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Au seuil de l’École de Tunis L’usage des références nationales dans la perception et la promotion des beaux-arts en Tunisie avant la Seconde Guerre mondiale
Au seuil de l’École de Tunis L’usage des références nationales dans la perception et la promotion des beaux-arts en Tunisie avant la Seconde Guerre mondiale
Manazir Journal, vol. 2, pp. 82-108, 2020
Universität Bern

Publicación: 01 Abril 2021
Abstract: On the occasion of the inauguration of the first gallery founded by artists in Tunis, the painters Moses Levy, Pierre Boucherle, Antonio Corpora and Jules Lellouche published in 1936 a manifesto affirming their autonomy, beyond mercantile logics and national assignments. However, a national reading of their works prevailed in the press, at that time. This article proposes to put this founding event of the « École de Tunis » into context, by reinscribing it in a century-old history. This past is marked by the presence of French and Italian artists between 1840 and 1880, by the failure of a policy of asserting a French artistic model with an aborted project for a French museum around 1890, and by the affirmation of an artistic life characterised since the 1910s by its pluralism and even its eclecticism. This article thus intends to contribute, through the example of pictorial production, to the historicisation of discourses on the plurality or cultural identity of Tunisia, which are still today objects of debate.
Keywords: Tunisian painting, national models, École de Tunis, Galerie de l’art nouveau, Moses Levy.
Dans l’histoire des arts en Tunisie, l’exposition inaugurale de la Galerie de l’art nouveau, en 1936, marque une date importante2. Pour la première fois, des artistes présentent leurs œuvres dans un espace dont ils assurent la gestion. Située au no 5 de la rue St-Charles3, soit en plein cœur de la ville moderne, leur galerie occupe un local qui avait quelques années plus tôt abrité La Boutique d’art, une galerie fondée par le marchand Charles Boccara. Dans cette initiative associant deux artistes qui disposent d’une assise financière et d’un capital de reconnaissance, Moses Levy (1885-1961) et Pierre Boucherle (1894-1988), et deux espoirs prometteurs, Jules Lellouche (1903-1963) et Antonio Corpora (1909-2004), chacun exposant quatre toiles, La Dépêche tunisienne, principal quotidien local, voit une « réplique opportune des ateliers d’exposition dont s’enorgueilliss[ai]ent la critique parisienne comme les amateurs éclectiques et éclairés de la capitale4 » (fig. 1). Pour le journaliste, en matière de peinture comme pour l’ensemble des arts, le véritable modèle de référence est Paris, malgré la proximité de l’Italie5.
À l’occasion de cette première exposition, les quatre artistes ont rédigé un manifeste, sur le modèle, explicite, des avant-gardes européennes6. Il débute ainsi : « Nous ouvrons les portes de cette Galerie aux artistes tunisiens et étrangers d’avant-garde7 ». Ici, pas d’autre reference nationale qu’au pays où vivent et travaillent ces artistes, la Tunisie, l’adhésion commune au mouvement d’avant-garde transcendant les frontières. Il n’est pas question de la France, non plus que de l’Italie. De fait, on considère généralement cette exposition comme ayant été le point de départ de ce qu’on appellera une quinzaine d’années plus tard l’École de Tunis, expression forgée sur le modèle de l’École de Paris8, et dont Pierre Boucherle, qui s’en présente comme le fondateur, affirmera en 1964 qu’elle « n’a jamais eu la prétention, ni même l’intention, de se situer sur le plan d’une école d’art au même titre, par exemple, que les Écoles de peinture française, espagnole, italienne ou flamande. Son but a été de réunir quelques-uns des meilleurs peintres de Tunis sans distinction de tendance, de race et de religion9 ». Or le discours du journaliste de La Dépêche tunisienne qui rend compte de l’exposition de 1936 est différent. Il fait référence aux appartenances nationales des exposants, et, pour trois d’entre eux, y trouve une clé de lecture de leurs œuvres. Moses Levy, présenté comme un aîné déjà célèbre et pourtant en perpétuelle recherche, échappe à cette catégorisation, sans doute parce que son statut de protégé britannique de culture italienne et française le rend difficile à classer. Mais l’art de Boucherle est mis en relation avec son caractère « français, et plus exactement latin, [qui] sent la nécessité d’une construction logique. Il cherche à ordonner ses sensations en une rigoureuse simplicité architectonique ». Corpora « est italien, sa peinture aspire à l’ordre et à la clarté méditerranéenne. Sa logique, son besoin du déflni sont en conflit avec sa nature méridionale, et de ce contraste de l’ordre et de l’instinct naît son drame pictural ». Lellouche, de nationalité tunisienne, est quant à lui associé à l’Afrique : « Il est peut-être le seul peintre qui s’exprime en authentique Africain. Son art se nourrit de sensations plutôt que de visions. La sensualité l’emporte parfois sur la sensibilité, l’instinct sur la logique créatrice, et c’est alors que sa peinture nous paraît un peu impressionniste. » Cette discordance entre l’affirmation par les artistes d’une avant-garde à la fois ancrée en Tunisie et ouverte sur l’étranger qui échapperait aux catégorisations nationales et une lecture nationale des œuvres par la presse nous invite à réfléchir sur les différents usages de la référence nationale dans la production artistique et les discours qui l’accompagnent en Tunisie, au cours du siècle qui précède l’affirmation, au début des années 1950, d’une « École de Tunis » dont on attend qu’elle élabore un répertoire esthétique à même d’exprimer la pluralité des éléments constitutifs de la « tunisianité » (Nakhli 178).

