Abstract: Phraseological studies are prospering, as there have been many important publications over the last years. However, while most researchers date phraseology studies back to Charles Bally (1909), they have a long tradition that has been ignored for years. Indeed, the term phraseology has been found in lots of works dating back centuries, even in the title of works going back to the 16th century (cf. also Autelli 2021a, 2021b). The main goals of this paper are to illustrate the concept of phraseology throughout the years and to investigate some of the works found, as they do not all look alike and still play an important role for terminology, phraseography and phraseodidactics. In particular, some of the most significant bilingual works (from the 19th and 20th century) based on French and Italian so-called “phraseologiae” (that contain terms such as “phraséologie” or “fraseologia” in the title of the works) will be analysed, as there are significantly more of them than in other languages.
Artikel
Les débuts de la phraséologie et les premières « phraséologies historiques » italo-françaises*
Publicación: 09 Febrero 2022
Les débuts de la phraséologie remontent à plusieurs siècles, bien que sa signification ait quelque peu changé au fil des siècles. Il est surprenant de constater que la plupart des chercheurs font encore appel à Charles Bally (1909) pour les débuts de ce domaine de recherche. Cependant, personne n’a cherché à savoir qui l’a influencé : parmi les nombreux ouvrages qu’il mentionne, Bally affirme s’inspirer de nombreuses oeuvres, à tel point qu’il déclare qu’il a été matériellement impossible de citer toutes les sources auxquelles il avait fait référence, parmi lesquelles des livres contemporains sur le vocabulaire français (par ex. respectivement Labor 1904 ; Carré 1906–1907), des livres de style (par ex. Larousse 1856), des grammaires avec des exercices (par ex. Brachet/Dussouchet 51905) et des guides de conversation (par ex. Ploetz 1906) (cf. Bally 1909/1951 : VI). En particulier, on n’a pas considéré la longue et singulière tradition qui a jeté les bases à la fois de la terminologie phraséologique, des aspects de la phraséographie et de la phraséodidactique (cf. Autelli 2021a, 2021b). C’est pour cette raison que les origines du terme « phraséologie » seront expliquées et que des oeuvres concrètes historiques franco-italiennes contenant le terme « phraséologie » ou « fraseologia » seront analysées. Elles font en effet partie des plus courantes parmi les oeuvres contrastives que l’on trouve et qui nous serviront pour cette analyse.
Du point de vue linguistique, le terme « phraséologie » signifie aujourd’hui la science qui traite de ce que l’on appelle phrasèmes, phraséologismes ou unités phraséologiques (cf. par exemple Gonzales-Rey 2015 : 63), au sens d’expressions idiomatiques (dont la signification ne peut être déduite de la somme du sens des éléments individuels, comme avoir une langue de vipère) ou d’unités fixes de caractère polylexical, telles que, en utilisant la terminologie de Burger (52015), les « phrasèmes structurels » (de jour en jour), les « phrasèmes communicatifs » (Bonne soirée, Salutations distinguées) et les « phrasèmes référentiels »1. Parmi les exemples de cette dernière catégorie, on retrouve notamment les collocations (des cooccurrences de mots ayant une structure hiérarchique, dont la base est utilisée au sens littéral, tandis que le collocateur peut éventuellement être idiomatique ou non, comme le soleil se couche, mettre la table) y compris, par exemple, les structures des verbes de soutien (où le verbe est devenu sémantiquement vide, comme prendre une photo, passer un appel). Les phrasèmes référentiels comprennent également les expressions idiomatiques avec aussi des cinégrams (le terme vient du Kinegramme en allemand créé par Burger (1976), définissant généralement des expressions idiomatiques (mais qui peut aussi souvent être compris dans son sens littéral) liées à une partie du corps et à un mouvement, comme secouer la tête), différents types de structures de type N + SPrép., qui correspondent, au moins en français, à des composés idiomatiques ou non idiomatiques ou à des composés semi-idiomatiques (lune de miel, lentilles de contact), les expressions adverbiales (du haut de la tête, par chance) et les verbes à particules (courir après, passer outre) utilisés par une certaine communauté linguistique. Burger place également les proverbes (souvent moraux ou contenant une certaine sagesse, comme A vouloir trop avoir, on perd tout.), les phrases idiomatiques (des phrases entières qui ne sont pas compositionnelles, comme C’est là que le bât blesse) et les citations (Être ou ne pas être, telle est la question) parmi les phrasèmes. Parmi les diverses combinaisons de mots, les collocations n’ont attiré l’attention des chercheurs que beaucoup plus tard (seulement à partir de la moitié du XXe siècle), tandis que d’autres ont une origine très ancienne, notamment les proverbes (déjà présents dans l’Antiquité chez les Grecs, cf. aussi l’Agamemnon d’Eschyle, in Garcia Romero 1999, chez Fanfani en préparation) et il y avait de nombreuses collections phraséologiques de nature plus pratiques que théoriques. On parle aussi de « fraseologismi a schema fisso » (Schafroth 2020) (littéralement ‹ phrasèmes à schéma fixe ›, comme Che cavolo stai a fare?) depuis peu de temps (cf. histogramme avec les différentes terminologies adoptées dans Schafroth 2020 pour indiquer des structures fixes), et le rôle des corpora est devenu de plus en plus important pour déterminer l’usage commun de certains phrasèmes. Plusieurs disciplines s’intéressent maintenant à la phraséologie, en particulier la linguistique informatique, mais il existe aussi des études telles que les études historiques, psycholinguistiques et pédagogiques.
