Artigo Original
Education Nouvelle et conception chrétienne de l’éducation: contresens, carences doctrinales et adaptations limitées1
Educação Nova e concepção cristã de educação: confrontos, deficiências doutrinárias e adaptações limitadas2
New education and the Christian conception of education: misinterpretation, doctrinal deficiencies and limited adaptations
Education Nouvelle et conception chrétienne de l’éducation: contresens, carences doctrinales et adaptations limitées1
Revista Educação & Formação, vol. 5, n° 1, 2020
Universidade Estadual do Ceará
Reçu: 06 Décembre 2019
Accepté: 09 Décembre 2019
Résumé: La place des religieux à l'école est remise en cause au nom du principe de laïcité. Cette étude vise à souligner le rôle important des penseurs chrétiens de l’éducation de l’époque qui, étant donné ce modernisme éducatif, ont maintenu une certaine ambiguïté quant aux possibilités d’adapter cette «nouvelle pédagogie» à l’éducation confessionnelle. Les résultats montrent que l'enfant doit être arraché au monde dans lequel il a perdu son innocence. Sa raison est impuissante à tous égards, et seule l'intervention sans faille de la grâce peut la sauver. Avec la seconde approche, la conception de Rousseau, l'homme naît naturellement bon, mais est corrompu en devenant un être social. Ainsi, l'éducation doit chercher à ramener l'enfant à son état naturel sans recourir à une intervention divine.
Mots-clés: Education Nouvelle, Conception chrétienne, Carences doctrinales.
Resumo: O lugar dos religiosos na escola é questionado em nome do princípio do secularismo. Este estudo tem como objetivo enfatizar o papel significativo dos pensadores da educação cristã da época que, diante desse modernismo educacional, mantiveram certa ambiguidade quanto às possibilidades de adaptação dessa “pedagogia nova” à educação denominacional. Os resultados mostram que a criança deve ser arrancada do mundo em que perdeu sua inocência. Sua razão é impotente em todos os aspectos e somente a intervenção infalível da graça pode salvá-la. Com a segunda abordagem, a concepção de Rousseau, o homem nasce naturalmente bom, mas é corrompido ao se tornar um ser social. Dessa forma, a educação deve procurar trazer a criança de volta ao seu estado natural, sem recorrer à intervenção divina.
Palavras-chave: Educação Nova, Concepção cristã, Deficiências doutrinárias.
Abstract: The place of religious in schools is called into question in the name of the principle of secularism. This study aims to highlight the important role of Christian educational thinkers of the time who, given this educational modernism, maintained a certain ambiguity as to the possibilities of adapting this “new pedagogy” to denominational education. The results show that the child must be torn from the world in which he lost his innocence. His reason is powerless in all respects, and only the flawless intervention of grace can save it. With the second approach, Rousseau's conception, man is born naturally good, but is corrupted by becoming a social being. Education must therefore seek to bring the child back to its natural state without resorting to divine intervention.
Keywords: New education, Christian design, Doctrinal deficiencies.
1 INTRODUCTION
A la fin du XIXe siècle, la question de la réforme scolaire prend un caractère particulièrement polémique. La place du religieux à l’école est remise en cause au nom du principe de laïcité. Avec le mouvement des « écoles nouvelles », la question de la réforme de l’enseignement prend une tout autre dimension dans le sens où ces « établissements secondaires d’un type nouveau » (VUIBERT, 1914) se focalisent principalement sur des expériences éducatives et pédagogiques. Après la Première Guerre mondiale, ce mouvement d’idées va connaître un certain essor, accompagné de dérives multiples liées à des interprétations maladroites, voire excessives, tant et si bien qu’en 1929 le Pape Pie XI met en garde les fidèles contre ces « systèmes modernes aux noms divers » dont les éducateurs « novateurs » préconisent une « liberté sans limite de l’enfant ». Nuancée sur de nombreux points, l’encyclique Divini illius Magistri va, cependant, être à l’origine d’interprétations diverses, s’inscrivant ainsi à l’opposé de sa fonction première qui est de rassembler ses fidèles autour d’une doctrine commune.
