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La philosophie de la mécanique quantique de Gaston Bachelard1
David Velanes
David Velanes
La philosophie de la mécanique quantique de Gaston Bachelard1
The philosophy of Gaston Bachelard's quantum mechanics
Griot: Revista de Filosofia, vol. 21, n° 1, pp. 180-194, 2021
Universidade Federal do Recôncavo da Bahia
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Résumé: Gaston Bachelard (1884-1962), philosophe français, a suivi une période de ruptures, c'est-à-dire celle des changements conceptuels et méthodologiques de la physique contemporaine. Il est l'un des penseurs majeurs ayant présenté d’importantes analyses pour la compréhension de l'atomistique contemporaine. Cet article met en lumière ses principales réflexions philosophiques sur les fondements de la mécanique quantique. Pour cela, il mobilise des concepts centraux de son épistémologie sans lesquels ses idées deviennent incompréhensibles. Ainsi, cet article se propose de mettre en évidence comment la physique rompt avec les idées scientifiques et philosophiques traditionnelles dans la première moitié du XXe siècle, présentant un nouvel objet de connaissance, à savoir les corpuscules quantiques. Afin de caractériser la philosophie de la physique quantique bachelardienne, nous mettons en évidence, après l’auteur, la nature des particules atomiques, comment est constituée l'activité scientifique de cette science dans la création de nouveaux phénomènes et son rationalisme appliqué comme posture philosophique la plus adaptée. Enfin, il est souligné dans ce travail combien les idées de Bachelard diffère des autres interprétations de la mécanique quantique.

Mots clés:Mécanique quantiqueMécanique quantique,ConnaissanceConnaissance,RuptureRupture,BachelardBachelard.

Abstract: Gaston Bachelard (1884-1962), French philosopher, followed a period of ruptures, that is, of conceptual and methodological changes in contemporary physics. He is one of several thinkers who presented important reflections for the understanding of contemporary atomistics. This article highlights the main philosophical reflections of Gaston Bachelard about the foundations of quantum mechanics. For that, it uses important concepts of its epistemology without which its ideas become incomprehensible. Thus, this work highlights how this science breaks with traditional scientific and philosophical ideas in the first half of the 20th century by presenting a new object of knowledge, namely, the quantum corpuscles. Furthermore, in order to characterize the philosophy of bachelardian quantum physics, according to the author, the nature of atomic particles stands out, as the scientific activity of this science in the creation of new phenomena is emphasized and its rationalism applied as philosophy is emphasized best suited to the new physics. Finally, it is emphasized in this work that Bachelard's ideas are different from other interpretations of quantum mechanics.

Keywords: Quantum mechanics, Knowledge, Break, Bachelard.

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La philosophie de la mécanique quantique de Gaston Bachelard1

The philosophy of Gaston Bachelard's quantum mechanics

David Velanes2
Universidade Federal da Bahia, Brasil
Griot: Revista de Filosofia, vol. 21, n° 1, pp. 180-194, 2021
Universidade Federal do Recôncavo da Bahia

Reçu: 28 Décembre 2020

Accepté: 26 Janvier 2021

La mécanique quantique a changé notre conception de la réalité au cours du siècle dernier. Depuis lors, elle a attiré l'intérêt et l'attention des philosophes et des scientifiques dans leur volonté de mieux comprendre le monde. Cet article, qui met en évidence les caractéristiques de cette science à partir de la pensée épistémologique de Gaston Bachelard, est un des résultats de cet intérêt humain.

La raison de cette traduction s'inscrit également dans la même perspective, c'est-à-dire par la curiosité des chercheurs, notamment en France et aux Etats-Unis, de mieux comprendre les fondements philosophiques bachelardiens de la mécanique quantique face à d'autres interprétations, comme celle des néokantiens. Le texte original a été publié en portugais dans cette revue, v.20, nº 3, 2020, p. 229-242. DOI : https://doi.org/10.31977/grirfi.v20i3.1906 et divulgué sur le site de l'Association Internationale Gaston Bachelard, ce dont nous vous sommes reconnaissants.

Cette traduction a le mérite de pouvoir diffuser des connaissances pour ceux qui ne sont pas familiers de la langue portugaise. Nous remercions le Professeur Dr Jean-Philippe Pierron de l'Université de Dijon pour sa gentillesse et le temps accordé à la révision de ce texte. Nous sommes également reconnaissants à Monsieur Mickaël Paque pour la relecture finale. Enfin, nous remercions cette revue d'avoir accordé de l'espace à cette traduction.

Introduction

Au début du XXe siècle, avec l'avènement des mécaniques contemporaines, la physique a connu plusieurs changements dans ses concepts les plus fondamentaux. Ce fait a imposé la nécessité de repenser les principes les plus enracinés dans la culture scientifique et philosophique. Sans précédent dans l'histoire, cette situation de la physique a conduit des auteurs tels que Reichenbach (1944), Heisenberg (2007, 1996, 1962, 1954, 1949), Bohr (1995) et Hermann (1996), par exemple, à rechercher des réponses et des interprétations aux questions soulevées par ces nouveaux champs de connaissances.

Selon Heisenberg (2007), la mécanique classique n’est pas en mesure de représenter à travers sa cohérence mathématique et conceptuelle la réalité complexe qui a émergée avec la nouvelle atomistique. Ainsi, la mécanique de Newton, au siècle dernier, s'est trouvée ébranlée dans ses principes par lesquels il est possible d'expliquer la nature sensible. À son tour, Bohr (1995) explique que les changements qui ont été institués dans la théorie atomique à cette époque sont dus à de nouvelles connaissances sur la nature des atomes qui l'ont fait surmonter « [...] l'ancienne doctrine de la divisibilité restreinte de la matière confère la chaque processus atomique un caractère individuel particulier ». Ce sont des découvertes par lesquelles la physique s'est dépouillée de ses caractères anthropomorphiques et sensibles. (PLANCK, 2012).