Pour cela, nous reviendrons sur les premiers témoignages d’un goût pour les cadres10, ces tableaux peints qui ornent les palais du bey et de ses ministres à partir des années 1840, avant que la Régence ne soit occupée en 1881 par les troupes françaises. Nous évaluerons ensuite l’action en matière artistique des promoteurs d’une francisation du pays, sur le modèle de l’Algérie, et ses limites, symbolisée par l’échec d’un projet de musée français. Nous aborderons enfin l’affirmation d’une latinité commune, qui permet d’associer France et Italie, avant et après la Première Guerre mondiale, et trouve une forme plus large sous l’égide de la Méditerranée.
Une diffusion de la mode des toiles peintes d’Europe, sans couleur nationale spécifique
Les tableaux peints constituent un élément nouveau du décor qui se diffuse dans les palais à Tunis à partir des années 1840. Si leurs auteurs sont le plus souvent des artistes originaires de France ou d’Italie, rien n’indique qu’une identité nationale leur ait été clairement associée. Le conseiller diplomatique du bey Ahmad 1er, Giuseppe Raffo, d’origine italienne, a sans doute contribué à la diffusion de ce goût nouveau dans la Régence. Il se rendait régulièrement en Europe, à Turin, Milan, Florence, Paris et Londres, y visitant les collections publiques11. Dans les salons de son palais à Tunis, rue Zarkoun, à proximité du fondouk des Français, à la limite de la médina, on trouvait à la fois des portraits en pied qu’il avait fait peindre à Paris – dont son propre portrait par Charles Gleyre, aujourd’hui conservé dans les collections de l’État tunisien, sans doute réalisé au début de l’année 184312 (fig. 2) – et « les madones de Raphaël qui lui plaisaient le plus » qu’il avait « fait copier aux Uffizi13 » (Winckler 162).
Une quinzaine d’années plus tard, l’inscription apposée vers 1859 en bas d’un portrait du bey Muhammad al-Sâdiq, « Simil. Calligaris. et compagnie », témoigne de cette fluidité. On peut en effet y voir l’indication que l’œuvre, commencée à Tunis par un peintre français originaire de Nîmes, Louis Simil (1822- apr. 1896 ?)14, a été achevée par le Piémontais Luigi Calligaris (1808-1870), directeur de la nouvelle école militaire de la Régence, avec l’aide d’élèves de l’établissement15. Après avoir passé ses premières années dans un Piémont annexé à l’Empire français et être parti à Istanbul travailler au service du sultan ottoman, Luigi Calligaris avait été appelé à Tunis dès 1833, avec pour charge d’instruire les troupes beylicales, dans le cadre de la politique des tanzimât. Il avait contribué à acclimater à Tunis une pratique du dessin technique, utile à l’architecture militaire, mais aussi documentaire et artistique16.
Si l’on trouve alors dans les sources les qualificatifs « français » ou « italien » pour décrire des œuvres, c’est en rapport avec des techniques décoratives ou une iconographie, plutôt qu’avec une identité nationale bien définie. La plus grande salle du palais du Bardo était connue en 1857 sous le nom de « salon français », du fait des « nombreux tableaux représentant les principales batailles d’empire » qui, selon le consul Léon Roches, l’ornaient17. Quelques années plus tard, le publiciste Léon Michel indique que les plafonds du palais de Khéreddine à La Manouba étaient, comme dans d’autres palais érigés à cette époque, « ornés de peintures à l’italienne » (214). Dans ces édifices récents, on avait renoncé à « la vieille mode des arabesques » pour leur préférer « des peintures plates, exécutées par des artistes italiens ». Elles rappelaient à Léon Michel, « par leur style et la crudité de leurs tons, le genre en faveur en France au commencement du dix- neuvième siècle » (218).
Parmi les artistes auxquels la cour commande des tableaux, les Français sont sans doute les plus nombreux. Après le portrait du bey Ahmad réalisé en 1846 par Charles Larivière à l’occasion du séjour du souverain à Paris, portrait dont une réplique, offerte par le roi des Français à son modèle à Tunis, est exposée au palais du Bardo, c’est à Auguste Moynier (1813-1865) que le bey Muhammad al-Sâdiq commande son portrait. Né à Gênes, lié au monde militaire, Moynier a certaines caractéristiques communes avec Calligaris. Il s’en distingue par sa formation à l’École des Beaux-Arts de Paris : la réalisation d’une réplique du portrait de Napoléon III par Winterhalter, expédiée en 1856 à Tunis, a sans doute convaincu le bey de son talent. Si une certaine peinture produite à Paris, dont témoigne la commande faite par la maison beylicale fin 1866 au jeune Alfred Couverchel, élève de Horace Vernet, semble particulièrement appréciée à Tunis, on est tenté d’affirmer que cette manière a une dimension internationale plutôt que nationale, et répond à un goût qui traverse les frontières des États européens. Les peintres italiens restent sans doute les plus nombreux à œuvrer dans la Régence18 : on considère généralement qu’Ahmad ‘Usmân (1848-1920), qui fait figure de premier « peintre tunisien », leur doit sa formation19.