Dans le cadre de cette contribution à l’histoire du mouvement de l’éducation nouvelle en France, nous défendrons l’idée selon laquelle l’encyclique de Pie XI sur l’éducation et la jeunesse a, par ses insuffisances d’ordre pédagogique, induit des contresens malencontreux qui lui ont nui et ont faussé son message. Nous ne manquerons pas, par ailleurs, de souligner les carences doctrinales du mouvement de l’Éducation nouvelle qui, de fait, possède sa part de responsabilité dans les difficultés qu’ont pu rencontrer les catholiques lorsqu’ils tentèrent d’en décrypter les orientations. Enfin, nous soulignerons le rôle, non négligeable, des penseurs de l’éducation chrétienne de cette époque qui, face à ce modernisme éducatif, entretinrent une certaine ambiguïté quant aux possibilités d’adaptation de cette « pédagogie nouvelle » à l’enseignement confessionnel.
2 L’EDUCATION EN FRANCE A LA FIN DES ANNEES 1920
Si les questions économiques et internationales retiennent principalement l’attention des politiques au cours des années 1920, le grand débat de la réforme de l’enseignement mobilise l’opinion, notamment à travers les plaidoyers des promoteurs de l’enseignement laïque et de l’enseignement confessionnel. La tâche des catholiques n’est pas seulement de se défendre contre les attaques de certains partisans de l’École Unique, mais de promouvoir la réforme « en ce qu’elle a de juste, en limitant leur opposition aux points où seraient en péril l’intérêt de la foi et la liberté des consciences »3. Dans ce contexte, il s’agit donc d’asseoir avec force « la vérité catholique », qui, en matière d’éducation, est précisée par la lettre encyclique du Pape Pie XI du 31 décembre 1929. Fondée sur les principes de l’Évangile, cette charte de l’éducation – qui présente la particularité, alors unique, d’avoir connu deux publications4 dans les Acta Apostolicae Sedis –, jette « les plus vives clartés sur cette question de suprême importance, enveloppée, à notre époque surtout, de brouillards »5. C’est, en effet, la première fois qu’un Pape consacre un document solennel sur les questions d’éducation à partir de la doctrine en l’adaptant aux conditions particulières de son époque.
Les deux adaptations les plus notables sont la reconnaissance des droits de l’État en matière d’enseignement et d’éducation6 ainsi que le rôle attribué à la famille. Ces deux points, détaillés dans la première partie de l’encyclique7, rencontreront l’adhésion de l’ensemble de la communauté éducative catholique. Des motifs de désaccords apparaîtront toutefois sur la question du « sujet de l’éducation » abordée dans sa deuxième partie.
3 LE SUJET DE L’EDUCATION SELON L’ENCYCLIQUE: ORIGINE DE L’INCOMPATIBILITE AVEC L’ÉDUCATION NOUVELLE
Selon l’encyclique8, l’éducation a pour but de former « l’homme tout entier », c'est-à-dire un esprit joint à un corps, avec toutes ses facultés naturelles et surnaturelles. Les premières doivent être développées non seulement parce qu’elles sont des dons de Dieu destinées, dans le plan divin, à s’épanouir le plus possible, mais aussi parce qu’elles sont la base du développement des secondes9. Mais l’homme en devenir, auquel s’intéresse ce texte pontifical, est un être déchu de son état naturel par le péché originel. Racheté par le Christ qui le réintègre dans sa condition surnaturelle10, il ne possède plus les privilèges de l’immortalité du corps, du don de justice11 ni ceux de l’intégrité et de l’équilibre de ses inclinations12. Subsistant dans la nature humaine, les effets du pêché originel13 se traduisent par l’affaiblissement de la volonté et par des tendances désordonnées: « Il laisse l’homme dans un état d’anarchie, d’inharmonie, de déséquilibre. La raison a perdu sa maîtrise sur les autres puissances ; en découle l’insubordination vis-à-vis de la volonté, d’où la nécessité du rôle éducatif consistant à réassujettir la volonté vers les tendances inférieures »14. L’éducation chrétienne consistera donc à corriger les inclinations déréglées des enfants tout en développant et en disciplinant celles qui sont bonnes. Pour pallier cette propension de l’homme déchu vers le mal, il faudra, par conséquent, « éclairer l’intelligence et fortifier la volonté au moyen des vérités surnaturelles […] et avec le secours de la Grâce »15. En d’autres termes, il s’agira d’éduquer cet homme chrétiennement en visant à établir la primauté des puissances spirituelles sur ses tendances inférieures, pour toute la durée de son existence. Le rôle de la grâce dans cette œuvre sera, à terme, de rétablir la subordination, l’assujettissement à la volonté: « La grâce du christ est une grâce de rédemption qui coule à flot dans les puissances affaiblies, ordonnée à cette réparation du Péché Originel »16.