Gaston Bachelard (1884-1962), philosophe français qui a accompagné cette période de changements conceptuels et méthodologiques de la physique, faisait partie de ces penseurs qui ont présenté des réflexions importantes pour la compréhension de l'atomistique contemporaine. Nous sommes d'accord avec Rode & Bontems (2011) lorsqu'ils affirment que Bachelard considérait que, à son époque, la rupture épistémologique représentée par la mécanique quantique n'était encore bien comprise ni par les physiciens ni par les philosophes des sciences. Cette considération nous permet de réaffirmer avec Velanes (2019a ; 2019b) que Bachelard n'a pas entièrement accepté l'interprétation des physiciens de l'école de Copenhague dans ses réflexions à propos la physique quantique.

Dans cet article, nous visons à présenter les idées principales de Bachelard sur les fondements philosophiques de la mécanique quantique à partir des concepts les plus fondamentaux de son épistémologie historique. Dans cet esprit, nous montrerons comment son rationalisme appliqué a pu se constituer comme une philosophie adéquate dans la compréhension de la physique contemporaine.

La mécanique quantique comme rupture épistémologique

L'un des concepts les plus importants pour comprendre la philosophie de Bachelard de la mécanique quantique est celui de la rupture épistémologique. Cette notion est fondamentale pour ces réflexions car elle contribue à la compréhension de l'évolution de la connaissance scientifique dans son mouvement historique. D'après Velanes (2018a), sans le concept de rupture, il n'est pas possible d'obtenir une compréhension adéquate de l'épistémologie bachelardienne, qui est notoirement axée sur l'interprétation des conditions épistémiques de la nouvelle physique.

Avec la notion de rupture épistémologique, Bachelard cherche à démontrer que dans le dynamisme du savoir, les idées les plus élémentaires se modifient, se transmutent, à travers un processus de rectification discursive. Un processus dans lequel l'erreur apparaît comme le « moteur de la connaissance » (BACHELARD, 1986). Cela impose directement la nécessité de réfléchir à l'évolution des idées scientifiques à travers une lecture discontinue dans l'histoire des concepts. Ainsi, par ce concept, Bachelard nous amène à penser différemment des philosophes positivistes de son temps (BULCÃO, 2009 ; BARBOSA, 1996), comme Meyerson et Duhem.

De plus, en présentant sa notion de rupture, il met en évidence la séparation entre la connaissance commune et la connaissance scientifique, ce qui est pertinent pour comprendre les caractéristiques d'un nouvel esprit scientifique dont la base est éminemment mathématique. Comme l’écrit Bachelard (1999, 1965, 1963), en physique contemporaine, les objets de connaissance sont organisés en domaines mathématiques rigoureux. La raison a le pouvoir de construire une réalité entièrement nouvelle. Par conséquent, la physique du XXe siècle part du plan rationnel vers celui de l'expérience et, de cette manière, elle élève des objets de connaissance sans précédent dans l'histoire.

Dans ce contexte de renouveau épistémique, la mécanique quantique rompt non seulement avec les principes de la physique classique, mais aussi avec les doctrines atomistiques présentées dans l'histoire. Selon Lüthy (2012), l'histoire des réflexions sur les atomes, de la philosophie de Démocrite (460-370 av.J.-C.) jusqu'à décembre 1900 (lorsque Planck a « découvert » le quantum élémentaire d'action), est une véritable confusion des interprétations. Pour l'auteur, l'œuvre bachelardienne Les intuitions atomistiques (1933) était une tentative de trouver un principe de classification qui fasse sortir de cette confusion historique entre les différentes conceptions coexistantes au XIXe siècle sur les atomes. Une proposition de Bachelard que Lüthy (2012), juge peu viable, puisque, selon lui, les différentes doctrines atomistiques présentent des principes assez différents. Cependant, bien que nous soyons partiellement d'accord avec sa critique, nous pensons, en revanche, que ce travail bachelardien est important pour comprendre les caractéristiques de l'atomistique contemporaine. Un atomisme sans antécédents historiques (HEISENBERG, 2007 ; BOHR, 1995 ; BACHELARD, 1975, 1965).

Dans Intuitions, Bachelard présente quatre bases générales par lesquelles il est possible de comprendre les fondements des doctrines atomistiques en histoire : l'atomisme réaliste, l'atomisme positiviste, l'atomisme criticiste et l'atomisme axiomatique. Dans l'introduction, l'auteur est clair sur son objectif : « souligner les traits intuitifs des doctrines atomistiques » (BACHELARD, 1975, p. 14)3. Dans notre perspective, cette analyse de Bachelard permet de clarifier les fondements de la nouvelle atomistique, c'est-à-dire de la mécanique quantique, notamment dans le sixième chapitre4, dans lequel l'auteur met en évidence sa notion d'atomisme axiomatique et présente des idées qui seront reprises dans ses travaux ultérieurs, comme dans L'activité rationaliste de la physique contemporaine (1951).

L'atomisme axiomatique (mécanique quantique)5 a établi une rupture nette avec les formes antérieures d'atomisme. Il est basé sur une pensée mathématique qui coordonne une technique précise qui permet de construire une variété de phénomènes complètement nouveaux. L'atomistique « [...] est précisément devenue une technique, qu’elle a ses instruments, ses méthodes, son expérience propre » (BACHELARD, 1975, p. 142). Cela signifie que dans les premières décennies du XXe siècle, l'atomisme a perdu son caractère spéculatif lorsqu'il est devenu un champ d'études rigoureux de la physique contemporaine. Ainsi, la mécanique quantique se présente comme une science qui produit des effets, c'est-à-dire comme un champ de connaissances qui crée des éléments artificiels à travers lesquels émerge une seconde nature, une nouvelle réalité physique (BACHELARD, 2009, 1975, 1965).

