Resenhas

BERLINER, David. Perdre sa culture. Bruxelles : Zones Sensibles, 2018. 154p.

Cyril Menta
musée du quai Branly – Jacques Chirac, Francia

BERLINER, David. Perdre sa culture. Bruxelles : Zones Sensibles, 2018. 154p.

Anuário Antropológico, vol. 46, núm. 2, pp. 328-332, 2021

Universidade de Brasília

BERLINER David. Perdre sa culture. 2018. Bruxelles . Zones Sensibles. 154pp.

Recepción: 04 Enero 2021

Aprobación: 31 Marzo 2021

Félicitons avant toute chose les Éditions Zones Sensibles pour la qualité de leurs publications, tant sur le plan scientifique qu’éditorial. L’un de leurs derniers ouvrages, Perdre sa culture, de David Berliner, aborde la question de la transmission culturelle sous un angle original. Les processus subséquents à des dynamiques inhabituelles voire à des impossibilités de la transmission dues à de profondes transformations culturelles sont appréhendées de manière quasi exclusive sous le prisme des émotions suscitées, notamment la nostalgie, née de la réflexivité relative à un passé révolu. Cette brèche analytique ainsi ouverte est éminemment contemporaine : la diversité culturelle, le patrimoine matériel ou non, l’authenticité, les traditions ou la culture et la peur de leur perte ou des changements contemporains accaparent aujourd’hui une partie des débats tant anthropologiques que politiques. La nostalgie est, selon l’auteur, l’élément permettant d’articuler les rhétoriques d’acteurs divers, élaborées à l’intérieur de contextes dans lesquels la transmission aux générations futures est pensée et vécue comme un impératif.

Afin d’embrasser au mieux cette vaste question, David Berliner mobilise autant ses ethnographies que des textes classiques de la discipline anthropologique, et interroge la posture de l’anthropologue. Cette multiplicité de données et de points de vue lui permet d’opérer une distinction, à la valeur euristique certaine, entre une endonostalgie et une exonostalgie. Cette dernière intéresse spécifiquement l’auteur et représente « un regret pour un temps que l’on n’a pas connu soi-même » (p. 20), une nostalgie romantique particulièrement présente dans les écrits des premiers ethnographes ou dans la posture de l’Unesco. L’endonostalgie est, au contraire, le chagrin ressenti en référence à un passé perdu que l’on a soi-même vécu.

L’auteur a réalisé un terrain chez les Bulongic de Guinée-Conakry entre 1998 et 2002. Cette population a adopté massivement l’islam dans les années 1950. De nombreuses pratiques et représentations sont alors devenues incompatibles avec la nouvelle religion. La liste est longue des éléments culturels – dont les savoirs initiatiques, mais pas seulement – qui ont subitement ou progressivement disparu. David Berliner se dit lui-même déçu de ne pas avoir rencontré l’Afrique qu’il avait semble-t-il fantasmée. Pourtant, malgré cette exonostalgie personnelle et l’endonostalgie ressentie par les hommes bulongic (jeunes comme vieux initiés), il apparaît clairement que certains éléments appartenant au passé pré-islamique ont persisté. Par exemple, chez les Bulongic, un « masque-serpent » nommé Mossolo Kombo « dominait la vie des hommes […], depuis l’acquisition de la masculinité à travers l’initiation jusqu’à la punition des infractions, en passant par la subordination des femmes aux hommes » (p. 31). Effrayant, celui-ci instaurait un climat de terreur. Le masque n’est plus apparu en public à partir de 1954, date de la dernière initiation et du début de l’islamisation massive de cette population. Si l’initiation est alors devenue impossible, certains éléments liés à Mossolo Kombo se sont malgré tout transmis : à travers notamment les remontrances faites aux jeunes, la peur et la fascination pour Mossolo Kombo se perpétuent. Certaines connaissances sont ainsi véhiculées par des « références voilées » (p. 39). Les femmes, elles, dansent et chantent, comme elles le faisaient jadis pour accompagner les sorties publiques des masques. Le thème de la perte et de la nostalgie est omniprésent chez les Bulongic. Il nous faut cependant les dépasser pour comprendre la restructuration, ou l’adéquation de la culture au contexte nouveau.

L’Unesco joue un rôle central tant dans la circulation des discours autour de la perte culturelle (p. 48) que dans la généralisation d’une nostalgie liée à des éléments culturels envisagés comme « authentiques ». L’auteur analyse ainsi les dynamiques qui ont suivi l’« unescoïsation » (p. 50) – dont l’objectif est de « pérenniser l’authenticité du lieu » (p. 52) – de la ville de Luang Prabang, au Laos. Il propose différentes modalités de la nostalgie en distinguant celle des fonctionnaires de l’Unesco de celle qu’éprouvent les acteurs locaux. Chez ces derniers, elle se focalise plutôt sur l’atmosphère de la ville que sur la disparition possible des temples ou de rituels (p. 73). Les femmes de Luang Prabang sont réputées pour être les plus respectueuses, à l’échelle nationale, de la tradition. La féminité est perçue comme étant transformée par la présence de touristes aux mœurs réputées immorales : celles-ci auraient une sexualité « débordante » et essaieraient de « coucher avec les moines » (p. 66). La nostalgie locale liée à ces changements récents engendre chez certains interlocuteurs de David Berliner une réjouissance quant à la présence de l’UNESCO. Les politiques de préservation adoptées contribuent à un certain conservatisme culturel.