4 LE « NATURALISME PEDAGOGIQUE »
C’est parce qu’ils n’ont pas tenu compte de ces principes que tant de systèmes d’éducation sont faux, à l’exemple de ceux qui ne s’appuient que « sur les seules forces de la nature. Tels sont ordinairement ces « systèmes modernes, aux noms divers, qui en appellent à une prétendue autonomie et à la liberté sans limite de l’enfant, qui réduisent ou même suppriment, l’autorité et l’œuvre de l’éducateur, en attribuant à l’enfant un droit premier et exclusif d’initiative, une activité indépendante de toute loi supérieure, naturelle ou divine, dans le travail de sa propre formation »17. Ce que condamne le pape, c’est une éducation reposant sur des présupposés naturalistes qui amèneraient les éducateurs à laisser l’enfant suivre librement ses impulsions naturelles et qui, sous prétexte de le libérer, le rendrait esclave de ses sens.
Cette condamnation du « naturalisme pédagogique » vise, implicitement, la conception rousseauiste de l’éducation. Interdits le 19 juin 1762 par les autorités du Petit Conseil du Canton de Genève et brûlés dès le lendemain, à proximité de la cathédrale saint-Pierre, haut lieu du calvinisme, les ouvrages de Jean-Jacques Rousseau (1712-1778), L’Émile ou de l’éducation et Du contrat Social, vont incarner durant les trois siècles suivants, ce naturalisme incompatible avec la pensée chrétienne. Dès 1762, la profession de foi chrétienne de Jean-Jacques sera récusée par les interprètes autorisés de l’Église au nom du rationalisme qu’il incarne18. Selon J.-J. Rousseau, en effet, la raison ne serait ni déchue de sa perfection initiale, ni obnubilée ou altérée par le péché originel. Dès lors, tout homme serait fondé, grâce à sa raison absolument saine, à tout examiner, y compris les dogmes, et à subordonner son adhésion à son seul jugement. L’absence du sentiment de péché joint au manque d’humilité requis pour se soumettre à la Révélation, ne peut, en définitive, former un chrétien. Mais, l’hétérodoxie de Jean-Jacques tient surtout à sa conception de l’origine du mal, attribuée exclusivement à l’influence déterminante de la société, et non à son inscription dans le cœur de l’homme comme héritage de la faute d’Adam.
Dès lors, « si la pratique du mal est contingente, si l’être n’est pas lui-même vicié, l’éducation en sera transformée: il suffira de mettre l’enfant à l’écart de la société pervertie […] où sa bonté naturelle pourra se manifester et se déployer »19. Dans le cadre de cette éducation respectueuse des tendances naturelles de l’enfant, une plus grande confiance lui sera accordée, l’intervention de l’adulte reléguée à un autre plan. Ce dernier ne devra pas, par son action, nuire au développement de l’enfant dont les seuls centres d’intérêts suffisent à assurer ses apprentissages. Cette approche spontanéiste d’un développement censé être endogène entraîne également l’économie de toute lutte contre des tendances réputées mauvaises, à tort. Ce combat contre soi-même et la formation du sens de la faute et du repentir seraient ainsi abandonnés au profit d’une formation où l’élève découvrirait, par sa propre expérience, dans son rapport au monde et aux autres, les connaissances et les valeurs nécessaires à sa future existence. Si cette condamnation du « naturalisme pédagogique » semble majoritaire au sein de la communauté éducative catholique, elle présente néanmoins ses limites tant au plan théorique qu’au plan pratique.
