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FAIRE CORPS, Temps, lieux et gens
Tsantsa, vol. 25, Esp., pp. 211-213, 2020
Universität Bern

Book and Film Reviews


Aceti Monica, Jaccoud Christophe, Tissot Laurent. 2018. Neuchâtel. Alphil-Presses universitaires suisses. 978-2-88930-211-6

Publicación: 21 Septiembre 2020

DOI: https://doi.org/10.36950/tsantsa.2020.025.25

Faire corps part d’une aire géographique donnée, la Suisse, et d’un objet, le corps. Il réunit des chercheur·euse·s issu·e·s de disciplines diverses et le matériel analysé dans les contributions est extrêmement varié. Les directeur·rice·s, Monica Aceti, Christophe Jaccoud et Laurent Tissot, nous disent que les contributions « font corps » dans leur volonté de ne pas s’enfermer dans un pôle réducteur : le corps comme objet de biopolitique, le « tout-structure », ou, à l’inverse, le corps comme réalisation de soi, le « tout-subjectif ». Alors que l’ouvrage se divise en quatre parties, quatre actions dont le corps est objet – fabriquer, entretenir, montrer et mobiliser – il fournit surtout, ainsi qu’annoncé en introduction, « des clefs d’intelligibilité à des questions contemporaines » (p. 10). Le corps s’avère donc une entrée plus qu’un objet d’étude et le livre est traversé par des thématiques qui ne sont pas mises en évidence par sa structure. Afin de rendre compte des « questions contemporaines » abordées, j’ai choisi de présenter ici les contributions de l’ouvrage au travers de cinq de ces thématiques.

Si Faire corps revendique sa focale sur un espace géographique déterminé, la Suisse, trois de ses contributions montrent les interrelations entre cet espace et d’autres localités. Les historiens Jérôme Gogniat et Philip Rieder partent ainsi de phénomènes ancrés dans le contexte national et montrent les circulations qui les façonnent et participent à la construction de représentations et d’usages du corps. Le premier aborde le rôle des pensionnats dans l’émergence des « sports modernes » à la fin du 19e siècle et documente la place d’enseignants et directeurs d’école formés en Grande-Bretagne dans l’implantation de ces sports en Suisse. De jeunes hommes issus de ces internats créent par la suite des clubs de football dans les villes européennes où ils s’installent, faisant de la Suisse un centre d’où irradie cette pratique au début du 20e siècle. Le deuxième, en s’intéressant au «Heimweh», retrace le développement de cette entité nosologique entre la fin du 17e et celle du 19e siècle. Ce serait du déracinement de soldats suisses, nombreux dans les armées européennes, que naitrait la «Nostalgie des Suisses ». Cette maladie atteste d’un lien spécifique à un lieu et d’un sentiment d’appartenance à une communauté. Issue des sciences sociales et politiques, Katharina Pelzelmayer s’intéresse quant à elle, à la prise en charge 24h sur 24 de seniors par des soignantes migrantes. À travers une analyse de discours nourrie par des approches féministes, elle met en évidence trois dimensions qui participent à la construction des sujets « soignantes 24/24 » : le désintéressement dans le soin, un travail peu régulé et une migration pendulaire déterminée par les politiques migratoires suisses.

Les corps traités dans l’ouvrage sont aussi objets de disciplinarisation dans trois contributions. Le sociologue Baptiste Blandenier aborde l’histoire des chorales en Suisse par la question du rapport entre les sujets et les institutions auxquelles ils participent. La pratique du chant dans des chœurs, si elle relève apparemment du loisir, demeure éminemment politique par une série de normes et de rapports de pouvoir auxquels les chanteur·euse·s se plient. Issus des sciences de l’éducation, Adrián Cordoba et Benoît Lenzen pensent les pratiques corporelles à l’école publique comme révélatrices de conceptions spécifiques des citoyen·ne·s et de leur rôle en se penchant sur les différentes logiques qui guident l’assujettissement des corps dans les programmes sportifs des institutions scolaires suisses depuis la fin du 19e siècle. Usant d’une entrée originale en sciences du sport et de l’éducation, un corpus de photographies, Philippe Vonnard, Grégory Quin et Quentin Tonnerre abordent finalement la spécialisation du football durant l’entre-deux-guerres, la codification de la mise en scène des corps dans ce sport et la logique politique qui les imprègnent. La professionnalisation de la pratique sportive va de pair avec une homogénéisation de sa mise en scène. Cette tendance est renforcée au début de la Seconde Guerre mondiale par une politisation et une représentation martiale des corps.