La construction de l'objet quantique

C'est sur la base de ces considérations que Bachelard a créé le concept de phénoménotechnique6 à ​​travers lequel il cherche à clarifier comment une relation abstraite-concrète, c'est-à-dire entre théorie et expérience, fait émerger des particules subatomiques. Selon Bachelard (2009, 1996, 1965, 1975), la raison guide l'expérience, en même temps qu'elle est active. L'expérience ne peut plus être réduite à un empirisme passif comme celui de la modernité. Ce n'est donc pas une expérience commune, car elle est composée d'instruments techniques de mesure précis qui permettent la fabrication de phénomènes. Ainsi, le point d'arrivée où les objets sont produits est un empirisme actif.

Dans L'activité rationaliste de la physique contemporaine (1951), l'auteur explique la nature même de l'activité phénoménologique. Il dit que :

Dans la phénoménotechnique, aucun phénomène n’apparaît naturellement, aucun phénomène n’est de premier aspect, aucun n’est donné. Il faut le constituer et en lire les caractères indirectement, avec une conscience toujours éveillée de l’interprétation instrumentale et théorique, sans que jamais l’esprit ne se divise en pensée expérimentale pure et théorie pure. (BACHELARD, 1975, p. 91).

Dans le troisième chapitre de l'ouvrage précité7, sont présentées les caractéristiques nouvelles et différentes des nouveaux objets présentés par la mécanique quantique dans la première moitié du XXe siècle, c'est-à-dire des phénomènes que cette science avait déjà « découverts » à l'époque de Bachelard : l'électron, le proton, le positron, le neutron, etc. Pour l'auteur, ces éléments ne sont pas seulement typiques du XXe siècle, mais aussi le résultat de techniques de physique contemporaines qui ne sont pas des techniques naturelles. Alors, les objets quantiques apparaissent en utilisant une technique de phénomènes électriques et il est :

[…] il faut bien reconnaître que les corpuscules sont « humains ». Ils apparaissent à un point bien déterminé de l’histoire des sciences. Ils sont « très XXe siècle », à la légère exception de l’électron précurseur. (BACHELARD, 1965, p. 87).

En tant que produits d'une technique inventive, les particules élémentaires apparaissent comme de nouveaux objets de connaissance en rupture avec des objets de sens commun. Bachelard (1965) explique dans six thèses comment de tels éléments sapent les principes les plus fondamentaux du réalisme classique, qu'il appelle réalisme naïf par opposition à sa notion de réalisme instructif, qui sert à conceptualiser la réalité construite par les objets de la nouvelle physique.

Dans la première thèse, Bachelard (1965, p. 76) dit que « le corpuscule n'est pas un petit corps. Le corpuscule n'est pas un fragment de substance ». Dans le second, il ajoute que « le corpuscule n’a pas de dimensions absolues assignables » (BACHELARD, 1965, p. 77). La troisième thèse affirme que, aux corpuscules quantiques, « on ne leur attribue pas plus d'un ordre de grandeur » (BACHELARD, 1965, p. 78-79) et, dans la quatrième, « corrélativement, [aux thèses précédentes] si le corpuscule n’a pas de dimensions assignables, il n’a pas de forme assignable » (BACHELARD, 1965, p. 79). Dans la cinquième thèse, Bachelard (1964, p. 81) affirme que « puisqu’on ne peut attribuer une forme déterminée au corpuscule, on ne peut pas davantage lui attribuer une place très précise ». Enfin, dans la sixième affirmation, il souligne que, dans les domaines de la microphysique, comme une particule n'a pas d'individualité, par conséquent, « le corpuscule peut s'annihiler » (BACHELARD 1965, p. 82).

Nous pouvons affirmer, sans aucun doute, que ces thèses approfondissent l'analyse bachelardienne de la mécanique quantique par laquelle Bachelard met en évidence les caractéristiques fondamentales des particules élémentaires et, par-là, démontrer l'insuffisance des connaissances scientifiques et philosophiques de la modernité en lien avec sa notion de rupture épistémologique.

En résumé, à partir des considérations présentées dans les six assertions, le philosophe de Bar-sur-Aube met au jour une nouvelle situation épistémologique en physique, dans la mesure où il explique que les objets quantiques ont une nature entièrement différente par rapport aux objets d'expérience commune et macroscopique. Les corpuscules quantiques sont absolument contre la perspective substantialiste des phénomènes sensibles, car ils sont d'essence mathématique. Les propriétés substantielles sont spécifiques aux objets macroscopiques dans la réalité commune. Ainsi, avec la nouvelle physique, il y a une désubstantialisation des phénomènes.

Les particules élémentaires n'existent que dans un espace abstrait, un espace de pensée (BACHELARD, 1996, 1937). En d'autres termes, dans un espace conceptuel. Ces éléments ne peuvent pas être pensés à travers la base géométrique euclidienne, qui se concentre sur les objets de la connaissance commune. Les corpuscules quantiques, puisqu'ils n'ont pas de dimensions notables dans un espace commun, nous ne pouvons jamais mesurer leur taille exacte. Ils rompent avec les conceptions classiques de l'impénétrabilité de la matière. La virtualité de ces objets ne peut alors être pensée à travers une perspective réaliste, mais à travers une « vision de l'esprit » (BACHELARD, 1999, 1965).

Sur la base du comportement des nouveaux objets, le principe d'incertitude de Heisenberg établit qu'il n'est pas possible de connaître simultanément l'emplacement spatial exact et le mouvement des particules subatomiques, car elles ne sont pas au repos. Selon Bachelard (1965, p. 81), qui souscrit au principe heisenbergien et à ses conséquences au regard d'une physique indéterministe8, « seuls les objets de la connaissance commune peuvent exister placidement, tranquilles et inertes dans l'espace »9, car ils sont des choses substantialisées et possèdent une individualité spécifique10. En revanche, les corpuscules quantiques sont présentés par l'auteur comme non choses, c'est-à-dire comme des objets dépourvus d'individualité précise.