Le maintien de liens denses entre les élites ottomanes de Tunis et la capitale de l’empire après l’instauration du protectorat français (Tunger-Zanetti), invite à émettre l’hypothèse que, jusqu’en 1914, les pratiques en usage à Istanbul continuent à servir de modèle dans la régence de Tunis. Le fait qu’à Istanbul comme à Tunis, les peintres italiens et français soient nombreux (Orhun Gültekin), pourrait aller dans ce sens. D’un côté, c’est au peintre de la cour Fausto Zonaro que le sultan Abdülhamîd II fait appel pour réaliser en 1907 une copie du fameux portrait à l’huile du sultan Mehmed II, réalisé en 1480 par le Vénitien Gentile Bellini20. Mais d’un autre côté, le prestige de Paris comme lieu de formation aux beaux-arts est vif dans la capitale de l’empire : après Osman Hamdi bey (Eldem), c’est à Paris, dans les ateliers de Jean-Paul Laurens et sans doute de Georges Rochegrosse21, que part se former Muhammad al-Hâdî (1872-1922), un des fils de l’ancien ministre du bey Khayr ad-dîn bâchâ (ce dernier, écarté du pouvoir en 1877 à Tunis, s’était installé avec sa famille à Istanbul où il avait occupé la fonction de grand vizir entre décembre 1878 et juillet 1879). Muhammad al-Hâdî se verra contraint après le coup d’État du Comité Union et Progrès de janvier 1913 de quitter Istanbul et s’installera dans les environs de Tunis, à Sidi-Bou-Saïd, où il mourra en 1922 (Zmerli).

Faire venir des œuvres d’artistes français pour en constituer un musée (1892-1893)
Les données commencent cependant à changer après l’occupation de la Tunisie par les troupes françaises et l’instauration d’un protectorat. En effet, la prise de contrôle du pays par la France s’accompagne d’un mouvement qui appelle à sa colonisation et à sa francisation, sur le modèle de l’Algérie, et les nouvelles autorités voient dans la promotion de l’art français en Tunisie un moyen de mettre en œuvre ce projet. C’est dans cette perspective que naît en 1886 le projet de créer à Tunis un musée français (“Un musée impossible ?”). Il est porté par un « républicain avancé22 », Georges de Dramard (1838-1900), figure du monde parisien, qui, depuis 1868, exposait régulièrement ses peintures au Salon23. Il avait fondé en 1885 une Société française des amis des arts, proche de l’administration des beaux-arts. Le projet, resté inabouti, a eu pour conséquence qu’une trentaine d’artistes participant régulièrement à l’exposition de la Société des artistes français, héritière depuis 1881 du Salon parisien, donnèrent une de leurs œuvres à l’État français, en vue de constituer les collections de ce musée, avec la perspective d’obtenir, à terme, des commandes privées ou publiques à Tunis24. La trentaine d’œuvres envoyées en 1892-1893 se font-elles pour autant l’expression d’un art spécifiquement français25 ? En grande partie. À une exception près, tous les artistes qui font un envoi le sont26. Les titres font le plus souvent référence à la France, géographiquement, historiquement ou littérairement (c’est le cas de vingt-et-une des trente-cinq œuvres), jamais à un autre pays, si l’on fait exception d’une vue de Venise. C’est vrai pour les paysages, qui constituent près de la moitié des envois, et qui sont pour la plupart précisément localisés, en Bretagne (deux), en Normandie (deux), sur la côte Atlantique (deux), sur la côte Méditerranéenne (un), dans le centre de la France (trois), les environs de Paris (trois) ou à Paris même (un). Cela l’est aussi pour des scènes de genre, qu’elles fassent référence à une œuvre littéraire (Peau d’Âne, un des contes de Charles Perrault), à la Révolution française (Messe des morts dans le Morbihan en 1793), à la Guerre de 1870-1871 (Réfugiés. Épisode du siège de Paris . Combat dans une rue de Champigny), ou au présent (Soir du 14 juillet . Le Pont du paquebot La Touraine). C’est vrai enfin pour le seul portrait envoyé, celui du cardinal Lavigerie, réplique d’après une gravure du portrait réalisé en 1888 par Léon Bonnat. Par ces envois, il s’agit donc de promouvoir des artistes et un art « français », sans pour autant que cette qualité française corresponde à une esthétique bien déterminée, à l’image des œuvres exposées au Salon des artistes français.

Cette action portée par un Français dans une perspective coloniale a-t-elle eu, bien qu’interrompue, une certaine efficacité dans la promotion d’un art et le développement d’un goût spécifiquement français ? Les œuvres ont-elles été vues, et ont-elles frappé les imaginations ? Il est difficile de l’établir. On sait que certaines d’entre elles, à défaut d’être présentées au public dans le cadre d’un musée, l’ont été dans celui du premier Salon tunisien, en 189427. D’autres ont été plus durablement exposées dans des lieux fréquentés par un public particulier : c’est à l’archevêché que la Résidence générale a envoyé la Messe des morts dans le Morbihan en 1793 (Vendémiaire An II) de Charles Coëssin de la Fosse (1829-1910)28.
Et c’est aux officiers des cercles militaires de Tunis et de Sfax, qu’on a destiné les figures féminines dénudées du Sommeil de Pierre Franc-Lamy (1855-1919)29 et de Peau d’Âne glissant sa bague dans le gâteau d’Albert Maignan (1845-1908) (fig. 4)30, en même temps qu’une scène patriotique (Les Réfugiés. Épisode du siège de Paris, par Alfred de Richemont (1857-1911)31 et qu’un paysage (Ville d’Argenton [sur Creuse] par Mario Carl-Rosa (1853-1913).