Les représentations des corps reflètent des idéologies propres à des époques et peuvent légitimer des hiérarchies ou engendrer des changements sociaux. Illario Rossi, anthropologue, pense le pluralisme thérapeutique comme révélateur de transformations sociales en Suisse. Par celui-ci, le ou la malade devient aujourd’hui un·e gestionnaire du traitement de sa maladie. Cette apparente liberté de choix se transforme néanmoins en normes, devenant contrainte plutôt qu’affranchissement, et reflétant un phénomène plus large : l’injonction contemporaine à l’autodétermination. Une réflexion similaire nourrie la contribution de l’historien Matthias Ruoss sur la corporalité des personnes âgées. Retraçant l’histoire de l’assurance vieillesse, l’auteur met en évidence le processus d’« activation » des personnes âgées qui en découle. L’injonction à une alimentation saine et à des activités physiques responsabilise les retraité·e·s, faisant du vieillissement une question de maîtrise de sa vie plutôt qu’un « destin biologique ». L’historienne Laurence Marti étudie l’évolution de la relation entre corps et travail au cours du 19e siècle. Les images, zoologiques ou mécaniques, attribuées à des corps de métier créent des oppositions entre des caractéristiques qui seraient inhérentes à des classes d’individus. La circulation de représentations de corps malades et malformés de certaines classes va amener à repenser le rapport corps/travail et générer une régulation des conditions de travail à la fin du siècle, principalement celles des femmes et des enfants. Dans une perspective d’histoire de l’art et d’études politiques, Leïla el-Wakil et Rémi Baudouï s’intéressent au corps noueux et viril dans la peinture suisse du 19e siècle, représentation née d’une idylle pastorale helvétique, à une époque de déroute face aux armées napoléoniennes. Il·elle·s pointent les parallèles entre jeux pastoraux, gymnastique et activités militaires dans cette iconographie.

Objets de polémiques et catalyseurs de tension entre différentes compréhensions du social, les corps féminins sont au cœur de deux recherches dans l’ouvrage. En s’appuyant sur une observation participante de la Pole Dance et sur l’analyse des controverses qui entourent celle-ci, Monica Aceti, socio-anthropologue, questionne la relation complexe entre processus d’empowerment et auto-objectivation à l’œuvre au sein de la pratique. Les danseuses sont dans une démarche d’auto-affirmation et la Pole Dance fait l’objet d’une désexualisation dans les compétitions. Néanmoins, celle-ci est aussi un élément de la capitalisation d’éléments d’une culture féminine. C’est un rapport au corps très différent que l’écrivaine Claudine Gaetzi montre dans trois romans d’Alice Rivaz. Le corps est pensé par les personnages féminins comme une illusion trompeuse, changeante et manipulable, peu lié à leur intériorité. Ces femmes se sentent, de plus, prises dans des normes sociales dont elles ressentent parfois l’injustice, sans pouvoir toutefois y échapper.

Deux contributions font la part belle aux subjectivités corporelles qui se construisent dans la pratique du sport, livrant un récit intimiste de deux trajectoires sportives. Christophe Jaccoud, sociologue du sport, commente les photographies du parcours d’un sportif amateur, son père. La biographie ne relate pas uniquement des choix sportifs successifs et les représentations corporelles qui les soutiennent, mais inscrit ceux-ci dans les changements sociétaux qui prennent place au cours du 20e siècle : de l’émergence d’un rapport sanitaire au sport en Suisse, à la commercialisation du sport et à l’émergence des marques. C’est à travers un abécédaire que Marianne Chapuisat, alpiniste, raconte quant à elle son corps et ses représentations de celui-ci, d’un côté, et les craintes, les images mais aussi les joies qui nourrissent ses expériences sportives, de l’autre. Les différentes entrées rendent compte du croisement de l’expérience corporelle avec des éléments aussi divers que la culture littéraire familiale, les rires partagés dans des vestiaires ou en montagne, et les dimensions techniques de la pratique sportive.

Finalement, Faire corps s’avère très informatif sur des thématiques spécifiques et l’ouvrage éclaire la diversité des objets qu’une entrée par le corps permet d’aborder. Si les réflexions épistémologiques proposées en introduction visent très clairement un public académique, pointant notamment les défis soulevés par un objet d’étude au centre de politiques et de discours publics, l’hétérogénéité des perspectives adoptées ne permet pas une réflexion épistémologique ou théorique transversale aux contributions. Celles-ci, prises individuellement, sont d’intérêt académique pour leurs objets respectifs, et l’ouvrage dans son ensemble apporte des éclairages pluriels sur l’histoire et la société suisses pour toute personne curieuse.



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