De nos jours, de nombreux linguistes travaillent sur la phraséologie, ce qui fait que le domaine d’étude est en constante évolution. En plus de Bally (1909/21951), il existe également une importante série d’études soviétiques, anglo-saxonnes, espagnoles et allemandes qui n’est pas abordée dans cette contribution pour des raisons de place, mais on mentionne au moins certaines des premières contributions telles que celles de V. V. Vinogradov (par exemple 1944, 1947/42001) ; Černyševa (1970) ; Burger (1973) ; Rothkegel (1973) ; Morienko (1980) ; Häusermann (1977) ; Pilz (1978) ; Burger et al. (1982) ; et Fleischer (1982).
Dans le prochain chapitre, le concept de « phraséologie » et son évolution au travers des siècles (du XVIe au XXIe siècle) sera expliqué : on a effectivement découvert très récemment que la phraséologie pratique2 avait une tradition très ancienne et qui changeait de sens au fil des siècles. On mettra en avant un véritable trésor qui ouvrira de nouveaux horizons en phraséologie, phraséographie et phraséodidactique.
Le terme « phraséologie »3 semble dériver du grec (PHRASIS (ΦΡΑΣΙΣ)/PHRAZEIN (ΦΡΑΖΕΙΝ), en latin PHRASIS), indiquant le « mode d’expression, de communication ou de diction » (DWDS, s. v. phrase ; Harper 2001–2020), et a changé de sens au cours du temps, mais plusieurs de ses caractéristiques que l’on retrouve aujourd’hui semblent avoir une origine ancienne (cf. Autelli 2021a, 2021b). Comme nous l’avons vu dans le dernier chapitre, de nos jours le terme « phraséologie » fait référence à des expressions idiomatiques (selon une définition étroite), ou à des unités polylexicales (selon une définition large), ayant pour caractéristiques d’être des expressions fixes et partagées par une certaine communauté linguistique. Dans le passé il pouvait également se référer à autre chose : il suffit de regarder le genre de travail que Bally a mentionné pour comprendre, par exemple, qu’on accordait autrefois beaucoup d’attention au style (le style ne concernait pas seulement des phrasèmes isolés, mais aussi des phrases ou des passages entiers). C’est pour cette raison que beaucoup d’auteurs ont fait référence à de nombreux écrivains célèbres, mais les « phrases » varient d’un travail à l’autre. Dès le XVIe siècle, le terme phrasis a été utilisé pour désigner des phrases élégantes (par ex. in Artopoeus (1534)) et des « phrases célèbres » (des phrases entières ou des parties de phrases qui peuvent contenir des phrasèmes mais qui peuvent aussi être libres) que l’on trouve également dans la Bible (cf. par exemple, entre autres, Brunfels (1528) ou Westheimer/Setzer (1528)). Parmi les premiers écrits qui contiennent le mot phrasis figure aussi celle de Pictorius/Sammonicus/Ulsensius (1450–1508?), qui se trouve être une publication médicale. De même, le terme « phraseologia » a été utilisé de façon similaire, pour mentionner « des oeuvres d’auteurs religieux ou célèbres » (cf. par exemple Isocrates (1555) ; Neander (1558), représentant des travaux bilingues (gréco-latin) avec des phrases entières, qui n’étaient pas des phrasèmes, destinés aux étudiants apprenant le grec ancien lisant les oeuvres de grandes personnalités grecques, dont des philosophes et des orateurs de renom). On trouve également au cours du même siècle les travaux d’Erasmus von Rotterdam (1500–1536), qui documente des recueils de plusieurs types de phrasis qui pouvaient aussi correspondre aux phrasèmes tels que nous les connaissons aujourd’hui, mais sans faire de distinctions entre eux (cf. Burger 2018 : 23). Dans son travail datant de 1517, avec l’expression Schematismus Phrasiologiæ, Erasmus inclut également de nombreuses citations. On définit également les « phrases » comme des « Combined words or phrases » (The Middle English Dictionary), qui sont associés aux « tō̆ g̣ eder-wordes », tō̆ g̣ eder « togiderewordis » ou « to gidere wordis » de Pecock (1449/2012), ce à quoi correspondent aujourd’hui les phrasèmes (au sens large) (cf. Autelli 2021b : 10). Au XVIIe siècle, on trouve également le terme « phrasiologia » (Kohlhans 1676/ 2020, où les « phrases » reflètent en gros ce que nous concevons maintenant comme des phrasèmes au sens le plus large (cf. par exemple aussi Clarke (31655), qui transmet la phraséologie anglo-latine « élégante » à ses étudiants, et par exemple Smith (1674), qui documente ce qui on associerait à des phrasèmes principalement communicatifs), parfois incluant des proverbes(cf. Alvarez del Marmol (1611)). Dans le même siècle, on retrouve également les termes « phraséologie » et « fraseologia », qui seront examinés plus en détail dans le prochain chapitre. Les deux termes peuvent être trouvés à partir du XVIIe siècle (bien que les « phrases » aient été trouvées antérieurement) et la plupart des phraséologies ou fraseologie trouvées étaient principalement écrites pour de jeunes étudiants et peuvent toujours être utiles pour la phraseodidactique, mais, comme nous le verrons, leur contenu variera beaucoup. On verra que des « phrases » ou des « frasi » qui s’assimileraient à des citations (phraséologiques ou non), correspondent en partie aussi à des phrases qui présentaient des phénomènes grammaticaux déterminants ou aux phrasèmes au sens large.