Critique des systèmes philosophiques traditionnels

Selon Bachelard (1965, p. 83), les objets de l'activité phénoménotechnique, en tant qu'éléments de création et d'annihilation, ont un nouveau statut ontologique auquel la pensée philosophique contemporaine ne peut devenir indifférente. « On voit s’unir à une ontologie des corpuscules une ontologie de la transformation corpusculaire ». Ainsi, en considérant cette nouvelle situation de la physique, l'auteur critique les concepts épistémologiques de chose et de choc, les caractérisant comme des notions-obstacles, c'est-à-dire comme des obstacles épistémologiques.

La notion bachelardienne d'obstacle épistémologique11 fait référence aux entraves qui empêchent le développement de la connaissance scientifique. Ce sont des idées persistantes dans la culture scientifique et qui peuvent provoquer des perturbations dans les progrès d'une science (BACHELARD, 1977). Si, d'une part, certains obstacles tendent à disparaître lorsqu'une rupture s'établit au sein des sciences, d'autre part, il y a ceux qui « [...] sont formés pas les schèmes de la science sédimentés sous forme d’évidences, qui font obstacle au progrès de la science quand une nouvelle rupture s’impose pour réinventer les schèmes appliqués au réel » (RODES & BONTEMS, 2011, p. 14).

D'après Bachelard (1965), la notion de chose est liée à une idée réaliste selon laquelle les objets de connaissance sont un petit corps matériel de l'expérience commune. Cependant, la mécanique quantique présente des éléments dont les fondements mathématiques construisent une nouvelle réalité, comme nous l'avons déjà dit. Ainsi, puisque les choses ne concernent pas le monde commun, les non-choses (particules subatomiques) ne peuvent pas être expliquées par un réalisme simpliste. Une particule subatomique, telle que l'électron, bien qu'elle soit réelle, ne peut être considérée comme une chose du monde ordinaire, car elle n'a pas les mêmes propriétés que les objets sensibles. Les particules élémentaires sont réelles parce qu'elles constituent une nature par laquelle il est possible d'intervenir et d'expliquer le monde physique.12

Bachelard (1965, p. 86) explique également que la notion de choc est liée au matérialisme classique de la science moderne et, par-là, à l'idée d'individualité des éléments. Ainsi, c'est un concept avec lequel il est possible d'expliquer la causalité des phénomènes de la physique classique. Néanmoins, la notion classique de causalité s'est avérée insuffisante pour expliquer les phénomènes de la mécanique quantique, puisque les éléments atomiques ne sont pas soumis à une relation de cause à effet précise comme les objets de l'expérience commune. Bachelard (1965, p. 85) dit que la notion de choc « donne vraiment la leçon naïve de causalité ». Bien que cette notion fasse partie de la terminologie des physiciens dans les explications scientifiques, l'auteur souligne qu'elle doit être utilisée avec la conscience que deux corps quantiques n'établissent pas le contact comme s'il s'agissait de deux choses matérielles, mais comme une interaction entre deux particules.13

Ensuite, Bachelard (1965, p. 85) ajoute que la notion de données ne peut pas être intégrée à la physique quantique, car c'est une croyance dans laquelle les valeurs du savoir commun demeurent. De plus, il est lié aux philosophies traditionnelles qui cherchent à apporter des réponses à d'autres problèmes. « On ne peut vraiment pas dire que les corpuscules soient donnés. Bien entendu, ils ne sont pas — nous l’avons dit — des données des sens, ni de près ni de loin ». Par conséquent, cette notion est inefficace non seulement dans l'intégration d'une philosophie de la mécanique quantique, mais aussi dans l'expression de tous les résultats expérimentaux de cette science.

Selon Rode & Bontems (2011), la notion d'entité est également considérée par Bachelard comme un concept d'obstacle, puisqu'elle a été pensée pour expliquer le monde macrophysique à partir des principes logico-ontologiques classiques, à savoir : celui d'existence, non-contradiction et identité. Les auteurs précisent que Bachelard explique que la notion d'entité est inextricablement liée à la pensée substantielle, qui a la tendance spontanée à penser les objets quantiques comme s'ils étaient des choses miniatures, c'est-à-dire comme les objets de la physique classique.14

En effet, le philosophe français explique que le chosisme et le choquisme sont des notions fondées « […] des philosophies fort peu appropriées pour une description des phénomènes de la science moderne. De telles philosophies nous livrent à l’esclavage de nos intuitions premières touchant l’espace et la force » (BACHELARD, 1965, p. 86). Afin de démontrer la nouveauté des objets quantiques dans l'histoire des idées scientifiques face à ces philosophies, il affirme que :

Aucune histoire imaginaire, aucune utopie philosophique ne pourrait les détacher de l’époque de la maturité des techniques électriques où ils sont apparus. Il faut penser la philosophie corpusculaire dans le temps même de son apparition et s’éduquer philosophiquement dans les dialectiques mêmes de son évolution. (BACHELARD, 1965, p. 87).

Il y a donc une critique de la pensée philosophique traditionnelle face à la nouvelle situation épistémologique de la physique contemporaine. D'après Bachelard (1999, 1996, 1963), les philosophies traditionnelles présentent non seulement une tendance continue dans l'interprétation de l'évolution des idées scientifiques, mais elles séparent aussi clairement le rationalisme et l'empirisme.

Les philosophies des positivistes Meyerson et Duhem sont des exemples clairs de continuisme épistémologique15. En revanche, ces auteurs, en général, non seulement soutiennent la croyance (directement ou indirectement) que la raison est absolue et immuable, mais placent également l'expérience sensible et l'observation au centre de leurs idées comme point de départ pour compréhension des phénomènes scientifiques. De cette manière, il est possible d'affirmer que ces philosophes ont accordé une grande priorité aux conceptions réalistes dans leurs idées.