Les élèves de l’école de garçons de Tunis purent contempler le Régiment qui passe de Jean Jacques Baptiste Brunet (1849-1917), celles de l’école de filles, la Jeune fllle au milieu de fleurs de Louis-Maurice Pierrey (1854-1912) (CADN, Tunisie, 1er versement, 1351bis). Mais nous n’avons aucune trace de la perception de ces tableaux. Il n’est pas certain que tous les membres d’une communauté française diverse, avec des familles entrées au service de la régence ottomane, sans la perspective coloniale qui s’affirmera ensuite (Planel), s’y soient retrouvés et qu’ils aient heurté certaines sensibilités parmi la population de la Régence. On peut penser que La République debout de Philippe Félix Dupuis (1824-1888) eut le plus large public, puisque la toile fut destinée à orner le tout nouveau bâtiment de l’hôtel des postes et télégraphes. Mais nous n’avons aucun élément permettant de nous la représenter.

Par le Salon et par le Centre d’art : une promotion de l’art ouverte « à toutes les époques, à toutes lesécoles, à tous les pays »
Après 1894, s’il est encore question de créer un musée des beaux-arts à Tunis, ce n’est plus sous la forme d’un « musée français », mais d’un musée « à la fois de beaux-arts, d’arts industriels et de produits de la Régence » (“Deuxième exposition artistique à Tunis” 291), soit un musée tunisien. De même, c’est sous le nom de Salon tunisien que la section artistique de l’Institut de Carthage met en place à partir de 1894, une exposition annuelle de beaux-arts, qui s’institue avec un rythme régulier à partir de 1907. Cette exposition annuelle est destinée à présenter l’ensemble des productions artistiques de la régence, sans restriction (“The Annual Art Salons” ; “Salons et expositions d'art industriel à Tunis (1896 et 1898)” ; “Un Salon pour Tunis”). Le règlement de l’exposition de 1894 reprend celui du Salon des artistes français en affirmant dans son article 3 qu’on y trouvera des œuvres « se rattachant à toutes les époques, à toutes les écoles, à tous les pays » (“Chronique de l’Institut de Carthage” 308). On y trouve donc des artistes italiens, bien qu’en nombre limité32. Dans sa livraison du 2 avril 1897 par exemple, La Dépêche tunisienne se réjouit de la présence du peintre Gaetano Musso, de Palerme, espérant que « nombre d’artistes italiens suivront désormais son exemple33 ». Dans le discours qu’il prononce à l’inauguration du Salon tunisien de 1901, Eusèbe Vassel présente la Tunisie comme une « terre hospitalière », où le Salon permet de rassembler les différentes communautés qui y vivent : des Français, qui se caractériseraient par leur goût de l’idéal, « le généreux combat pour l’exaltation et l’expansion du Bien, du Beau, du Vrai […] ; des Italiens […] qui se souviennent qu’à la Renaissance leurs pères ont donné le signal de l’élan le plus grandiose dans les Lettres et les Arts ; des Tunisiens aussi, jaloux de montrer que leurs nationaux ne sont pas plus réfractaires au perfectionnement moral qu’au progrès matériel » (“Institut de Carthage. Ouverture du 6e Salon tunisien” 368)34. Cette dimension inclusive est confirmée en 1913, lorsque l’organisation du Salon est prise en charge par un militant de la Section française de l’internationale ouvrière, Alexandre Fichet (1881-1967), professeur de dessin au Collège Alaoui, une école primaire supérieure accueillant des élèves musulmans, et à l’école normale d’instituteurs35. Alexandre Fichet, qui fera partie après la Première Guerre mondiale de l’équipe du journal Tunis socialiste, fondé en 1921 par son beau-frère André Duran-Angliviel, restera l’organisateur du Salon tunisien entre-deux-guerres, puis, à son retour de déportation, après 1944. Par son ouverture, et les liens d’amitié qu’il a pu nouer avec des militants du Parti destourien (Abéasis), il contribuera au maintien de l’exposition annuelle par-delà les ruptures de la décolonisation en en restant l’organisateur jusqu’en 1966.