La terminologie adoptée par les différents auteurs pour décrire les phrasèmes (qui s’appelaient « phrases », « phrasi » ou « frasi ») est également particulièrement intéressante. Pour des raisons d’espace, il ne sera toutefois pas possible d’approfondir ce sujet ici, mais on donnera des exemples et se réfèrera à Autelli (en préparation) pour plus d’informations sur ce sujet.
Bien que les « phraséologies » existantes soient assez anciennes, les premières oeuvres italofrançaises trouvées qui contiennent le terme « phraséologie » dans le titre ne remontent qu’au XIXe siècle, et sont particulièrement nombreuses au XXe siècle. Cependant, pour les différentes langues prises individuellement, on trouve des ouvrages beaucoup plus anciens.
Ruiz Gurillo (1997 : 29) affirmait que le terme se trouvait aussi déjà dans Homère, tandis que Gonzáles-Rey (22015 : 17) renvoyait la première attestation à 1778. Mais pour le français (souvent comparé à d’autres langages) on devrait aussi mentionner Kramer (1712, 1715), qui utilise les mots « phraseologique » et « phraséologie » dans deux dictionnaires phraséologiques, et des citations en français-allemand, qui aussi contenaient des mots monolexicaux et des mots composés. En plus, il existait déjà, par example, un Dictionnarire Fracoislatin, autrement dict Les mots Francois, avec les manieres duser diceulx,4 tournez en Latin (Estienne 1549) et des manuels consacrés à l’apprentissage au XVIe siècle avec de Vivre (1569) qui contient de nombreux phrasèmes ; De Giovanni (2015) fait également référence à Les épithètes de Maurice de la Porte (cf. par ex. de la Porte 1571) en ce qui concerne la documentation phraséologique. Il y a des recueils de proverbes, citations et phrasèmes dans plusieurs oeuvres comme dans Meurier (1568) et Ménudier (1678), et on trouve le premier ouvrage contenant (au moins dans le titre) le terme « phraséologie » dès le XVIIe siècle dans Du Cloux (1678), qui distingue la notion de phraséologie5 de la notion de vocabulaire, recueils de « phrases » communes pour les élèves apprenant le français (de Strasbourg) avec sa Phraseologie convenable (et fonctionnelle) pour la « Ieunesse de Strasburg ». Son livre est utile pour s’exprimer tant à l’écrit qu’à l’oral. Le terme est présent également dans des oeuvres multilingues, comme celle du Pielat (1673), qui reflète les phrasèmes au sens large d’aujourd’hui, comme collocations (une jolie fille) ou phrasèmes communicatifs (Prénes guarde à vous) ou phrasèmes structurelles (à une fois), et à partir du XVIIe siècle, il se retrouve essentiellement dans les oeuvres bilingues (par exemple franco-allemandes), comme celle de Pignata (1776), où l’auteur écrit en français et donne des traductions en allemand des phrasèmes au bas des pages (par exemple à la page 68, perdre courage den Mut verlieren ou s’abandonner au desespoir, sich der Verzweiflung ergeben), mais certaines sont également italo-françaises (comme celle de Bochet 1846, qui contient des phrasème tels que nous les connaissons aujourd’hui). L’oeuvre de Bochet inclut aussi les « phraséologie[s] » de M. Moretti (avec des phrasèmes communicatifs comme Forcez-moi à le faire à la page 1) et celle du Chevalier Cardinelli, le premier rapportant des aspects concernant à la fois les faux amis et les « italianismes ou idiotismes » particulièrement contrastés, tandis que le second se base sur des « phrases françaises et italiennes » avec des équivalents particulièrement différents et rapporte des « phrases élémentaires » qui incluent des « phrases » qui correspondent à peu près à des phrasèmes au sens large (la plupart des ouvrages prévoyaient une introduction explicative, parfois pour comprendre des textes, et proposaient souvent des listes à apprendre par coeur), mais aussi des phrases ou des syntagmes libres, comme La femme de qui nous vous avons parlé (ibd. : 43). On peut trouver, parmi tant d’autres, des exercices basés sur des « idiotismes » et des « proverbes » (en l’occurrence franco-allemands) chez Martin/Leray (1900) déjà mentionnés par Ettinger (2010), et plusieurs ouvrages commerciaux, comme celui de Chanoux (1944) qui recueille plusieurs phrasèmes au sens large, surtout des collocations, mais aussi des phrasèmes communicatifs et quelque fois aussi des unités monolexicales.
