITE, 2015); 2) introduire un langage qui permet la reconnaissance de différentes communautés, voire différentes visions du monde, à travers l’idéologie du rapprochement qui serait au cœur de la pensée interculturaliste sans être obligé d’évoquer le débat politique entre le multiculturalisme et l’interculturalisme ; 3) Répondre aux besoins des instances de gouvernance locale qui doivent assurer une paix sociale sur un territoire particulier sans reproduire les idéologies politiques des États qui ont tendance à diviser les communautés par rapport à leur droit d’occuper l’espace.

On peut également se poser la question de savoir pourquoi le vivre-ensemble émerge maintenant. Suivant l’analyse de Fall (2015), il est difficile d’ignorer le fait que la notion du vivre-ensemble émerge en même temps que la montée globale du terrorisme, trop souvent réduit à son association avec l’Islam. Est-ce que l’on peut lire le vivre-ensemble comme symptôme d’une islamophobie ambiante dans le monde occidental ? D’autres analyses permettent de comprendre l’émergence du vivre-ensemble comme une réponse au sentiment de fatigue généralisée non seulement avec la diversité (CÔTÉ, 2018), mais avec le multiculturalisme comme paradigme globalisant de la « gestion de la diversité » (VERTOVEC ; WESSENDORF, 2010; WHITE, 2019). En ce sens, le vivre-ensemble serait une réponse locale et régionale au besoin d’agir aux nouvelles formes de tensions sociales sans pour autant avoir recours au modèle dominant des pays anglo-saxons du Nord, qui de plus en plus ne sont pas capables de revendiquer une position de légitimité ou d’autorité morale par rapport à la mise en œuvre du pluralisme.

L’analyse que nous avons présentée dans cet article permet de voir que le vivre-ensemble est une notion qui est de plus en plus répandue depuis une vingtaine d’années. Nous avons essayé de démontrer que le réflexe constructiviste de dire que le concept du vivre-ensemble ne veut rien dire ne tient pas debout du point de vue sociologique (AZDOUZ, 2018). Les différentes déclinaisons du terme selon le contexte et la période démontrent une diversification dans la signification et dans les usages. Le vivre-ensemble veut dire beaucoup de choses, mais au lieu de le disqualifier comme un concept « flou » ou « fourre-tout », on doit l’investir avec des analyses approfondies et contextualisées pour mieux comprendre sa carrière conceptuelle et sa façon d’influencer les dynamiques sociales. Parfois, il fonctionne comme outil fédérateur pour effectuer un rapprochement ou pour garantir la paix sociale. Ailleurs, il sert de défense contre des paradigmes universalisant ou pour se protéger contre des populations considérées comme menaçantes. D’un autre point de vue, le vivre-ensemble pourrait fonctionner comme « scénario » pour imaginer l’avenir.

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[1]Professeuraudépartement d’anthropologie à l’Université de Montréal et directeurduLaboratoire de recherchesenrelationsinterculturelles (LABRRI). bob.white@umontreal.ca

[2]Ph.Denanthropologie de l’Université de Montréal et postdoctorande à l’universté TÉLUQ.marta.massana@icloud.com

[3]Diplôméeenanthropologie à l’Université de Montréal. stephanie.larouche.leblanc@gmail.com

[4]Il existe un nombre important de réseaux internationaux de villes qui utilisent des notions complémentaires au vivre-ensemble (Conseil de l’Europe, EuroCities, Welcoming America, et bien d’autres), mais ces réseaux travaillent à partir de différents mandats et bases conceptuelles (White, en préparation).

[5] Ces catégories sont: campagnes de sensibilisation, politiques ou déclarations, cadres de référence, plans d’action, création d’instances municipales, mécanismes de concertation, mécanismes de consultation, mécanismes de médiation, programmes de formation, études et diagnostics, programmes de soutien aux groupes spécifiques, activités de rapprochement, renforcement de la culture citoyenne, outils d’évaluation, sorties ou déclarations d’élus.

[6] L’analyse sur la Ville de Montréal vient principalement de la thèse de doctorat de Massana, M. (2018) « L’agir institutionnel » en matière d’immigration et de relations interculturelles à la Ville de Montréal : une approche ethnographique. Université de Montréal.

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