5 AMALGAMES ET MECONNAISSANCE DU MOUVEMENT DE L’ÉDUCATION NOUVELLE
Dès le mois de mars 1930, commentant l’encyclique de Pie XI sur l’éducation chrétienne de la jeunesse, Charles Guillemant, qui deviendra plus tard président de l’Alliance des maisons d’éducation chrétienne, souligne les dangers que présente ce naturalisme pédagogique, qu’il caractérise par le souci « d’autonomie et de liberté illimitée de l’enfant »20. Il est très intéressant de relever, dans le même temps, les autres éléments constitutifs, selon lui, de ce naturalisme: l’oubli du péché originel, « la recherche d’une morale purement laïque » et la « prétention de libérer et d’affranchir la jeunesse ». A lui seul, cet article reflète la manière dont est alors associée l’Éducation nouvelle à d’autres critiques ayant l’école libre pour cible.
C’est probablement pour cette raison que, prudemment, quatre ans plus tard, en décembre 1934, H. Ludovic21 publie un article sur l’encyclique et les méthodes nouvelles, dans lequel il tente de réconcilier le message pontifical avec les systèmes d’éducation nouvelle. Dans cette optique, il avance quatre éléments essentiels. Le premier est relatif à la date de parution de l’encyclique: « Depuis ce temps, les systèmes d’Éducation nouvelle se sont précisés, et, dans l’ensemble, après les essais scabreux des débuts, ont évolué dans un sens de rapprochement de l’Église catholique »22. Les thèses de Jules de La Vaissière sur l’éducation libertaire, considérée comme l’une des causes de la précocité criminelle, sont explicitement mentionnées ; d’après cet auteur, le culte de l’individualité, qui se traduit par le respect des initiatives de l’enfant aux dépens de l’éducation par l’autorité, ne peut le conduire à devenir un homme de caractère, sachant ce qu’il veut et capable de faire le bien23. Mais, précise H. Ludovic, en réalité, l’éducation libertaire condamnée par Jules de la Vaissière ne correspond pas vraiment à l’ensemble des systèmes et des méthodes d’Éducation nouvelle. Ce problème de définition va engendrer, une nouvelle fois, de nombreux contresens. Dès lors – c’est le deuxième élément à prendre en compte –, l’attitude des représentants de l’enseignement catholique en différents pays s’est modifiée24. Le troisième élément est lié au fait que « certaines tendances condamnées dans l’encyclique ne le sont qu’en principe »25. Dans cette perspective, il convient d’étudier si ces tendances existent, et si oui à quel degré, dans chacun de ces systèmes qui se recommandent de ce mouvement d’éducation. C’est essentiellement sur la base d’études psychologiques que Jules de la Vaissière s’opposa au régime coéducatif26. Après avoir rappelé que l’Église voit dans la coéducation un danger pour la moralité de l’élève de l’enseignement secondaire, entre 13 et 17 ans27, il émet des réserves liées à la difficulté d’établir sur ce sujet une position vraiment scientifique28. Puisqu’il n’est pas prouvé que la coéducation favorise l’acquisition du type psychologique naturel de l’homme et de la femme, Jules de la Vaissière la rejette29. Enfin, d’un point de vue théologique, il rappelle que l’homme créé par Dieu est « un être religieux par construction »30 et qu’à ce titre, la pédagogie est au service des fins que poursuit l’éducateur chrétien. Rejoignant, sur ce point, Eugène Dévaud, il condamne implicitement tout système d’éducation qui ne viserait pas la formation de l’homme à l’image de Dieu et qui, incidemment, nierait le péché originel. Enfin, pour comprendre la pensée du pape, il convient de se référer aux autres textes qui en précisent l’esprit (lettres, adresses à propos de question d’éducation). Malgré ces précisions, les freins liés à l’édification d’une « Éducation nouvelle chrétienne » subsistent.