En 1914, Fichet, qui a peut-être pour modèle Paul Signac, président du Salon des indépendants depuis 1909, ne fait référence qu’à des artistes français, lorsqu’il se dit convaincu qu’il faut présenter à la fois les « productions des chercheurs, des indépendants et des “fauves” » à côté de ceux « qui gardent les saines traditions des maîtres », le rôle des réformateurs étant de « sauver la vraie tradition, en la gardant de ceux-là mêmes qui prétendent la continuer » (“XVIe Salon tunisien” 283) : c’est Jean-Auguste-Dominique Ingres, qui sera dans l’entre-deux-guerres, avec Nicolas Poussin, l’une des principales figures de référence des défenseurs d’un « art français » jugé menacé par le cosmopolitisme et l’expressionnisme (Jarrassé 135), aussi bien qu’Eugène Carrière, Claude Monet et Henri de Toulouse-Lautrec que Fichet dit alors admirer. Mais, en 1923, ce dernier affirme vouloir « persuader notre population cosmopolite, divisée par ses origines, ses goûts, ses mœurs, ses occupations, que l’Art est une patrie accueillante. Les différences de races, d’émotions, d’expressions constituent de nouvelles sources de richesse pour cette patrie et concourent à la rapprocher de la vérité générale et humaine, seule harmonieuse36 » (“Le Salon tunisien. Discours de M. Fichet” 97). Dans un contexte d’après-guerre de retour à l’ordre et d’affirmations nationales, Fichet affirme que le Salon tunisien est un creuset qui ne connaît pas l’exclusivisme national. En choisissant le terme « patrie », traditionnellement utilisé par la gauche républicaine, il se démarque des nationalismes, et peut-être déjà des promoteurs d’un salon concurrent, organisé à partir de l’automne 1922, qui prendra en 1924 le nom de Salon des artistes tunisiens. Un artiste amateur, Alfred Combarel et un ancien magistrat natif de Constantine, André Delacroix (1878-1934), membre de la Société coloniale des artistes français, s’opposent alors à l’éclectisme de Fichet, et sont bientôt rejoints, en 1930, par un ancien condisciple et ami de Fichet37, Gaston-Louis Le Monnier (1880-1947), qui s’insurge contre « le mouvement decadent européen38 ». Mais leur salon ne survit pas à la disparition d’André Delacroix. Et l’Exposition artistique de l’Afrique française, organisée annuellement à partir de 1928 dans la perspective d’affirmer l’unité impériale à l’échelle du nord du continent – Tunis est la première ville à la recevoir (elle y sera à nouveau accueillie en 1932, 1936 et 1941) – n’impose pas des critères de sélection différents de celui du Salon tunisien. Elle remplit la même fonction en présentant au public des œuvres variées39, tandis qu’Alexandre Fichet continue à s’efforcer de faire connaître les tendances récentes de la peinture à Paris, y compris les œuvres d’artistes étrangers qui y travaillent40. La rupture entre les deux anciens condisciples de l’école Bernard Palissy se confirme pendant la Seconde Guerre mondiale. Alors que Fichet a été déporté en 1942 à Sachsenhausen par les autorités allemandes (assigné à résidence dans le Gers après une période de travaux forcés, il ne rentre à Tunis qu’à l’automne 1944), Gaston-Louis Le Monnier a constitué un syndicat des artistes professionnels (peintres, sculpteurs, décorateurs) de Tunisie et organisé deux expositions au printemps et à l’automne 1944. Ses mémoires indiquent qu’il s’est raidi dans une conception de la tradition française qui n’est pas sans rappeler l’évolution du critique Camille Mauclair, devenu nationaliste et antisémite après avoir été proche des symbolistes, de l’anarchisme et dreyfusiste du temps de sa jeunesse (Vaisse) : « Les villes comme Tunis sont quelques peu contaminées par cet art décadent qui sévit à Paris, cet art international de naturalisés qui a noyé toutes les traditions françaises de la peinture, et qui de temps en temps suspend au bout d’une perche, l’effigie d’un novateur, comme un lampion » (Le Monnier 171).
L’autre institution importante en matière de beaux-arts à Tunis, le Centre d’art, a été fondée en 1922-1923 (Lasram). Auparavant, seules les classes de dessin des écoles, collèges et lycées et quelques ateliers privés dispensaient un enseignement artistique dans la Régence. Le Centre d’art prend donc le relais des ateliers d’un élève de Gérôme, Émile Pinchart (1842-1921), en activité entre 1902 et 1913, de Georges Le Mare (1866-1942), qui était parti se former à l’Académie Julian entre 1900 et 1905, en activité entre 1912 et 1916, et de Joseph Buffard (1871-1937 ?) ancien élève de l’École des Beaux-Arts de Lyon où il avait étudié la peinture de fleurs pour répondre aux besoins de l’industrie de la soie (le cours d’art décoratif qu’il a ouvert en 1912 s’est sans doute prolongé jusqu’au début des années 1920). Le Centre d’art, qui ne prendra qu’en 1930 le nom d’École des Beaux-Arts, ne cherche pas non plus à imposer un « art français » à la définition fermée (“La fabrique des artistes ‘tunisiens’” 157-180). Le concours d’entrée était ouvert à tous les jeunes gens de seize à trente ans, sans condition de sexe ni de nationalité. Le programme d’enseignement suivait le modèle de celui des Beaux-Arts de Paris dont son directeur, Armand Vergeaud (1876-1949), avait été l’élève41. Vergeaud exposait par ailleurs régulièrement ses œuvres au Salon tunisien, comme le feront bientôt de nombreux anciens élèves de l’École. Il partageait avec Fichet l’idée que les différentes recherches poursuivies en France pouvaient présenter un intérêt dans un pays où il considérait qu’il n’y avait pas de tradition établie en matière de beaux- arts. Parmi ses élèves, les Français étaient les plus nombreux, mais on trouvait aussi des Tunisiens et des Italiens, parmi lesquels Jules Lellouche, Antonio Corpora et Maurizio Valensi42. L’héritage parisien et l’ouverture d’esprit communs à Vergeaud et Fichet font qu’ils ont contribué à transposer à Tunis une conception ouverte du monde de l’art, sans exclusive esthétique ni nationale. On peut en cela considérer qu’ils ont rendu possible l’affirmation du groupe d’artistes qui se fera bientôt reconnaître sous le label de l’École de Tunis, comme une déclinaison locale d’une École de Paris ouverte aux apports étrangers.