De même pour l’italien, le premier soi-disant frasario (‹ livre de phrases ›) se trouve au XVIIIe siècle (cf. Malatesta Garuffi 1720), mais il existe aussi d’anciens recueils comme les phrasi Toscane remontant au XVIe siècle (cf. Montemerlo 1566 ; cf. aussi Fanfani en cours d’impression) et d’autres ouvrages phraséologiques qui, toutefois, ne contenaient pas « phraséologie » ou « fraseologia » dans le titre aux XVIe et XVIe siècles (cf. par exemple le Flos Italicae linguae de Monosini (1604) et de nombreux recueils de proverbes). Il y a eu aussi d’importants ouvrages contrastifs à partir du XVIIe siècle, comme les dictionnaires phraséologiques ou « fraseologie » italien-allemand de Kramer, le premier volume de 1676. On trouve les premières « fraseologie italiane » (contenant le terme « fraseologia ») monolingues au XIXe siècle chez Bartoli (1826) ; Lissoni (1826, 21836) ; Percolla (1870,21889) ; et Ballesio (1898–1902, 21898)6 ; on trouve aussi des contrastifs comme l’italo-anglais à partir du XVIIIe siècle (cf. Baretti (1775, 1835)). En outre, de nombreuses autres phraséologies se trouvent dans la Bible ou dans la documentation des citations d’auteurs importants, comme chez Gallicciolli (1773) et Castrogiovanni (1858)7. Au XIXe siècle, plusieurs ouvrages ont également été publiés sur les différentes variétés diatopiques de la péninsule italienne, comme Collina (1817), consacré à la phraséologie toscane, Caglia Ferro Ruibal (1840), qui documente la phraséologie sicilienne avec des mots monolexicaux mais range l’article et les phrasèmes dans des catégories thématiques (à la page 41 on peut trouver la catégorie Di alcune armi ed oggetti ad esse spettanti, avec des exemples comme Un cannùni, un cannòne et Lu cozzu di la sciabbula, o di la scarcina) et Mutinelli (1851, 1852), qui liste les mots monolexicaux (comme INQUERIR, Mutinelli 1852 : 209) et les mots plurilexicaux (comme INQUISITORI ALLE SCUOLE GRANDI, Mutinelli 1852 : 209) dans ses dictionnaires vénitiens, mots suivis d’informations historiques et quelque fois aussi d’informations sur l’étymologie. Pour le couple italo-anglais on se rappelle les nombreuses oeuvres de Cann (à partir de 1876), qui rapportent des conversations entières où on peut aussi trouver des expressions utiles (Let us go and take our places, Cann 1876 : 119). Dans ce qui suit, on analysera exclusivement certaines des oeuvres contrastives italo-françaises.