D'autre part, les philosophies rationalistes qui suivent le kantisme établissent une grande primauté dans l'esprit par lequel elles cherchent à interpréter la réalité scientifique. Si l'on veut comprendre la plupart des critiques de Bachelard sur le kantisme et, en particulier, la philosophie de la connaissance de Kant, il faut recourir à son ouvrage La philosophie du non (1940), dans lequel l'auteur démontre comment les notions de substance et d'espace, qui sont a priori absolus dans l'idéalisme transcendantal, sont devenus dialectisés dans les domaines de la mécanique quantique. Selon Bachelard (1996), ces concepts sont désormais pensés dans le rapport abstrait-concret et, en ce sens, il est nécessaire d'ouvrir le kantisme, car il se présente comme une philosophie fermée.

Donc, avec la division classique entre rationalisme et empirisme :

[…] la philosophie des sciences reste trop souvent cantonnée aux deux extrémités du savoir : dans l'étude des principes trop généraux par les philosophes, dans l'étude des résultats trop particuliers par les savants. Elle s'épuise contre les deux obstacles épistémologiques contraires qui bornent toute pensée : le général et l'immédiat. Elle valorise tantôt l'a priori, tantôt l'a posteriori, en méconnaissant les transmutations de valeurs épistémologiques que la pensée scientifique contemporaine opère sans cesse entre l'a priori et l'a posteriori, entre les valeurs expérimentales et les valeurs rationnelles. (BACHELARD, 1996, p. 4).

De plus, c'est aussi dans La philosophie du non (1940) que l'on peut trouver une critique directe de la logique classique. Selon Bachelard (1996, p. 108), il existe une cohérence entre la logique aristotélicienne et la logique transcendantale qui trouvent un point commun dans la nature même de l'objet géométrique euclidien. La logique classique est présentée par l'auteur comme une logique fermée16, suffisante pour traiter les grands objets sensibles de la vie quotidienne, étudiés par la physique newtonienne, mais qui s'est avérée insuffisante dans la compréhension des objets infinitésimaux17. En fait, ni la logique aristotélicienne ni la logique kantienne ne sont appropriées pour soutenir la mécanique quantique, puisqu'elles sont basées sur une métaphysique opposée, à savoir le réalisme et le rationalisme. D'ailleurs, les principes de localisation euclidienne et la permanence substantielle dont les deux ont bénéficié sont ébranlés par l'avènement des objets quantiques.18

En résumé, contrairement à de nombreux philosophes de son temps, la conclusion de Bachelard (qui prend en compte la notion de rupture épistémologique) par rapport aux principes des philosophies traditionnelles est qu'elles ne peuvent pas être pleinement transplantées dans les domaines des interprétations épistémologiques de la pensée scientifique contemporain, puisque ces systèmes philosophiques :

[...] deviennent stériles ou trompeurs ; ils perdent leur efficacité de cohérence spirituelle, efficacité si sensible quand on les revit dans leur originalité réelle, avec la fidélité scrupuleuse de l'historien, tout à la fierté de penser ce que jamais on ne pensera deux fois. Il faudrait donc conclure qu'un système philosophique ne doit pas être utilisé à d'autres fins que les fins qu'il s'assigne. Dès lors la plus grande faute contre l'esprit philosophique serait précisément de méconnaître cette finalité intime, cette finalité spirituelle qui donne vie, force et clarté à un système philosophique. (BACHELARD, 1996. p. 1).

Mécanique quantique et rationalisme appliqué

Bien que Bachelard (1996) reconnaisse que plusieurs éléments de philosophies ultérieures peuvent être intégrés dans des réflexions contemporaines sur la science, par exemple, des éléments du kantisme, afin de composer un pluralisme philosophique, sa proposition philosophique a un objectif très différent et innovant. Il entend établir un dialogue intrinsèque entre rationalisme et empirisme. Il s'agit d'une relation dans laquelle les deux métaphysiques sont actives dans le processus de construction de l'objet scientifique. Par conséquent, il défend une philosophie scientifique ouverte par opposition aux systèmes philosophiques fermés du passé, comme l'idéalisme transcendantal.

[…] le rationalisme que nous défendons fera face à la polémique qui s'appuie sur l'irrationalisme insondable du phénomène pour affirmer une réalité. Pour le rationalisme scientifique, l'application n'est pas une défaite, un compromis. Il veut s'appliquer. S'il s'applique mal, il se modifie. Il ne renie pas pour cela ses principes, il les dialectise. Finalement la philosophie de la science physique est peut-être la seule philosophie qui s'applique en déterminant un dépassement de ses principes. Bref, elle est la seule philosophie ouverte. Toute autre philosophie pose ses principes comme intangibles, ses premières vérités comme totales et achevées. Toute autre philosophie se fait gloire de sa fermeture. (BACHELARD, 1996, p. 6-7).

Dans Le matérialisme rationnel (1953), l'auteur est clair sur sa proposition philosophique. Selon lui, les sciences du nouvel esprit scientifique ont besoin de principes plus adéquats pour les interpréter. Ainsi, Bachelard (1963, p. 20) explique que « la science n'a pas la philosophie qu'elle mérite. Le scientifique « [...] ne met pas l'accent sur le sens philosophique des révolutions psychiques nécessaires pour vivre l'évolution d'une science spécifique ». Donc, à travers son analyse de la nature de la physique contemporaine, il identifie un nouveau type de rationalisme, à savoir le rationalisme appliqué.

Dans La philosophie du non (1940), à partir de ses réflexions sur les corpuscules élémentaires comme véritables objets de construction de la pensée, Bachelard explique comment se constitue l'essence du rationalisme appliqué. Nous nous permettons de le citer longuement car ce passage clarifie bien ses idées.