Des références intégratrices : de la latinité à la Méditerranée
Tunis se caractérise cependant par une situation particulière, qui tient à la concurrence franco- italienne43. S’y est exprimé à partir de 1911, un discours qui appelait, dans le domaine des beaux-arts, à une Renaissance latine. Il était tenu par Henri Leca-Beuque (1884-1948), un professeur de lettres à l’École normale de Tunis (où enseignait aussi Alexandre Fichet) natif de Philippeville en Algérie44. Il faisait écho à celui tenu par l’homme de lettres Louis Bertrand (1866-1941), qui fut une des sources du courant algérianiste, avec une tonalité quelque peu différente45. Leca-Beuque se démarquait en effet de ceux qui considéraient amèrement « que l’Occident désenchanté [était] en train de mourir étranglé par les métèques et les Phéniciens tout puissants ». Il voyait dans la Renaissance latine qu’il appelait de ses vœux le produit d’une ouverture de la Tunisie aux apports étrangers, qui profiterait à la Tunisie comme les artistes italiens avaient profité à la France au XVIe siècle. Leca-Beuque assimilait cependant le développement du « bon goût » à l’art français. Selon lui, les prédilections du « goût populaire », si elles « n’allaient pas aux manifestations du génie français, n’auraient que trop de pente à favoriser des tendances étrangères » (Leca-Beuque 15) – sans qu’on sache ce qu’il visait là précisément, peut-être des productions standardisées, du type des chromolithographies produites en Allemagne, en Italie ou au Moyen Orient, qu’on pouvait alors trouver en vente à Tunis46.
La promotion d’un art latin en Tunisie a pris une forme nouvelle dans l’entre-deux-guerres, alors que les relations entre la France et l’Italie fasciste oscillaient entre méfiance et politique de rapprochement. L’alliance franco-italienne, symbolisée par la signature des accords de Rome en janvier 1935, n’a pas survécu à l’invasion de l’Éthiopie par l’Italie en octobre de la même année et au succès du Front populaire en France au printemps 1936 : dès l’automne le gouvernement dirigé par Léon Blum rappelle son ambassadeur à Rome47. Mais un discours mettant en avant une commune latinité, outrepassant les frontières nationales, persiste. On l’a vu, Pierre Boucherle, qui avait participé à l’exposition d’art colonial de Rome en 1932, et dont le jeune Albert Camus avait admiré l’exposition présentée au printemps 1934 à Alger48, a été caractérisé en 1936 par son génie latin, tandis que Corpora était associé à la Méditerranée49. Cette définition de la latinité était sans doute moins exclusive que celle d’Alberto Savinio, pour qui la culture romaine s’était éteinte suite à l’infiltration d’éléments arabo-gothiques50. Elle ouvrait à l’idée d’une culture méditerranéenne commune, plutôt qu’elle ne s’y opposait. La nécessité d’une catégorie largement accueillante explique le succès à Tunis de cette conception qui permettait de faire une place à des œuvres associées au monde arabe, juif ou berbère (Ruel 7-14 ; Fréris 43-51). La publication entre 1927 et 1933 d’une Revue méditerranéenne des lettres, des arts, des sciences sous la direction Albert Canal indique qu’elle y fut précocement en usage51.
Il n’y a pas d’étanchéité entre un monde de l’art français et un monde de l’art italien dans la Tunisie de l’entre-deux-guerres. Pierre Boucherle et Henri Leca-Beuque font partie des nombreux artistes français qui exposèrent à la Società Dante Alighieri, dans les locaux de l’imposant immeuble construit en 1926 rue Thiers52. L’association culturelle italienne fut très active au cours de ces années en matière de beaux-arts, en proposant un cours de dessin appliqué aux arts et aux métiers et un riche programme d’expositions qui resta libre de tout embrigadement jusqu’en 1938, même si, en mai 1933, on préconise que les expositions soient collectives et exaltent l’italianité53 (Finzi et Gallico 237-242). En mai 1932, une exposition de douze « peintres modernes » témoigne de cette liberté : les Italiens n’y étaient que quatre, Antonio Corpora, Frida Uzan (1906- ?), Maurizio Valensi (1909-2009) et Aldo Ronco, les trois premiers ayant suivi l’enseignement de Vergeaud à l’École des Beaux-Arts de Tunis, les trois derniers opposés au régime fasciste, du fait d’un engagement communiste pour Aldo Ronco et bientôt Maurizio Valensi54, ou d’une tradition familiale juive livournaise favorable aux Carbonari et à la franc-maçonnerie chez Frida Uzan55. Parmi les cinq exposants français, on trouvait Alexandre Fichet et Pierre Boucherle. Jules Lellouche participait aussi à l’exposition, qui accueillait un peintre d’origine suisse installé à Tunis, Wilhelm Lebherz Louis (1907 ?-1950) et un néerlandais, Gerardus Hendricus Huysser (1892- ?)56.