6 LES FREINS LIES A L’EDIFICATION D’UNE « ÉDUCATION NOUVELLE CHRETIENNE »
Dans son ouvrage Notre attitude à l’égard des principes et des pratiques de l’École active,31 Eugène Dévaud (1876-1942)32 note les points de convergence, mais aussi ceux de divergence entre la conception chrétienne de l’éducation et celle du mouvement de l’Éducation nouvelle. Vigoureux réformateur des écoles du canton suisse de Fribourg et adhérant partiellement aux critiques formulées par les tenants de l’Éducation nouvelle vis-à-vis de l’école traditionnelle, il formule cependant trois types de critiques.
La première concerne les fins mêmes de l’acte éducatif. Pour Eugène Dévaud, ce n’est pas la vérité qu’il faut ordonner à l’enfant, mais l’enfant qu’il faut ordonner à la vérité. Dès lors, l’enfant ne peut être sa propre fin. Aussi, à l’encontre des prétentions de l’École nouvelle, Dévaud maintient la notion d’une école qui enseigne, c’est-à-dire qui transmet, ce qu’elle sait être la vérité. La deuxième critique tient à la définition de l’autorité et au rôle du maître dans ce domaine. Ce dernier étant celui qui sait, il lui appartient d’établir l’ordre et de promouvoir le progrès dans la communauté dont il est le chef. Il a donc non seulement le droit, mais encore l’obligation d’ordonner et d’enseigner, de contrôler et d’exiger la discipline, de façon que soit obtenue cette formation intellectuelle en vue de laquelle la communauté s’est constituée. La troisième critique est relative à la notion de spontanéité de l’enfant. Dévaud affirme, à l’encontre d’Édouard Claparède notamment, que l’esprit de l’enfant a besoin, pour réagir, d’être « actionné » de l’extérieur33. Dans cette optique, nul doute que la fonction du maître soit, une nouvelle fois, différente de celle que prône l’École active. Selon Dévaud, « il faut que le maître éveille l’intérêt, dirige et soutienne l’effort, agisse sur lui du dehors, lui apporte du dehors la vérité, l’aidant à se conformer à un idéal qui le dépasse, donc l’excite à surpasser les exigences du moi égoïste et borné »34.
En définitive, les divergences entre Eugène Dévaud et les promoteurs du mouvement de l’Éducation nouvelle portent essentiellement sur la conception de l’être humain ainsi que sur les finalités éducationnelles que ceux-ci prônent, avec quelque prétention, selon Dévaud, de détenir la vérité35. D’accord avec eux dans leur contestation des programmes trop rigides imposés officiellement à toutes les écoles, Eugène Dévaud encourage ses amis de l’enseignement libre à user au mieux de leur liberté en utilisant les méthodes actives. Il les rejoint, enfin, sur la nécessité de prendre en considération les données issues de la psychologie de l’enfant (GUTIERREZ, 2010), prenant ainsi ses distances avec les critiques que Jules de la Vaissière, avant lui, adressait aux théories psychologiques défendues par certains promoteurs de l’Éducation nouvelle.
Sur l’acquisition des habitudes chez l’enfant, Dévaud marque aussi son profond désaccord avec Kant et Rousseau en mentionnant son importance capitale dans l’éducation36. Cette divergence est d’autant plus importante que cet ensemble de principes directeurs doit être inculqué profondément dans l’esprit de l’enfant par les parents et les maîtres, et non laissé à la libre formation des jeunes êtres. Il s’agit là, selon Dévaud, d’accord sur ce point avec Jules de la Vaissière, d’une grave erreur reposant sur une fausse maxime pédagogique.
Quant à H. Ludovic, convaincu que la doctrine du péché originel professée par l’Église doit être questionnée dans une perspective d’adaptation possible de l’Éducation nouvelle en milieu catholique, il apporte plus de nuance. Selon lui, cette doctrine est donnée par Saint-Thomas et par le catéchisme du Concile de Trente, qui font du péché originel, un péché de nature. Cette disposition désordonnée de la nature humaine qui l’accompagne prive, dans le même temps, tout homme du don de justice originel. Or, ce don prénaturel soumettait à Dieu la raison, orientée comme spontanément vers lui. Dès lors, ses tendances ainsi que ses facultés étaient soumises à sa volonté qui les dominaient. H. Ludovic en conclut que par le péché originel, « la nature n’est pas atteinte en elle-même, essentiellement. Elle n’est pas radicalement viciée »37. C’est davantage par suite de privation de son don de justice (en gardant cet exemple) que la volonté a perdu son empire sur les facultés de l’homme.