Comme mentionné brièvement ci-dessus, on trouve les premiers frasari italo-françaises au début du XIXe siècle (cf. Salomoni (1810) et A. F. (1890)), qui recueillaient des « phrases », ce que nous percevons aujourd’hui comme phrasèmes (selon une définition large), et qui comprend des proverbes, conçus pour aider à mieux parler et écrire, surtout pour les Italiens (ou quiconque) qui voulaient apprendre le français. Ci-dessous un extrait de Salomoni (1810):
Comme on peut le voir sur l’image 1, les « phrases » françaises correspondaient à ce que nous désignerions aujourd’hui comme des phrasèmes au sens large (en particulier les collocations et les expressions idiomatiques), tandis que dans la partie italienne, nous trouvons aussi occasionnellement des termes monolexicaux (comme acquietarsi). On trouve des phraséologies italofrançaises, comme déjà brièvement mentionné ci-dessus, seulement à partir du XIXe siècle, par exemple chez Arnaud (318..., 1857) ; Zoni (1859, 1879) ; Ghiotti (1882a, 1882b) ; Petrini (1888a, 1888b, 1888c, 1888d) ; et Baroschi Soresini (1899). Certaines d’entre elles sont particulièrement intéressantes et seront examinées plus en détail dans ce chapitre. Avant Bally, Peroni par exemple (21902) a publié une collection de Phraséologie et Proverbes pour les écoles secondaires d’Italie, soulignant dans la préface que « la connaissance d’une langue consiste, à [s]on avis, [en] la connaissance complète de la phraséologie »
La Phraséologie de Peroni contient des expressions plurilexicales de différents types, classées par ordre, en particulier ce que nous définissons aujourd’hui comme collocations (Abbandonarsi alla fuga) et expressions idiomatiques (star a bada), mais il inclut également des phrasèmes structurels (a balume) et des proverbes dans sa collection.
Parfois, les « phrases » ne sont pas seulement traduites, mais des explications et des citations éventuelles sont également insérées, comme dans les « gallicismes » (des phrasèmes français), – « locutions » (qui incluent des phrasèmes comparatifs comme s’en moquer comme de l’an quarante et expressions idiomatiques comme se tenir sur le quant à soi) et « dictons » (qui correspondent au citations comme Je m’en moque comme de l’an quarante) de Bertùccioli (1922).
Trucchi (1812, 21825, 31854) avait également publié un ouvrage similaire pour les étudiants Napolitains, dont deux extraits sont donnés ci-dessous :
Il est intéressant de noter que l’auteur a distingué les phrases « particulières » des autres parce qu’elles étaient placées dans leur contexte. Souvent, ces types de phrases sont des phrasèmes communicatifs de nos jours. Les proverbes ont été catalogués séparément. Il y avait aussi des « phraséologies » qui contenaient exclusivement des « recueils de proverbes » (par exemple Petrini 1888b, 1888c) et d’autres qui s’appelaient par exemple « recueil[s] d’idiotismes » (par exemple Bochet 1846). On trouve aussi une citation de B. Melzi sur la couverture de l’ouvrage de Gerace (1908), où il est écrit : « Ritenuto che il francese sia essenzialmente una lingua di frasi, ne deriva che bisogna pur conoscere quel complesso di modi di dire o locuzioni affatto proprie quell’idioma, e che convenzionalmente chiamansi gallicismi. »8 Comme on peut déjà le voir dans l’index, Gerace distingue différents types de locutions : familières, figuratives, populaires et triviales, commerciales et adverbiales (chez Peter en 1842 on trouvait aussi des locutions vicieuses, qui correspondaient aux phrasèmes vulgaires). Il mentionne également les proverbes indiqués comme tels (ce qui n’est pas surprenant car les proverbes ont une origine ancienne et systématique, même si d’autres auteurs parlent en plus de « proverbi e modi proverbiali », cf. par exemple Rodari 1903 : 168).
Comme on peut le voir, l’auteur inclut différents types de « locuzioni » ou « modi di dire », qui correspondraient aujourd’hui à différents types de phrasèmes, tels que des expressions idiomatiques comme battre l’eau, collocations, comme vers blancs, phrasèmes communicatifs, comme Il fait bon ici, phrasèmes comparatifs, comme boire comme un trou, et phrasèmes structurel, comme de but en blanc. Des phraséologies similaires se retrouvent dans Gubbiani (1902) et Mannino Ciracolo (1906), qui, cependant, traitent essentiellement des aspects grammaticaux avec des phrases basées sur certains verbes et ne regroupent que dans une section séparée une partie des « frasi famigliari » (‹ phrases familières ›, qui appartiennent à la « Phraséologie familière », expression déjà documentée par exemple par J. Ph. Barberi chez Bochet (1846) ; et chez Fornier (1868?) pour indiquer différents types de « phrases » qui pouvaient correspondre aux proverbes et locutions en général). Chez Baroschi Soresini (1899), comme on le verra après, la « phraséologie familière » correspondait particulièrement à ce que nous connaissons aujourd’hui sous les termes de collocations et d’expressions idiomatiques. On trouve aussi des « frasi famigliari » (‹ locutions familières ›), par exemple chez Hugues (1912).