Si l'on pouvait alors traduire philosophiquement le double mouvement qui anime actuellement la pensée scientifique, on s'apercevrait que l'alternance de l'a priori et de l'a posteriori est obligatoire, que l'empirisme et le rationalisme sont liés, dans la pensée scientifique, par un étrange lien, aussi fort que celui qui unit le plaisir et la douleur. En effet, l'un triomphe en donnant raison à l'autre : l'empirisme a besoin d'être compris ; le rationalisme a besoin d'être appliqué. Un empirisme sans lois claires, sans lois coordonnées, sans lois déductives ne peut être ni pensé, ni enseigné ; un rationalisme sans preuves palpables, sans application à la réalité immédiate ne peut pleinement convaincre. On prouve la valeur d'une loi empirique en en faisant la base d'un raisonnement. On légitime un raisonnement en en faisant la base d'une expérience. La science, somme de preuves et d'expériences, somme de règles et de lois, somme d'évidences et de faits, a donc besoin d'une philosophie à double pôle. Plus exactement elle a besoin d'un développement dialectique, car chaque notion s'éclaire d'une manière complémentaire à deux points de vue philosophiques différents. (BACHELARD, 1996, p. 4-5).

Si Bachelard (1996) observe cette alternance entre pensée rationnelle et empirique qui caractérise les sciences contemporaines, c'est-à-dire les sciences d'un nouvel esprit scientifique, et donc, la mécanique quantique, il faut noter qu'il y a une primauté de la pensée rationnelle dans ses idées, puisque la construction de l'objet scientifique commence par la raison. « Nous devons ajouter qu'à notre avis une des deux directions métaphysiques doit être majorée : c'est celle qui va du rationalisme à l'expérience » (BACHELARD, 1996, p. 6). Par conséquent, ce mouvement épistémologique caractérise l'essence même de l'activité scientifique dans la nouvelle physique, c'est-à-dire que la phénoménotechnique apparaît comme une activité de rationalisme appliqué qui construit des phénomènes basés sur la pensée mathématique.

Ce rationalisme appliqué, ce rationalisme qui reprend les enseignements fournis par la réalité pour les traduire en programme de réalisation jouit d'ailleurs, d'après nous, d'un bien nouveau privilège. Pour ce rationalisme prospecteur, très différent en cela du rationalisme traditionnel, l'application n'est pas une mutilation ; l'action scientifique guidée par le rationalisme mathématique n'est pas une transaction sur les principes. La réalisation d'un programme rationnel d'expériences détermine une réalité expérimentale sans irrationalité. […] La science physique contemporaine est une construction rationnelle : elle élimine l'irrationalité de ses matériaux de construction. Le phénomène réalisé doit être protégé contre toute perturbation irrationnelle. (BACHELARD, 1996, p. 6).

Par ailleurs, le rationalisme appliqué caractérise philosophiquement la mécanique quantique comme une science nouménale, puisqu'il impose de nouvelles réflexions sur le concept de noumène, plus précisément en relation avec l'utilisation de ce concept dans la philosophie kantienne (VELANES, 2018a, 2015 ; LAMY, 2005). Dans Le rationalisme appliqué (1949), Bachelard explique que dans l'activité phénoménotechnique, les techniques sont ordonnées par des théories. Les phénomènes sont produits sur la base d'une pensée théorico-mathématique par laquelle des instruments de mesure sont créés pour organiser l'expérience afin de produire des éléments dont la base est également mathématique.19 Cela signifie qu'en mécanique quantique, les objets sont pensés avant d'apparaître dans la réalité.

Ainsi, la philosophie de la physique quantique bachelardienne distingue les objets de pensée et les objets d'expérience. Les premiers sont des noumènes mathématiques, car ils sont caractérisés par des équations algébriques. Les deuxièmes traitent des éléments produits par une expérience particulière en laboratoire, dont la création a été rendue possible par la pensée rationnelle. « Le noumène est un objet de pensée comme le phénomène un objet de perception » (BACHELARD, 1996, p. 195). Dans son article Noumène et microphysique (1933), Bachelard dit que « le noumène est un centre de convergence de notions. Il nous faut le construire par un effort mathématique » (BACHELARD, 1970, p. 23).

Dans l'article précité, Bachelard (1970, p. 15) clarifie également le caractère nouménique de la nouvelle physique en disant que « c'est la réflexion qui donnera un sens au phénomène initial en suggérant une suite organique de recherches, une perspective rationnelle d'expériences. Nous ne pouvons avoir a priori aucune confiance en l'instruction que le donné immédiat prétend nous fournir ». Par conséquent, en mécanique quantique, le caractère descriptif de la physique classique est supplanté par l'activité technique de construction des phénomènes.

Considérations finales

Pour conclure, nous pouvons dire qu'avec la mécanique quantique, un dialogue s'instaure entre rationalisme et empirisme par lequel ces deux métaphysiques deviennent complémentaires. Cette relation, que Bachelard considère comme la marque de son rationalisme appliqué, fournit les conditions essentielles à la construction d'objets quantiques qui ne ressemblent absolument pas à des objets d'expérience commune et sensible. Ces objets ont comme point de départ dans leur construction les noumènes mathématiques qui organisent l'expérience technique dans une activité que le philosophe français appelle de phénoménotechnique. Ce concept fond donc l'essence d'un nouveau rationalisme avant le domaine microphysique. De cette manière, le rationalisme appliqué de Bachelard cherche à caractériser l'essence d'une philosophie scientifique la mieux adaptée pour comprendre la nature de la mécanique quantique (qui rompt avec les principes de la physique classique) par opposition aux philosophies de son époque.