Les membres de l’UNESCO seraient animés par une certaine nostalgie, de lieux et de temps connus virtuellement. Une autre forme d’exonostalgie apparait sous la plume de nombreux anthropologues : plusieurs textes fondateurs, où prévaut une « tonalité préapocalyptique » (p. 79) décrivent en effet ces sociétés comme fragiles, perméables aux transformations dues au contact, véritables déclencheurs de leur extinction. Cette exonostalgie serait « disciplinaire » (p. 81), la « figure de la disparition » étant, selon l’auteur, à l’origine de la discipline. Ce n’est que plus tard que celle-ci a réussi à s’en dégager, par l’introduction du thème de la résistance. Pourtant, l’exonostalgie perdure, revêtue de nouveaux atours. La collection Terres Humaines, par le choix de sujets en empathie avec ce qui est « local » en, est un exemple (p. 92). Ce ne sont plus les effets des politiques coloniales que l’anthropologue dénonce, mais les affres liées à la mondialisation.

La pratique de l’ethnographe est elle-même fondée sur une perte : celle, momentanée, de sa culture, permettant une meilleure compréhension de l’altérité. Si la pratique peut être dictée par une exonostalgie, il n’y a dans la démarche empiriste et la perte culturelle liée aucune émotion de ce type. L’anthropologue imite, joue ; il permute d’un répertoire à un autre. Il tente, à travers une expérience empathique intense, d’obtenir des informations sur autrui. L’ethnographie s’apparente, dans les années 1970, à une véritable transformation de soi, une quête expérientielle emblématique. Le chercheur empiriste évolue ainsi dans un entre deux identitaire, entre académie et terrains de recherche. David Berliner soulève à ce titre la délicate question de la menace de l’intégrité physique et morale de l’ethnographe. La participation, et les transformations personnelles qu’elle entraîne, sont, quels que soient les risques encourus, une obligation épistémologique.

À la lecture de cet ouvrage – et au vue de son titre –, on s’interroge cependant quant au double parti pris de l’auteur qui se focalise exclusivement sur la question de la perte en ne l’analysant qu’à travers les nostalgies suscitées. Or, le prisme prépondérant de la nostalgie semble induire une idée fallacieuse de la transmission. En effet, celle-ci n’est d’une part envisagée que comme verticale, ou intergénérationnelle, alors qu’elle peut tout aussi bien être interculturelle, interethnique, ce que nous constatons aisément dans un contexte d’échanges, de migrations, de circulations incessantes d’individus, de rencontres, de mondialisation de nombreuses religions. Le lien au passé, à la mémoire, se trouve modifié, mais la question de la transmission culturelle serait plus complète. D’autre part, elle n’apparait qu’en termes de contenus. Alors que, et pour reprendre Carlo Severi que l’auteur cite par ailleurs, la transmission possède également une « forme » spécifique (Severi, 2007, p. 330, cité ici p. 23). Oubli et perte peuvent ainsi faire partie intégrante de la transmission. Les Indiens parakanã, par exemple, pratiquent des rituels dont le contenu n’est jamais le même. Ils « capturent » continuellement, par le rêve, des chants qui sont voués à n’être énoncés qu’une unique fois (Fausto, 2011). Ce qui est transmis dans ce cas n’est pas un contenu propositionnel, mais un schéma d’apprentissage et de reproduction d’une forme rituelle particulière. Les contenus sont sans cesses perdus, consciemment et volontairement, ce qui n’implique de fait aucune forme de nostalgie puisqu’ils sont remplacés. Ce dernier point interpelle, d’ailleurs, dans le cas de David Berliner : s’il y a perte, par quoi ces éléments perdus sont-ils remplacés ? La perte peut en outre être le fruit d’un choix, qu’il convient alors d’analyser en termes de changements ou d’innovations, ce qui implique bien d’autres formes émotionnelles que la nostalgie. La contribution de David Berliner possède des défauts qui découlent de ses avantages : son parti pris initial – ou son originalité analytique – ne permet de rendre compte que d’une frange isolée et incomplète de la perte culturelle, et par extension de sa transmission, en contradiction avec l’ambition annoncée.

Références

FAUSTO, Carlos. “Mil años de transformación: la cultura de la tradición entre los Kuikuro del Alto Xingú”. In: CHAUMEIL, Jean-Pierre; ESPINOSA, Oscar; CORNEJO, Manuel (Orgs.). Por donde hay soplo: estudios amazónicos en los países andinos. Lima: IFEA-CAAP-PUCP, p. 185-216, 2011.

SEVERI, Carlo. Le principe de la chimère : une anthropologie de la mémoire. Paris : Éditions rue d’Ulm/musée du quai Branly. (Collection « Æsthetica »), 2007.

HTML generado a partir de XML-JATS4R por