Comme le montre le dernier ouvrage, certaines phraséologies contiennent non seulement des listes systématiques de phrasèmes, mais aussi des parties consacrées à la grammaire, tout en incluant des exemples d’usages. Ainsi, par exemple, Piano (1913) explique plusieurs verbes à la fois grammaticalement et phraséologiquement :
Ce qui est surprenant, cependant, c’est la terminologie adoptée dans certaines des phraséologies. Par exemple Baroschi Soresini (1899) divise sa Fraseologia francese-italiana en plusieurs catégories : 1) « Phraséologie familière » (avec le sous-titre « et tours élégants et figurés de la conversation »), divisée en deux catégories, plus précisément 1a) « Désignations – appellations, etc. » et 1b) « Autres formules, locutions, désignations, etc. consacrées par l’usage » ; 2) « Phraséologie grammaticale », avec une partie consacrée à la « Phraséologie sur les Synonymes » ; 3) « Nomenclature et phraséologie commerciale » et 4) « Recueil de proverbes », dont la dernière partie indiquée comme « Similitudes et comparaisons ». Huit exemples tirés des sections sont donnés ci-dessous. À l’exception de la partie « phraséologie grammaticale », les exemples ont été tirés de la lettre « E » dans chaque section :
Grâce à la découverte des travaux de Baroschi Soresini (cf. Autelli 2021a,2021b), il est évident que des différenciations (et donc des catégorisations) avaient déjà été faites entre les différents types de phrasèmes dans le passé.9 Baroschi Soresini tente de créer diverses catégories de phraséologie. Dans la première catégorie, définie comme « familière », du moins dans les exemples donnés, on trouve essentiellement des combinaisons qu’on connait aujourd’hui sous le nom de collocations (èclairer à giorno – illuminare a giorno) et d’expressions idiomatiques (écorcher ses pratiques – scorticare gli avventori). Dans la deuxième section de la première partie, on retrouve des combinaisons de mots que nous associons aujourd’hui aux phrasèmes structurels (comme en préparation), aux composés (comme escalier en caracal) et autres collocations (comme expédier un brevet) qui relèvent des « autres formules ». La « phraséologie grammaticale » comprend plusieurs types d’exemples pour différents domaines, temps, prépositions, ainsi que pour les genres masculins et féminins comme on peut le voir dans la deuxième section. Bien qu’il s’agisse essentiellement de grammaire, Baroschi Soresini parle encore de phraséologie car il existe des dépendances qui déterminent une phrase, en l’occurrence le type d’article qui précède le nom. De nos jours, cette catégorie est généralement exclue du terme « phraséologie », bien qu’il soit reconnu que le lexique et la grammaire sont fortement liés. La « Phraséologie sur les synonymes » énumère des mots polysémiques ou quasi-synonymes qui, cependant, ne doivent pas être confondus. À cette fin, des exemples d’utilisation sont donnés, afin que l’on puisse comprendre comment les lemmes individuels sont utilisés dans un contexte donné, en donnant parfois même des définitions (voir Jalousie vs. Envie), mais aussi avec des citations ou des proverbes (La Speranza non muore mai nel cuore dell’uomo). La catégorie « sur le synonymes » est également en dehors de ce que nous appelons la phraséologie de nos jours. On pourrait le décrire comme une phraséologie selon une définition large, étant donné que la plupart des phrases dépendent également d’un usage et d’un contexte donné. La troisième partie de l’ouvrage porte sur la « nomenclature commerciale », dans laquelle nous énumérons également des termes techniques (qui, n’étant pas polylexiques, aujourd’hui ne feraient pas partie de la phraséologie), suivie d’une véritable « phraséologie commerciale », dans laquelle nous citerons ce que nous percevons aujourd’hui comme des phrasèmes communicatifs (par exemple Envoyez-moi une lettre de changement à courte échéance), mais aussi de nombreuses collocations, quelques composés et, plus rarement, des expressions idiomatiques (à partir du français, comme être au pair). Enfin, les deux dernières parties sont consacrées aux proverbes (qui ne sont plus appelés « manières proverbiales », mais « proverbes »), comme En forgeant on devient forgeron, et aux « Similitudes et comparaisons », comme étourdi comme un hanneton qui reflètent des phrasèmes comparatifs de nos jours.
Il existe également des manuels pratiques contenant des expressions utiles pour les voyageurs, surtout des phrasèmes comparatifs (par ex. Phraséologie allemande (1839) ; et Valentini (1993), qui créent des oeuvres multilingues) ; la phraséologie multilingue peut déjà se retrouver, par exemple, chez Pielat (1673) ; et Smith (1674) ou dans les manuels destinés aux les écoles de commerce (par ex. aussi Petrini (1888a, 21889) ; et Spezia (1899), plus tard également Macchi (31933)). Des travaux similaires contenant d’autres langues sont disponibles, tels que le dictionnaire Frisoni (1907), en six langages : italien, allemand-français-anglais-espagnol-portugais. On se réfère en outre à Lillo (1994) ; à Minerva (1996) ; et à Minerva/Pellandra (1997) pour plus d’informations sur la lexicographie italo-française et l’enseignement du français en Italie.