Un point important que nous voulons souligner, car il nous semble peu exploré par les spécialistes de l'épistémologie bachelardienne, concerne le problème de la causalité en mécanique quantique. Sur la base de notre analyse, on peut dire que cette question est explorée par Bachelard de manière totalement non systématique. Donc, il faudrait d'une analyse immanente dans ses idées. En tout cas, à partir de ses réflexions, il est possible d'affirmer que l'interprétation bachelardienne de la causalité dans le contexte quantique se présente comme une de plus au milieu du débat fervent entre plusieurs auteurs de l'époque. Dans la première moitié du siècle dernier, il y a eu une « […] polyphonie des positions sur la validité de la causalité dans le contexte de la théorie quantique » (KAUARK-LEITE, 2012b, p. 174).20

Selon Kauark-Leite (2012b, p. 174), des physiciens de l'école de Copenhague, comme Heisenberg et Bohr, ont critiqué le principe classique de causalité et ont tenté de le résoudre à travers le principe de complémentarité. Les positivistes ont identifié la causalité et le déterminisme et, à partir de cette identité, ils ont mis en évidence « [...] la limitation de la causalité, en utilisant le concept de probabilité, comme étant plus universelle que la notion causale classique ». Les néokantiens, pour leur part, ont maintenu la causalité comme principe heuristique ou régulateur et ont nié cette identité défendue par les positivistes, partant « [...] pour une définition plus générale qui peut englober à la fois le contexte classique et le contexte quantique ».

Bachelard, avec sa dialectique, pense à un non-causalisme par lequel les relations de cause et effet apparaissent comme un cas particulier dans une réalité plus complexe. C'est la même dialectique du nouvel esprit scientifique, où la physique non-newtonienne, dans sa complexité, englobe la physique de Newton comme un cas particulier sans établir de contradictions, mais de relations complémentaires (BACHELARD, 1999, 1996). La causalité est donc présente dans la physique contemporaine dans un contexte de généralisation rationnelle qui donne lieu à une synthèse. Ainsi, Bachelard accepte dans son interprétation de la nouvelle physique la thèse de la probabilité et en même temps les conditions de détermination des phénomènes.

D'après Bachelard (1996), les principes de causalité, de substance et d'individualité subissent « une éclipse » et doivent être pensés dans l'alternance dialectique entre le réel et le rationnel, suivant les bases mêmes du rationalisme appliqué.

La précision des probabilités doit conduire aussi à une dialectique de la catégorie de causalité. Les trois catégories : substance, unité, causalité sont solidaires. Ce qui modifie l'une doit retenir sur l'usage des autres. En fait le non-causalisme, le non-déterminisme, le non-individualisme ont déjà fait l'objet d'exposés innombrables. Nous avons nous-même interprété le principe d'indétermination de Heisenberg dans le sens même de la ré- organisation rationnelle générale que nous défendons ici. (p. 93).

Comme nous pouvons le remarquer, on retrouve également dans les idées bachelardiennes la relation entre le principe de causalité et le problème entre déterminisme et indéterminisme en mécanique quantique. Bachelard accepte le caractère éminemment indéterministe de la nouvelle physique en accord avec les idées de Heisenberg, mais, en revanche, nous pensons que son interprétation s'écarte de l'école de Copenhague, dans la mesure où il présente l'idée d'une physique non-déterministe. Il s'agit donc d’une conception conforme aux principes de sa pensée dialectique.

Dans Le nouvel esprit scientifique (1934), l'auteur explique comment l'idée d'une physique indéterministe présentée par Heisenberg englobe dialectiquement la physique déterministe (classique) et établit une nouvelle base.

A partir de Heisenberg se constitue donc une physique non-déterministe, bien éloignée naturellement de la négation brutale et dogmatique des thèses du Déterminisme classique. La physique indéterministe de Heisenberg absorbe bien plutôt la physique déterministe en fixant avec précision les conditions et les limites dans lesquelles on peut tenir un phénomène pour pratiquement déterminé. (BACHELARD, 1999, p. 125).

Si d'une part Bachelard insère la physique indéterministe de Heisenberg, dont le fondement est le principe d'indétermination, comme une généralisation rationnelle qui englobe les conditions de détermination des phénomènes de la physique classique, d'autre part, il omet dans son épistémologie une analyse du principe de complémentarité de Bohr (VELANES, 2019b). Ce principe est fondamental pour les physiciens de l'école de Copenhague, comme Heisenberg, pour résoudre le problème de la causalité (comme nous l'avons déjà dit) et le problème entre déterminisme et indéterminisme. Cela signifie que le philosophe français trouve une réponse différente par rapport à l'Interprétation de Copenhague pour les deux questions.21

Enfin, nous considérons que les idées présentées dans cet article apportent au débat contemporain les réflexions d'un philosophe parfois oublié dans les discussions sur les fondements philosophiques de la mécanique quantique. Cela implique de repenser la pertinence de ses idées au XXIe siècle face aux nouveaux développements de cette science et face aux réflexions sur les fondements kantiens comme celles de Braga (1991), Kauark-Leite (2012) et Bitbol (2008). Ces auteurs qui, malgré les critiques élaborées sur l'idéalisme de Kant par des penseurs de la première moitié du siècle, tels que Bachelard et Heisenberg, parmi d'autres, trouvent toujours dans le kantisme une manière fructueuse de penser les problèmes posés par la physique quantique. Evidemment, une comparaison entre les idées bachelardiennes et les réflexions de ces auteurs ne peut être faite ici. Néanmoins, des perspectives s'ouvrent pour de nouvelles recherches en philosophie de la physique quantique.