À la veille de la Seconde Guerre mondiale, le monde local de l’art semble ainsi se jouer des clivages nationaux à Tunis, et un grand nombre d’artistes ne pas se considérer comme les représentants d’une école nationale, française, italienne ou tunisienne, quand bien même on trouve dans la presse locale un discours ordinaire qui invite à une lecture nationale des productions artistiques. On peut voir dans cette distance prise par rapport aux identifications nationales, dans l’affirmation chez Moses Levy, Pierre Boucherle, Jules Lellouche et Antonio Corpora d’une liberté d’exprimer « leur vérité intérieure » qui les définirait comme avant-garde, le signe d’un processus d’autonomisation. En affirmant que l’art véritable est une « activité spirituelle » qui échappe aux logiques marchandes, les quatre peintres qui publient en 1936 leur manifeste participent à la constitution d’un monde de l’art local régi par des normes qui lui sont propres. La définition qu’ils donnent de la véritable tradition, qui « n’est faite que d’une suite de grands révolutionnaires », et qu’ils opposent à la routine, n’a rien de profondément original. Elle leur permet cependant de se distinguer des discours qui, produits en France, en Algérie et en Italie, associent à la France, à l’Italie, et plus généralement au monde latin ou méditerranéen des qualités de mesure, d’ordre, de structuration, discours qui circulent à Tunis, parfois associés à des manifestations de sympathie pour le régime fasciste ou à l’expression d’une volonté de mise en place d’un régime politique autoritaire. Malgré des travaux récents, la connaissance de l’activité artistique à Tunis dans les années 1930 et 1940 reste à approfondir. En l’inscrivant dans une échelle de temps séculaire, j’ai tenté d’en comprendre certaines des spécificités, et le succès à terme du modeste manifeste publié en 1936. Après les bouleversements que connaît le pays pendant la Seconde Guerre mondiale, avec la perspective d’une prochaine accession du pays à l’indépendance, la question d’une lecture nationale des œuvres et l’affirmation d’une culture locale marquée par la pluralité des origines prendront une actualité nouvelle. Elles seront parties prenantes d’un débat sur la définition de la culture nationale qui reste encore vivant, comme en témoignent les débats qui ont récemment accompagné la publication par des historiens contemporanéistes d’ouvrages sur cette question (Aïssa ; ‘Îsâ ; al-Timûmî).
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Annexe
Nous reproduisons ici l’annonce de l’inauguration de la galerie de l’Art nouveau publiée dans La Dépêche tunisienne du 25 janvier 1936 (fig. 1). Elle intègre le manifeste porté par les quatre exposants, parallèlement publié dans le quotidien de langue italienne L’U nione57.
Une recension de l’exposition, signée du peintre et journaliste Armand Ravelet, sera publiée quelques jours plus tard dans le même quotidien. Elle permet d’avoir une idée des quatre œuvres que chacun des exposants présente, qui ne correspondent pas nécessairement à celles reproduites dans La Dépêche tunisienne le 31 janvier :
M. Pierre Boucherle nous donne une rue [sic pour un nu], une nature morte, LeMoulin de la Goulette et des fleurs (1, 2, 3, 4) ; M. A. Corpora, une composition,Les enfants du fleuve, [une] étude et [un] paysage (5, 6, 7, 8) ; M. Mosès Levy, LeKiosque58, une nature morte, un paysage et Une Marocaine (9, 10, 11, 12) ;M. Lellouche, une Femme arabe, un paysage et deux tableaux de fleurs, toutesoeuvres traitées dans la manière de l’extrême avant-garde, sauf celles deM. Pierre Boucherle qui semble par moments, surtout dans le nu, être reconquispar le traditionalisme .
À défaut d’avoir pu identifier avec certitude les œuvres exposées en 1936, ni a fortiori en publier des reproductions, nous avons choisi d’en donner une image approximative, à travers d’autres tableaux de ces artistes, non datés, mais qui pourraient avoir été peints à une période proche (fig. 5 à 8).
Une petite révolution artistique. Exposition des “quatre”. Préface au vernissage de la galerie de l’Art nouveau
Un complot est ourdi contre le mercantilisme artistique et le conformisme prosaïque de la cité !
Tunis serait devenue hostile – fut-elle jamais son amie, ô conjurés ? – à la beauté nue, veuve de tout oripeau académique et libre dans ses recherches esthétiques.
Foin des marchands, des snobs et des “pompiers” qui, sous le couvert de l’argent, d’un pseudo- dilettantisme et du préjugé, pervertissent le goût du public et le rendent insensible à l’art dans ses expressions les plus neuves…
C’est du moins ce que déclarent quatre de nos peintres les mieux doués en partant en guerre contre des tendances et des travers préjudiciables à la cause de l’esprit.
En manière de protestation Mosès Levy, Pierre Boucherle, Jules Lellouche et Antonio Corpora ont créé au no 5 de la rue St-Charles “La Galerie de l’art nouveau” réplique opportune des ateliers d’exposition dont s’enorgueillissent la critique parisienne comme les amateurs éclectiques et éclairés de la capitale.
Les Quatre y exposeront ce soir à 18 heures des œuvres éminemment représentatives de leur manière, au cours d’un vernissage sans précédent qui réunira la fine fleur spirituelle de la ville.
En guise d’invitation le quatuor sympathiquement révolutionnaire a rédigé le manifeste suivant qui figurera en tête de son catalogue et dont voici la prose, quelque peu impertinente mais chaleureusement sincère :
Au Public :
Nous ouvrons les portes de cette Galerie aux artistes tunisiens et étrangers d’avant-garde. Qu’on entende par-là tous ceux qui, se servant de couleurs et de lignes, cherchent à exprimer leur vérité intérieure et à la communiquer. Cette Galerie n’est pas une entreprise commerciale, mais un événement purement artistique. Les artistes modernes pourront continuellement communiquer avec le public au moyen des expositions personnelles et collectives. Le public pourra enfin être guidé vers une activité spirituelle au lieu d’être victime des manœuvres de marchands affairistes.