Baroschi Soresini (21912) ; Macchi (31933) ; et Hervier-Greco (1950) publient également des manuels ayant une phraséologie qui contiennent des exercices de conversation. Alors que Baroschi Soresini (21912) ; et Hervier-Greco (1950) proposent des dialogues dans certaines situations, par exemple à la gare ou au restaurant, en divisant la page en deux (soit moitié en italien et moitié en français), Macchi (31933) offre des conseils pour démarrer des conversations, en donnant des indications sur le type de thèmes à traiter et en donnant quelques indices linguistiques utiles, comme on peut le voir ci-dessous :
Ainsi qu’on peut le constater, dans ce cas, les exercices de conversation ne contiennent pas seulement du vocabulaire phraséologique utile, mais sont également précédés par d’autres expressions utiles, en l’occurrence des expressions liées au corps humain. L’exercice de « conversation » correspond en fait à un guide pour un monologue structuré.
Lysle (1902) place les conversations dans un contexte donné et rapporte également la prononciation de certains phrasèmes pertinents :
Des exercices de conversations commerciales ont également été publiés, par exemple par Le Petit (1898), mais aussi par Spezia/Wildy (1901), dans un environnement commercial :
Comme on peut le voir ci-dessus, des dialogues en italien et en français se déroulant dans un magasin de tissus sont donnés. Ces dialogues présentent une riche phraséologie communicative, qui comprend à son tour des phrasèmes liés au commerce.
Il existe un certain nombre d’ouvrages fournissant des matériaux de lecture, qui contiennent à leur tour des matériaux de conversation, tels que ceux de Cordaro (1931 : 37), qui énumère dans ce contexte ce que nous entendons par phrasèmes (essentiellement) communicatifs (comme C’est à toi (tocca a te)) suivis de « locutions et gallicismes » (comme Le jeu n’en vaut pas la chandelle – È più la spesa che l’entrata), et « proverbes » (comme Jeu de mains, jeu de vilain – Giochi di mano, giochi di villano) : les deux catégories seraient aujourd’hui associées respectivement au concept de ‹ phrase figée › (Burger (52015 : 34) parle de « feste Phrasen », à savoir des phrases où une partie est exprimée littéralement) et de proverbes. Dans certains ouvrages de phraséologie technique, en plus de documenter les termes techniques simples et polylexicaux, des textes sont également proposés à lire ou à dicter en classe, avec des notes utiles pour les lecteurs et un questionnaire final, comme on peut le voir ci-dessous :
Comme on peut le voir, l’ouvrage propose dans le texte plusieurs mots agraires à la fois monolexicaux et polylexicaux, les insérant dans un contexte riche d’autres phraséologies typiques du langage agricole, comprenant à la fois des composés du type « arboriculture », et ce qu’on associerait aujourd’hui à des collocations, comme « culture pastorale ».
Bien qu’ils soient plus facilement explicites que les exercices de conversation, les ouvrages de phraséologie contiennent souvent des éléments pratiques pour l’écriture. Toutefois, on note plusieurs travaux dans le domaine des affaires qui comprennent non seulement une phraséologie utile, mais aussi des modèles d’écrits dont on peut s’inspirer. Zoni (1879) et Jaccod (1930) proposent par exemple quelques idées pour écrire des lettres commerciales, comme on peut le voir dans deux exemples tirés de ce dernier :
Spezia/Wildy (1901), en plus de documenter les notions de base de la grammaire franco-italienne, incluent également des termes de commerce importants, des lettres et autres documents, et proposent plus d’exercices conversationnels ainsi que des exercices de (lecture et de) traduction, à l’aide de textes en italien ou en français (comme indiqué ci-dessous) :
Les exercices visent à mettre en pratique certains phrasèmes appris et à en apprendre d’autres. Toutefois, contrairement aux phraséologies utilisées pour d’autres langues, aucun indice n’est donné et aucun commentaire supplémentaire n’est ajouté dans l’exercice. Il s’agit probablement de rendre les étudiants aussi autonomes que possible. Au contraire, dans d’autres ouvrages tels que les Darchini (161927), ils essaient d’inclure des informations utiles au bas de chaque texte individuel :
Comme vous pouvez le constater, les notes ajoutées concernent aussi bien les phrasèmes que les expressions monolexicales.