Cet exemple montre comment la variété des référentiels théologiques peut participer à la condamnation plus ou moins ferme du mouvement de l’Éducation nouvelle selon la conception que l’on a du péché originel. Comme le soulignent A. Decoene et A. Staelens38, il est opportun de se remémorer qu’en ce qui concerne l’éducation dans ses rapports avec le péché originel, trois approches doctrinales s’affrontent. La première, en référence à Pascal et aux Jansénistes, considère que la nature humaine entachée par le péché d’Adam est naturellement inclinée vers le mal. Dès lors, l’enfant doit être arraché au monde où il a perdu son innocence. Sa raison est impuissante en tous points et seule l’intervention infaillible de la grâce peut le sauver. Avec la deuxième approche, la conception rousseauiste, l’homme naît naturellement bon, mais se corrompt en devenant un être social. L’éducation doit s’efforcer de ramener l’enfant à son état de nature sans avoir recours à l’intervention divine. La doctrine catholique, enfin, part du principe que la nature fut offensée par le péché originel et qu’elle penche ainsi fortement vers le mal. Cette troisième approche estime que la nature n’est donc pas corrompue à fond et que c’est par un effort personnel, aidé de la grâce de Dieu, que l’homme peut faire le bien.
7 CONCLUSION
En 2005, Mgr Thierry Brac de la Perrière s’interrogeait sur l’existence même d’une doctrine éducative de l’Église. Il semble, écrit l’évêque auxiliaire de Lyon, que « l’encyclique de Pie XI, Divini illius Magistri marque l’apparition d’un enseignement explicite du Magistère sur l’éducation »39. Les divers documents qui viendront, par la suite, compléter et infléchir la vision à la fois doctrinale et pastorale de l’Église en matière d’éducation en fonction, d’une part, des avancées des sciences de l’homme et, d’autre part, de l’évolution des rapports entre l’Eglise et la Société, semblent, en effet, lui donner raison.
Les difficultés liées à l’édification de cette « Éducation nouvelle chrétienne » durant les années 1930 témoigne d’un contexte peu favorable à sa reconnaissance et, pour ainsi dire, à sa marginalisation au sein de l’enseignement catholique (GUTIERREZ, 2017) et ceux-ci pour au moins trois raisons. La première tient à l’importance plus ou moins grande que les auteurs catholiques accordent à l’héritage rousseauiste de ce mouvement ; la seconde, à la différenciation qu’ils opèrent ou non entre ces différents systèmes regroupés sous le terme générique d’Éducation nouvelle » ; la troisième, enfin, aux perspectives d’adaptation de certaines de ces méthodes dites « actives » dans l’enseignement catholique.
Cette question du péché originel fera, à nouveau, débat en 1941. Dans sa thèse, mise à l’index, le jésuite André Ravier défendra l’idée selon laquelle la tendance au péché ne serait pas une « composante intrinsèque » de l’être humain mais purement conjoncturelle, c’est à dire liée au poids de l’histoire de chaque individu. Après le Second Conflit mondial, ce débat perdura jusqu’au sein des instituts supérieurs de Pédagogie où il influera sur la nomination de ses responsables (GUTIERREZ, 2014). Cette sûreté doctrinale assurant au prétendant à ces fonctions la confiance de sa hiérarchie.
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Notes
Notes aux auteurs
Professeur des universités en Sciences de l’éducation à l’université de Paris Nanterre, travaille sur l’histoire du mouvement de l’Education nouvelle et, plus largement, sur celle des réformes de l’enseignement en France depuis la fin du XIXe jusqu’à no.E-mail: laurent.gutierrez@parisnanterre.fr.