Matériel supplémentaire
References
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Notes
Notes
1 Cet article fait partie du résultat du stage de doctorat réalisé entre le 11/11/2019 et le 29/11/2019 à Universidade Federal de Minas Gerais (UFMG), à travers le projet intitulé « La philosophie de la mécanique quantique de Gaston Bachelard », sous l’orientation de la Profª Drª Patrícia Maria Kauark-Leite. Le stage a été soutenu par l'Edital Estágio Doutoral 002/2019 – PROPG/UFBA.
3 Sur la même page de cette citation, il ajoute aussitôt que, pour cela, il faut trouver des exemples des différents moments dans le développement des idéaux philosophiques et mélanger « [...] les époques plutôt que de mêler les genres. Nous écarterons aussi ce qu’il y a d’accidentel, de spécifiquement historique, dans certaines conceptions » (BACHELARD, 1975, p. 14)
4 Cf. BACHELARD (1975, p. 132-151)
5 Bachelard, dans ce livre, n'utilise pas le terme de « mécanique quantique ». Cependant, il est évident que les idées contenues dans le sixième chapitre des Intuitions, lorsqu'elles apparaissent plus mûres dans leurs travaux ultérieurs, se réfèrent à cette science.
6 Cf. BACHELARD (1965, p. 91-92).
7 “La notion de corpuscule dans la science contemporaine”.
8 Cf. GUIMARÃES (2018) et VELANES (2019a).
9 BACHELARD, G. L'activité rationaliste de la physique contemporaine, Paris, PUF, 1965, 81.
10 Bachelard dit que dans les conceptions réalistes « les atomes étaient alors conçus comme des petits solides, comme des petites choses. L’atomisme était la doctrine, par excellence, des chosettes ». BACHELARD, G. L'activité rationaliste de la physique contemporaine, Paris, PUF, 1965, 82.
11 Cf. BACHELARD, G. La formation de l'esprit scientifique. Paris : J. Vrin, 1977, p. 13-19.
12 Ici, nous pouvons évoquer les thèses de I. Hacking, dans son ouvrage Représenter et intervenir, qui sont en partie similaires aux thèses de Bachelard sur la réalité des particules atomiques, même si les deux philosophes ont des champs d'hypothèses différents. Une discussion entre Bachelard et Hacking peut être trouvée dans D. Velanes (2018a, p. 139). Voir aussi I. Hacking (2012. p. 235-386)
13 Bachelard dit que « [...] il suffit de penser à des phénomènes d’interaction de particules de nature différente comme photon et électron pour comprendre que cette interaction ne peut être étudiée comme le choc de deux billes d’un même ivoire. Il faut alors, pour le moins, donner au « choc » de nouvelles définitions ». (BACHELARD,1965, p. 85-86).
14 « La mécanique quantique résiste à toute interprétation directe en termes d’entités classiques, cela ne signifie pas qu’il faille renoncer à interpréter sa fonction d’onde en relation avec la réalité physique. Le concept d’entité, c’est-à-dire d’un objet individuel doté d’une identité permanente, n’épuise pas nécessairement la réalité physique. Même s’il faut en reconnaître l’importance en physique classique, l’entité apparaît, dans le contexte de la mécanique quantique, comme ce que Bachelard appelle un « obstacle épistémologique », c’est-à dire une idée ou une image qui entrave nos possibilités de penser le réel selon les exigences de la raison expérimentale, en l’occurrence selon l’accord des équations et des expérimentations en microphysique. » (RODE & BONTEMS, 2001, p. 12).
15 Une discussion qui explique les différences entre continuité et discontinuité épistémique basée sur les idées de Bachelard et Duhem est présentée par D. Velanes (2018b).
16 Dans la préface de la Critique de la raison pure, Kant considère que la logique est complète et terminée. « On reconnaît que la logique, depuis l'antiquité, a suivi la voie de la sécurité, puisque, depuis Aristote, elle n'a pas pris de recul, à moins qu'elle ne prenne en compte l'amélioration de l'abolition de certaines subtilités inutiles ou une détermination plus claire de son contenu, qui est plus une question d'élégance que de certitude de la science. Il convient également de noter qu'il n'a pas progressé à ce jour, donc, il semble terminé et parfait, pour autant que cela puisse paraître » (KANT, 2001, B VIII).
17 Cf. BACHELARD (1996 p. 103-126).
18 Concernant la logique transcendantale, qui peut parfaitement penser les objets de la mécanique newtonienne, Bachelard ajoute que « […] l'objet quelconque de l'ancienne épistémologie était relatif à une classe particulière. Alors on devra en conclure que les conditions retenues par Kant comme les conditions sine qua non de la possibilité de l'expérience étaient des conditions suffisantes, mais qu'elles ne se sont point, dans une nouvelle pensée, révélées comme toutes nécessaires. Autrement dit, l'organisation critique classique est parfaite dans la classe des objets quelconques de la connaissance commune et de la connaissance scientifique classique. Mais en tant que les sciences classiques viennent d'être troublées dans leurs concepts initiaux, affirmées à propos d'un micro-objet qui ne suit pas les principes de l'objet, le criticisme a besoin d'une refonte profonde » (BACHELARD, 1996, p. 107).
19 Selon Bohr, « [...] l'interaction des objets atomiques et des instruments de mesure fait partie intégrante des phénomènes quantiques ». Il s'agit d'une interaction inévitable dans le contexte quantique qui « [...] établit une limite absolue à la possibilité de parler du comportement des objets atomiques indépendamment des moyens d'observation ». Ceci implique « [...] l'impossibilité de toute séparation nette entre le comportement des objets atomiques et l'interaction avec les instruments de mesure qui servent à définir les conditions dans lesquelles les phénomènes apparaissent ». Par conséquent, « [...] la différence fondamentale par rapport à l'analyse des phénomènes en physique classique et en physique quantique est que, dans la première, l'interaction des objets et des instruments de mesure peut être négligée ou compensée, alors que dans deuxièmement, cette interaction fait partie intégrante des phénomènes » (BOHR,1995, p. 2 ; 32 ; 51 ; 91).
20 Une discussion intéressante sur le principe de causalité en mécanique quantique est proposée par Kauark-Leite qui élabore une discussion entre les idées d'auteurs qui ont traité de cette question dans la première moitié du XXe siècle, tels que Bohr, Cassirer, Heisenberg, Hermman, Schlick et Planck, entre autres. Cependant, dans son article, l'auteur ne présente pas les réflexions de Bachelard sur le problème de la causalité.
21 Il semble que, sur la base de nos considérations, il soit possible de reconnaître une certaine similitude entre le principe bohrnien et la dialectique bachelardienne qui peut être étudiée dans une autre analyse.
Notes aux auteurs
2 Doctorant en Philosophie, Universidade Federal da Bahia (UFBA), Salvador – BA, Brasil. Boursier CAPES.
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