S’il existe de nombreuses études sur les phrasèmes utilisés dans le passé, il n’y en a pas beaucoup sur ce qu’on appelle les phraséologies historiques, qui contenaient en grande partie des phrasèmes, mais pas seulement. Tout au long de cet article il a été possible de démontrer que la phraséologie a une longue tradition, et que bien que sa signification ait changé au fil des siècles (cf. aussi Autelli 2021b), on trouve déjà « phrasis » dans les ouvrages consacrés à l’explication des textes religieux ou, rarement, dans les oeuvres médicales. Depuis l’Antiquité, le concept de ‹ phraséologie › est lié au style (et pas seulement aux phrasèmes), de sorte que de nombreux ouvrages, déjà au XVIe siècle, comportaient des citations ou modèles tirées de la Bible ou d’autres auteurs célèbres (souvent grecs ou latins), il pourrait s’agir des phrasèmes (au sens large) ou même de combinaisons de mots libres. L’un des termes les plus fréquents de la phraséologie (ou dans les ouvrages contenant ce terme) est celui des « phrases », qui déjà au XVe siècle était associées aux soi-disant « tō̆ g̣ eder-wordes » de Pecock (1449) et que l’on retrouve à partir du XVIIe siècle également dans ce que l’on appelle les « phrasiologias », représentant communément ce que nous comprenons à notre époque comme des phrasèmes (au sens large du terme). Les oeuvres ont fréquemment été utilisées comme manuels pour mieux comprendre les textes, mais également pour mieux s’exprimer oralement et par écrit, ou encore pour les traductions, offrant souvent des collections de « phrases » (souvent des phrases fixes, mais aussi des phrases entières libres ou non) pour étudiants ou parfois pour retraités et voyageurs, en version monolingue, bilingue ou même multilingues pour que les lecteurs apprennent par coeur ou consultent au besoin. Souvent, ces ouvrages comportaient des aspects grammaticaux.
Les termes français et italiens « phraséologie » et « fraseologia » ont été trouvés pour la première fois dans des ouvrages contrastifs du XVIIe siècle, principalement dans des dictionnaires ou des collections de « phrases » ou de « phrasis/frasi » (les « phrasis » étaient déjà attestés au siècle précédent dans une collection d’expressions religieuses de Montemerlo 1566 ; ils correspondent à des phrasèmes au sens large ; on trouve en particulier de nombreux phrasèmes communicatifs et des collocations). Cependant, au fil des années, nous trouvons « phraséologie » ou « fraseologie » qui ne sont pas de simples collections, mais qui contiennent souvent des aides à la compréhension ou à l’apprentissage de « phrases » ou « frasi » (souvent concernant des citations d’auteurs célèbres ou des citations de la Bible, mais aussi d’autres phrasèmes en général). Il y avait des travaux phraséologiques sous différentes formes, comme le montre également l’analyse des oeuvres contrastives italo-françaises.
L’analyse a montré que de telles oeuvres contrastives étaient déjà présentes dans l’Antiquité, mais que pour le français et l’italien, elles se trouvent surtout vers la fin du XIXe et au XXe siècle et peuvent avoir des formats différents. Les travaux analysés dévoilent que la plupart de ces travaux consistaient en des collections phraséologiques systématiquement organisées, proposant souvent une terminologie pertinente pour les études phraséologiques. Parmi ceux-ci, le travail de Baroschi Soresini (1899) s’avère être l’un des plus représentatifs, réalisant une catégorisation du terme « phraséologie », incluant par exemple aussi une « phraséologie grammaticale », terme qui sera sûrement analysé plus en détail dans d’autres contributions, ou encore utilisant des catégories qui sont aujourd’hui appelées différemment (on pense notamment à la section « Similitudes et comparaisons », qui est aujourd’hui associée à des phrasèmes comparatifs), mais qui se distinguent des autres. Pour des raisons d’espace, on n’a pas pu analyser ici en détail tous les termes trouvés dans les différents ouvrages, mais on renvoie au travail d’Autelli (en préparation) pour plus d’informations à leur sujet.
Les travaux de phraséologie découverts ont également montré que la plupart d’entre eux ont été conçus à des fins didactiques, ils pourraient donc donner des indications également pour la phraséologie actuelle. Parmi les différents types d’exercices repérés dans les ouvrages analysés, il y a des exercices de lecture et de conversation, y compris la dictée et la traduction, ainsi que des exercices dans certains contextes, notamment celui du commerce. Avec cette contribution, on espère avoir montré que le terme phraséologie a changé au cours des siècles, mais qu’il trouve son fondement dans l’Antiquité, à partir de laquelle nous pouvons apprendre beaucoup tant sur le plan terminologique que phraséographique et phraséodidactique. Bien qu’il s’agisse principalement de recueils phraséologiques rédigés à des fins didactiques et non d’ouvrages de nature théorique (seuls certains rares exemples sont en partie des exceptions car ils contiennent de longues préfaces détaillées et sont donc plus théoriques), la plupart des phraséologies historiques trouvées étaient bien structurées et donneront certainement lieu à de nouvelles études.
Enfin, il ne faut pas non plus oublier que le terme est encore utilisé aujourd’hui dans d’autres disciplines, mais en prenant aussi d’autres significations, comme dans la musique et l’aéronautique.