Cette Galerie se refusera catégoriquement à présenter les peintres prétendus traditionnels lesquels sont à la tradition ce que le crétinisme est à l’intelligence. Ces gens qui continuent à chatouiller l’inertie du public routinier seront bannis de nos manifestations qui s’efforceront au contraire d’agiter les eaux qui menacent de devenir stagnantes.
Nous demandons à la critique militante de nous seconder dans cette tâche laborieuse et nous la prions (à tout le moins la critique intelligente) de ne pas mobiliser trop souvent, et pour des gens qui ne le méritent pas, les noms des grands maîtres.
Les peintres d’avant-garde aiment les classiques, et de leur enseignement ils ont retenu une chose : la tradition n’est faite que d’une suite de grands révolutionnaires. Ceux qui s’attardent aujourd’hui à singer les œuvres des grands ancêtres ne font que rendre ambiguë une vérité.
Touchant à la tradition, il est bon de citer ce qu’écrit un jeune critique :
« Lorsque Salluste, en vue de donner du lustre à son oeuvre propre, écrit« maxumus » au lieu de « maximus », je pense à l’animalité primordiale etgrotesque qui est par exemple dans Trader Horn60 : au coeur de l’Afrique, prèsdu village, siège le Conseil des notables. Un de ceux-ci parle, mais personne nel’écoute. Alors il se lève et retourne avec un masque austère sur le visage. Il ditles mêmes choses qu’auparavant et les voilà tous qui se mettent à l’écouter enretenant leur souffle ; entre le « maxumus » sallustien et le masque du sauvage,aucune différence : l’un et l’autre ont la même fonction : se donner du ton pours’attribuer de l’autorité. Ce masque, divers artistes, même de ceux qui se fontpasser pour modernes, l’ont trop souvent revêtu et ils l’ont appelé « tradition ».Quelque chose d’austère et d’académique dans la forme qui finit par fêler lasubstance. Nous avions toujours pensé que la tradition n’était pas autre choseque l’intelligence, mais pour les autres, au contraire, la tradition est la trahisonnécessaire que commet l’artiste envers son art : humilier le fantôme créateur[en] le réduisant à un schéma qui n’est pas le sien. »
Ils n’appartiennent pas à la même école et leurs tendances sont même en contradiction. Nous trouvons ce fait très significatif, leurs théories, leur intelligence, leur talent forment antithèse. L’important est qu’ils soient tous quatre dans la zone de guerre : celle de l’art vivant.
Mosès Levy est un peintre apprécié du public tunisien, et son activité artistique date de plusieurs années. Son nom est répandu à Paris et en Italie, où diverses Galeries possèdent de ses œuvres. Il représente ce premier tiers de siècle. Dans son art, nous rencontrons toute l’exaltation, tous les renoncements qui ont été le tourment de la peinture moderne.
À la recherche de la vérité. On croit en général que « chercher » implique un résultat final tangible : « trouver ». C’est là une idée puérile qu’on se fait de l’art, car l’art est une recherche continuelle. Mosès Levy est un peintre inquiet et vivant.
Pierre Boucherle. Il est également connu en Europe, et ses œuvres sont admises dans les Salons les plus importants. Un volume qui lui est consacré vient de paraître aux Éditions de la Z one61 (Duhamel, Lugné-Poe et Salmon). Boucherle, français, et plus exactement latin, sent la nécessité d’une construction logique. Il cherche à ordonner ses sensations en une rigoureuse simplicité architectonique.
Jules Lellouche. On peut le définir « le cas Lellouche ». Il est peut-être le seul peintre qui s’exprime en authentique Africain. Son art se nourrit de sensations plutôt que de visions. La sensualité l’emporte parfois sur la sensibilité, l’instinct sur la logique créatrice, et c’est alors que sa peinture nous parait un peu impressionniste. Aujourd’hui, Lellouche se fraie une voie qui veut être plus ample.




Antonio Corpora, le plus jeune des quatre, représente le tournant 62 artistique de la génération de vingt à trente ans. Corpora expose lui aussi en Europe : il a eu du succès à Paris, à Florence, et tout dernièrement, à la Quadriennale d’Art de Rome. Corpora est italien et sa peinture aspire à l’ordre et à la clarté méditerranéenne. Sa logique, son besoin du « défini » sont en conflit avec sa nature méridionale, et de ce contraste de l’ordre et de l’instinct naît son drame pictural.
Il appartient à la génération qui essaie de réduire l’art à son essence rigoureuse : désir de l’angélisme, peut-être impuissant désir de l’homme.
L’ART NOUVEAU.
À cette vigoureuse profession de foi, il faut ajouter la motion suivante qui a été adoptée par Mme Anna Denis-Dagieu, et MM. Henry [sic] Fauconnier, Gabriel Audisio, Pierre Bonnet-Dupeyron, Jules Borely (ancien directeur des beaux-arts au Maroc), Armand Guibert, Jean Amrouche et Camille Bégué63 :
« Un groupe d’intellectuels s’unit aux artistes d’avant-garde de l’Art nouveau et convie le public intelligent, les autorités et la critique militante à bien vouloir collaborer à mettre en lumière un climat spirituel tunisien, qui est encore à ce jour confondu avec les plus basses manifestations de l’affairisme et du dilettantisme le plus naïf. »
Nous souhaitons aux « quatre » et à leurs supporters la quantité qualitative dans la collaboration qu’ils espèrent.
Notes
Notas de autor